Immigration corvéableLe «Permis Z» de G.W. Bush soutenu par une majorité du Sénat

Immigration corvéable
Le «Permis Z» de G.W. Bush soutenu par une majorité du Sénat

L’emploi d’une frange
croissante de migrant-e-s sans statut légal exerce une pression
croissante sur les conditions de rétribution et de travail de
secteurs de plus en plus étendus du salariat. C’est dans
ce contexte, qu’on assiste aujourd’hui à la
formalisation de régimes juridiques d’exception pour ces
salarié-e-s discriminés, dans le cadre de l’OMC,
mais aussi des grands Etats du Nord, comme la France ou les Etats-Unis.
George W. Bush vient en effet d’obtenir une majorité au
Sénat pour son «Permis Z», qui vise à
enregister tous les «clandestins» en vue d’une
admission très provisoire.

Depuis les années 80-90, dans les pays industrialisés, la
montée régulière du taux de chômage, le
développement d’un sous-emploi de longue durée, les
attaques répétées contre la prévoyance
sociale et les services publics, mais aussi la mise en concurrence
accrue des salarié-e-s à l’échelle
internationale (libre-échange et libéralisation des flux
de capitaux) ont conduit à une dégradation durable des
conditions de vie d’une fraction croissante des
travailleurs-euses. Cette offensive généralisée
repose sur la reconstitution d’une «armée de
réserve industrielle» à l’échelle
internationale, pour faire jouer directement la pression d’une
masse de sous-employé-e-s sans droits sur les troupes actives du
salariat.

Les fruits et légumes de la colère

L’agriculture représente la pointe avancée des
expérimentations les plus brutales, notamment dans le secteur
des fruits et légumes, qui se signale en amont par de gros
investissements (intrants mécaniques et chimiques) et
l’exigence d’une main-d’œuvre importante et
ultra-flexible (disponible quoi qu’il arrive, durant de courtes
périodes, difficiles à fixer à l’avance,
parce que dépendant de nombreux aléas), et en aval par
les exigences tyranniques de la grande distribution. Cette
configuration, de plus en plus répandue en Europe, vient de
Californie, où l’on a souvent
«mexicanisé» la récolte des fruits, faute de
pouvoir la mécaniser.

Dans ce type d’activités, «les rapports sociaux sont extrêmement violents»,
note Jean-Pierre Berlan. Faisant allusion tant aux ratonnades
d’el Ejido de 2001 qu’à l’assassinat de deux
inspecteurs du travail en Dordogne, il y a bientôt trois ans, il
ajoute: «L’agriculteur dont les fruits sont mûrs et
qui risque de perdre son année, s’ils ne sont pas
récoltés au plus vite, prendra son fusil pour avoir la
main d’œuvre nécessaire et pour empêcher toute
organisation de sa part […] Cette main d’œuvre est
immigrée. Pourquoi? Parce qu’il faut des gens qui puissent
être payés à des tarifs tout à fait
inférieurs à ceux qui se pratiquent en France. Il faut
des gens qui soient parfaitement malléables et à la
disposition des employeurs. Ce qui est le cas des ouvriers
immigrés et particulièrement des clandestins»(Le
Goût amer de nos fruits et légumes, num. hors-série
de Informations et commentaires: le développement en question,
mars 2002).

L’OMC contre les salariés

Sur le plan juridique, les contrats prévus par «le mode
4» de l’AGCS (Accord général sur le commerce
des ervices), négocié au sein de l’OMC,
prévoient un travail migrant détaché, qui ne peut
pas donner droit à un titre de séjour: le-la
salariée détaché ne peut résider dans le
«pays d’accueil» que dans le cadre strict d’une
relation contractuelle de durée déterminée.
Ils-Elles n’accèdent pas au marché du travail des
pays où ils-elles interviennent, n’ont rien à voir
non plus avec leur droit du travail ou leur protection sociale (Antoine
Math & Alexis Spire, «Des travailleurs jetables», Plein
Droit, n° 61, juin 2004). C’est la même logique que
reprend la fameuse directive Bolkestein, controversée au sein de
l’UE…

