Palestine«Nous comptons sur vous pour dire que cela ne peut plus durer»

Palestine
«Nous comptons sur vous pour dire que cela ne peut plus durer»


Entretien avec Samar Awach, coordinatrice du PWWSD (Palestinian Working
Woman Society for Development, ou Société de la Femme
Active Palestinienne). Ex-conseillère municipale de Naplouse,
elle est membre du Conseil national palestinien et de sa commission
internationale des femmes. Elle répond aux questions de
Pierrette Iselin, membre de la «mission femmes» qui revient
des territoires occupés.

Peux-tu nous dire à quels problèmes vous devez faire
face aujourd’hui, avec l’aggravation de l’occupation?

La situation empire de jour en jour. Nous avons de tels
problèmes aux niveaux national et local que notre travail
quotidien pour la lutte des droits des femmes est fortement compromis.

Ici à Naplouse, par exemple, beaucoup d’entreprises
ferment. Le chômage a pris une pente ascendante et dépasse
la moyenne nationale: 67% des travailleurs et travailleuses sont au
chômage et il n’y a plus que 13 % des femmes qui
travaillent. Cette situation est encore aggravée par les
multiples obstacles de l’occupation.

Si le mari est arrêté, la femme se trouve
confrontée à de multiples responsabilités, en plus
des difficultés habituelles. À la peine et aux soucis dus
à l’occupation s’ajoutent de nombreuses dé-
marches et la préoccupation de sa survie et de celle de ses
enfants. Si le mari est assassiné, c’est pire encore. Elle
devient cheffe de famille, pratiquement dénuée de tout
moyen de subsistance, sans aucun soutien social. Je te donne un
chiffre: lors de la première Intifada (dans les années
90), le nombre de femmes cheffes de famille était de 7,8%, mais
actuellement il s’élève à 18 %. La
précarité du travail s’étend et tu vois de
plus en plus de femmes de la campagne et de la ville qui travaillent
dans
le secteur informel.

Cette pauvreté est-elle un facteur de régression?

Absolument et nous subissons de plein fouet les sanctions
imposées par la communauté internationale. Cette punition
est un véritable calvaire pour les femmes. Dans une ville comme
Naplouse, par exemple, les blocages et les restrictions rendent la
situation intenable.

Peux-tu me donner des exemples?

En venant de Tulkarem, tu as passé le check-point de Beit Iba.
Heureusement, il était ouvert. Mais le jour
précédent, il était fermé pendant toute la
journée et c’est courant. Après une
prétendue alerte de sécurité, des civils peuvent
voir leur passage retardé durant des heures. Les femmes avec
leurs enfants, les femmes enceintes, les femmes âgées sont
bloquées avec le reste de la population devant des
check-points qui restent désespérément
fermés et toute activité est ainsi impossible. En plus de
la souffrance de l’attente, sans pouvoir faire de projets pour la
journée, elles ne peuvent pas compter sur l’espoir
d’un gain même minime ou d’une solution pour leur
famille. 1

Comment développer des organisations qui puissent
défendre les droits des femmes et leur assurer un minimum vital?

Notre association, le PWWSD, l’association des femmes
travailleuses, a toujours eu comme but de se battre à plusieurs
niveaux: tout un travail est développé pour le programme
d’éducation civique afin renforcer le rôle de la
femme dans la société. On mène aussi une action
qui vise à la formation des familles, en lien avec des
associations caritatives. Nous organisons également un groupe de
pression qui travaille au niveau parlementaire. Ce comité
recueille les avis des gens pour changer la vision des femmes à
l’échelon décisionnel du parlement. (Au Parlement
national, sur 132 membres, il y a 17 femmes élues dont 8 du
Fatah, 6 du Hamas et 3 indépendantes).
 
