Café amer :lhistoire du long combat des Nestlé de Marseille
Café amer :lhistoire du long combat des Nestlé de Marseille
Patrice Pédregno est
salarié de Nestlé à Saint-Menet
(Bouches-du-Rhône). Avec ses collègues, il a lutté
pendant 643 jours contre la fermeture du site. Il raconte cette
extraordinaire expérience dans Café amer, qui vient de
paraître aux Editions du Cerisier, avec une préface de
Jean Ziegler. Il sera linvité de solidaritéS pour
un café politique, le vendredi 16 mars, à 20h.15, au
Café Gavroche (4, bd. James-Fazy, à Genève).
Je mappelle Patrice Pédregno. Je suis un
«Nestlé Saint-Menet», un de ceux qui ont
refusé que leur horizon soit tracé par le pouvoir de
largent. Mon grand-père paternel est venu dEspagne
chercher en France la paix et de quoi nourrir sa famille. Mon
père et tous ses frères étaient mineurs de fond.
Leurs camarades, dorigines espagnole, italienne, polonaise,
française… Ce mélange cosmopolite a formé des
hommes durs au travail, mais tous solidaires, soudés. Des hommes
qui aimaient leur terre, leur pays, notre France.
Jai eu la chance de naître en Provence, sous un ciel
pratiquement toujours bleu. Mon enfance na pas été
facile, le sort na pas épargné ma famille. Mais,
à lépoque, la solidarité était
très forte. Lorsque largent manquait, les
commerçants sortaient une ardoise, certains loubliaient
quelquefois. Evidemment, je ne parle pas de supermarchés, mais
de commerces que lon dit aujourdhui de proximité.
Ceux que la grande distribution broie jour après jour. Je
nai pas oublié tout cela. Comment peut-on oublier ses
racines? Ma personnalité vient de là. Mon père
na jamais essayé dinfluencer mon opinion
politique. Nous nétions pas toujours daccord, mais
je regrette de ne le lui avoir jamais dit, dans
lisoloir, jétais un fils de mineur. Je votais
rouge. Cest la couleur de ceux qui se battent, qui ne baissent
pas la tête.
Je ne cherche pas à influencer mon fils. Inutile. Le Pen le fait
gerber, Chirac le dégoûte et Sarko lui fait peur. Je crois
que son grand-père, décédé un mois avant sa
naissance, lui a laissé quelques gènes de mineur de fond.
Tant mieux. Jimagine que son vote sera rouge. Il y mettra la
nuance quil voudra. Limportant cest quil
ait compris ce qui se passe dans ce pays que des politiciens gris
veulent nous confisquer pour loffrir à des capitalistes
aux appétits obscènes. Ma femme est comme moi: elle sait
que nous devons des remerciements à des gens de la gauche de la
gauche. Jespère que, malgré le jeu truqué
des signatures, nous pourrons partager nos suffrages.
[
] La lutte a duré 643 jours. De lannonce de
fermeture, le 12 mai 2004, à la signature de fin de conflit, le
24 janvier 2006, des femmes et des hommes ont levé la tête
et ne lont jamais baissée. Ce sont mes camarades, ceux
qui mont permis de raconter notre histoire, à travers un
petit livre sans grandes prétentions, certes, mais rempli
démotions.
Ce livre, je lai intitulé Café amer. Amer pour
nous, qui navons jamais voulu de cette lutte imposée.
Amer aussi pour Nestlé qui a eu, malgré sa puissance
financière et ses appuis gouvernementaux, beaucoup de mal
à nous digérer. Pour ceux qui liront ce livre, la
clé du mot amer est dans le prologue. Cest comme une
boutade, un pied de nez au géant. Mais cest surtout le
constat du lien qui unit ceux qui ne veulent pas se laisser dissoudre.
Bon, jen dis trop.
Lidée décrire cette histoire nest
pas de moi, les copains de mon équipe mont demandé
de le faire. Jai dabord refusé. Puis, lun
deux, René, ma dit: «Ecris ce que tu nous
racontes si bien, tes souvenirs denfance.» Je lai
fait. Alors René ma demandé de parler de nos 27
années dusine. Cest lhistoire du doigt dans
lengrenage… Jai écrit sans penser à un
livre. Je pensais à une lettre. Celle que jai
adressée à Jean Ziegler, celle qui ma ouvert en
grand la porte de sa maison. Jai longuement parlé avec ce
«Monsieur» que jadmirais à travers ses livres
pour son courage et son militantisme actif. Aussi, lorsquil
ma demandé de travailler à laisser une trace de
cette lutte sociale, je nai pas pu refuser. [
]
Jai écrit à la suite de mes souvenirs, le
début de lhistoire du combat. En même temps,
jécrivais au fur et à mesure lhistoire de
la fin de ce même combat. Sensations bizarres.
Jécrivais, mais je nimaginais pas que mes mots
seraient édités. Je pensais relier moi-même les
pages de mon récit et les offrir à mes camarades. Et ceux
à qui je les faisais lire mont donné le courage de
chercher une maison dédition. Après deux mois
dattente, je me suis tourné vers Danièle Ricaille
et Jean Delval, responsables des Editions du Cerisier et
artistes de théâtre , qui ont accepté de
publier le livre. Je leur dois des remerciements comme jen dois
aux gens de la LCR et à beaucoup dautres. (
) Je
ne sais pas si Café amer aura du succès mais, pour moi,
de toute façon, le principal est acquis. Dans la chocolaterie
que nous avons sauvée, Net Cacao, mes camarades me remercient de
lavoir écrit. Jean Ziegler ma fait un beau cadeau,
une préface élogieuse pour tous ceux qui se battent. Ceux
qui lont lu me disent lavoir aimé. Olivier
Besancenot la lu… Alors…
Alors, faites comme eux, plongez dans vos souvenirs, dans cette
histoire dont vous connaissez la partie marseillaise. Allez plus loin,
vers ce que la presse nationale vous a caché. Tout y est
daté, les actions, les courriers les plus importants, la
stratégie, les victoires judiciaires, la joie, les doutes, les
pressions, les soutiens politiques et aussi lindifférence
de certains élus devinez lesquels? Jai tenu
à parler de mon enfance afin que vous puissiez me
connaître un peu. Cela nest pas facile de se livrer ainsi,
mais jespère que les dirigeants de Nestlé, qui
liront sans aucun doute ce petit livre, comprendront enfin que
derrière chacune de leurs cibles, il y a un être humain.
Jespère que dautres le feront aussi. Je tiens
à vous remercier, toutes et tous, et je fais le souhait que
cette nouvelle année soit meilleure que la
précédente. Pour vous, vos familles, vos amis. Pour nous.
* Cette présentation a
été très légèrement
abrégée. Les coupures de notre rédaction sont
indiquées.