Entretien avec Antonio Coi du groupe musical «Terzada»

Entretien avec Antonio Coi du groupe musical «Terzada»



A l’occasion de la campagne pour
l’éligibilité des immigré-e-s dans le canton
de Neuchâtel, nous nous sommes entretenus avec Antonio Coi, du
groupe musical de la Colonia Libera Italiana «Terzada»,
à Neuchâtel. Originaire de Salve dans Les Pouilles en
Italie, Antonio est arrivé en Suisse à 15 ans. Il y a
fait sa vie et fondé une famille. Depuis 35 ans, le groupe
«Terzada» a animé de nombreuses manifestations,
acclimatant notamment en terre neuchâteloise «Bella
ciao», le chant des partisans italiens.

Comment es-tu venu en Suisse?

Antonio Coi: J’ai quitté Salve en juin 1961, avec
l’un de mes frères et l’une de mes sœurs,
après le décès de ma mère.

Mon père, qui avait été secrétaire du PCI
local, était parti chercher du travail en Suisse, en
1949.1C’était le premier saisonnier italien à
Cressier (NE), 10 ans plus tard il a obtenu le permis B. Comme tous les
immigré-e-s, il a dû passer une visite médicale
à la frontière. On te refoulait au moindre
problème: ainsi, mon oncle – décédé
à 89 ans! – n’a pu entrer en Suisse pour cause de
tension artérielle trop élevée…

Je suis arrivé en Suisse à l’âge de 15 ans:
trop vieux pour l’école, trop jeune pour travailler.
Pendant ces quelques mois d’inactivité, j’ai
découvert la xénophobie contre les immigré-e-s,
sous forme d’agressions verbales ou physiques. Après un
petit emploi de livreur, j’ai trouvé un emploi dans une
entreprise de gravure industrielle. Enfin, j’ai travaillé
à l’usine Favag (NE), fermée en 1989.
 
Beaucoup d’immigré-e-s, dans cette usine, étaient
membres de la Colonia Libera Italiana. Nous avons contribué
à former une commission ouvrière combative. Lors
d’une vague de licenciements, les ouvriers ont manifesté
devant le siège du trust ASCOM, à Berne. Nous
n’avons pu empêcher la fermeture de l’usine, mais
nous avons obtenu un plan social meilleur que les
précédents.

Peux-tu nous dire quelle fut l’activité de «Terzada»2 durant toutes ces années?

Je pense que l’expression musicale – populariser les chants
du mouvement ouvrier – est une manière de militer. Nous
avons fondé «Terzada» en 1970, lors de la
première initiative xénophobe. En 1974, nous chantions
contre la deuxième initiative de l’Action nationale; nous
avons aussi enregistré un disque pour soutenir
l’initiative «Etre solidaire» contre le statut de
saisonnier, en 1981. Nous avons aussi chanté contre Franco,
Pinochet et les colonels grecs, pour les travailleurs de Bulova et
Dubied à Neuchâtel en 1976 et lors de la grande
manifestation pacifiste de Berne, dans les années 1980. Mais ces
activités me semblent oubliées aujourd’hui…

Le 17 juin, on vote à Neuchâtel sur
l’éligibilité des immigrés. Pourquoi la CLI
s’est-elle engagée depuis 30 ans en faveur des droits
politiques?

Les premiers immigrés pensaient travailler en Suisse quelques
années, puis rentrer. Mais nous sommes restés ici, et nos
enfants y sont nés. Nous faisons partie de la
société neuchâteloise. Ce n’est pas normal de
devoir vivre ici sans avoir les mêmes droits.
J’espère donc que l’initiative «Pas de
démocratie au rabais» passera. 

Aujourd’hui, la xénophobie cible, non plus les
Italiens, mais les derniers immigrés arrivés. Comment
combattre ce courant ancré dans la vie politique suisse?

La mémoire historique se perd: on a oublié que les
immigrés italiens vivaient entassés dans des baraques.
Des restaurants affichaient: «Entrée interdite aux chiens
et aux Italiens». Le statut des saisonniers (condamnant les
femmes et les enfants à la clandestinité) a
séparé et même détruit des milliers de
familles.

J’ai vécu tout cela, je ne peux donc pas me taire en
voyant que d’autres vivent aujourd’hui des situations
similaires. Il est vrai que les politiciens xénophobes savent
manipuler le mal-être, les préjugés et les
angoisses. Ce n’est pas une solution. Au contraire, il faut
favoriser l’intégration, avec du travail et les
mêmes droits pour chacun-e (quelque soit son origine), là
où il/elle vit.

Propos recueillis par Hans-Peter Renk

1 Sur 4800 habitants de Salve, 1000 ont émigré en Suisse dans les années 1950-1970.
2 Trois membres: Antonio e Elvio Coi, Nicola Grecuccio.

Discographie:

– Disque / cassette: «Ombre» avec la chanson Lo stagionale.

– Cassette «Musiques d’ailleurs», avec des groupes
espagnols et portugais («Salut l’étranger»,
1994).

 – CD «Per non dimenticare»: chansons de lutte
Disponibles chez: Antonio Coi, rue de la Main 4A, 2000 Neuchâtel.