Sur le sujet de la femme réfugiée, par exemple, nous
essayons de mettre en relation le parlement et les femmes. Dans le camp
de réfugiés de Balata à Naplouse, on organise des
réunions avec les femmes et les responsables du camp. Et
l’on envisage des solutions pour le quotidien des femmes dans le
camp. Sur la question des mariages précoces, nous travaillons
avec un avocat qui organise des réunions avec toutes les parties
concernées. Grâce à ces rencontres, nous avons pu
faire des propositions pour changer la loi au niveau national. Nous
avons proposé de fixer l’âge minimum du mariage
à 18 ans.

Il existe aussi un projet d’aide d’urgence pour les
familles touchées par les crimes de l’occupation. Tous les
jours, il y a des destructions de maisons opérées par
l’armée israélienne. L’armée arrive
avec ses chiens, pour détecter les explosifs, évacuer
tous les habitants et fait exploser la maison. Dans le camp de Balata,
où les maisons s’appuient les unes aux autres, une telle
explosion a des conséquences irrémédiables. Les
habitants ne sont pratiquement pas protégés. Nous venons
en aide à ces familles. Mais jusque-là, seuls les hommes
avaient accès à ces subventions. Nous avons obtenu que
les femmes reçoivent aussi ce secours pendant trois mois.

À Naplouse, tu as pu constater aussi la montée de
l’insécurité. Il y a de plus en plus de
cambriolages, de voitures volées, d’effractions de
bijouteries. Les bandes rivales maffieuses se développent de
plus en plus et les simples passants peuvent recevoir des coups de feu
en plein jour, en se promenant. Nous avons constitué un
comité de femmes sur ces questions et nous avons des
propositions pour trouver des solutions à ce chaos grandissant.

Comment vous accommodez-vous de la montée du Hamas, qui en
soi, n’est pas vraiment un mouvement progressiste pour les
femmes?

Il faut déjà dire une chose: la victoire du Hamas est
issue d’un choix démocratique. Notre but est de contribuer
à reconstruire l’unité nationale entre les divers
partis. Le Hamas fait partie de notre société. Cela peut
expliquer que 60 % des femmes votent au niveau national pour le Hamas.
Par conséquent, il est très important de contribuer
à ce que le Hamas participe à la vie politique et au
processus démocratique. Notre travail consiste à se
rencontrer et à dialoguer. Le discours du Hamas envers les
femmes a déjà évolué. Il ne dit plus que
les femmes doivent rester à la maison, mais il accepte que les
femmes travaillent pour subvenir aux besoins de la famille. Localement,
nous pouvons nous mettre d’accord, faire entendre notre voix et
arriver à des résultats. Seulement, il faut vraiment que
nous obtenions des conditions générales d’aide
internationale qui puissent nous sortir de l’impasse.

Jusqu’ici, Israël, les USA et l’Union
européenne font tout pour déstabiliser le nouveau
gouvernement. Alors que nous sommes prêts à
développer un gouvernement d’union nationale, les
sanctions ne sont toujours pas levées.

Tu penses que nous allons vers une solution de paix?

En ce qui concerne les femmes, nous oeuvrons grandement pour la paix.
Nous sommes opposées aux rivalités entre factions.
À Naplouse, en novembre dernier, nous avions réuni plus
de 300 femmes pour exiger l’arrêt des violences entre
Palestiniens. Notre voix doit être entendue. Mais nous comptons
sur vous aussi, au niveau international, pour dire que cela ne peut
plus durer, qu’il faut lever les sanctions et s’opposer
à l’occupation. Faites tout votre possible auprès
de la communauté internationale et de l’Europe pour
garantir nos droits.

1 Le Commissaire européen Louis Michel en visite dans les
territoires occupés a estimé le jeudi 26 avril que
«la situation humanitaire dans les territoires n’a sans
doute jamais été aussi mauvaise. Près de 60% de la
population vivent désormais sous le seuil de pauvreté de
2 euros par jour. Depuis 2006, la pauvreté a augmenté de
30%. Près de 35 % de la population, soit 1,3 million de
Palestiniens, sont victimes d’insécurité
alimentaire.» Le Monde de dimanche-lundi 30 avril 2007.