En France, l’Office des Migrations Intenationales (OMI) a mis au
point des contrats de courte durée, de 4 à 8 mois, avec
le Maroc, la Tunisie et la Pologne. A la fin du contrat,
l’ouvrier-ère a une semaine pour se présenter dans
le bureau de l’OMI de son pays d’origine, au risque de
perdre le droit d’obtenir un nouveau contrat. Dès son
premier contrat, le salarié-e est lié à son
patron, seul habilité à l’embaucher à
nouveau. Il n’a pas droit aux mêmes prestations sociales
que le salarié-e français… De nombreuses années
de travail sous contrat OMI ne donnent pas droit à un titre de
séjour. «Le travailleur OMI est en transit
perpétuel». Sa présence «se réduit
à sa force de travail[…] le travailleur en tant que personne
juridique n’est pas présent sur le sol français
[…] car tandis que son enveloppe physique travaille en France, sa
personne morale reste sur le sol marocain. La force de travail est
dissociée du travailleur» (Marion Henry, «Le
Goût amer de nos fruits et légumes», num.
hors-série de Informations et commentaires: le
développement en question, mars 2002).

Les Etats-Unis en pointe

La situation du marché du travail aux Etats-Unis est à la
pointe de telles évolutions: en 2005, le Department of Homeland
Securitydénombrait ainsi 11,6 millions
d’immigré-e-s légalement enregistrés (Green
Cards), contre 10,5 millions de «sans statut légal»,
dont 80% seraient entrés dans le pays après 1990
(à ce chiffre, il faut ajouter 1,5 million de
«précaires», avec des statuts provisoires ou mal
définis).

Parmi les clandestin-e-s et les ultra-précaires, on relevait une
majorité de Latino-américains: de 1995 à 2004, la
force de travail du pays s’est ainsi accrue de 7 millions de
Latinos supplémentaires, en majorité clandestin-e-s (soit
46% du surcroît total). C’est pourquoi, le salaire
hebdomadaire médian des Latinos nés à
l’étranger ne représente que les 74,2% de celui de
ceux-celles qui sont nés aux Etats-Unis (contre 96,1% pour les
Asiatiques) (Kim Moody, «Immigrant Workers in the United
States(Part 1)», Solidarity 127, mars-avril 2007).

Aujourd’hui, l’administration Bush a proposé la
généralisation d’un sous-statut de clandestin-e
enregistré, stigmatisé et temporairement
toléré: le permis Z, qui a reçu
l’approbation de la majorité du Sénat le 19 mai
dernier. Elle se distancie ainsi des positions les plus extrêmes
de l’aile ultra-conservatrice du Congrès, qui
réclame la déportation immédiate des
immigré-e-s sans statut légal – le 30 mars 2006, le
représentant républicain de Californie déclarait
ainsi: «Les millions de jeunes
gens qui sont prisonniers dans ce pays peuvent ramasser les fruits et
les légumes. Je dis: faisons cueillir les fruits aux prisonniers!
».
En réalité, elle fait droit aux pressions du Big
Businessen faveur d’un sous-statut légal pour une
immigration bon marché. Jugeons-en plutôt…

Le Permis Z de la Maison Blanche

Tout d’abord, l’administration annonce un vaste programme
d’intensification du contrôle policier. Depuis 2001, les
fonds alloués au contrôle des frontières ont plus
que doublé: de 4,6 à 10,4 milliards de dollars par an
(18000 agents prévus pour 2008, contre 9000 en 2001, plus des
centaines de miles de clôtures supplémentaires);
détention et relevé des empreintes digitales des
clandestin-e-s interceptés en vue de leur exclusion
définitive du territoire. Ensuite, l’enregistrement
électronique des clandestin-e-s «sortis de
l’ombre» en échange d’une promesse de
régularisationn temporaire permettra la vérification
systématique du statut des salarié-e-s embauchés
(renforcement de la sécurité des documents
d’identité requis, fichier des ayant-droit consultable
«on line» par les entreprises, et renforcement de la
pénalité imposée aux employeurs).

La régularisation temporaire dont il est question est
réservée à ceux-celles des sans papiers qui
pourront prouver qu’ils étaient sur le territoire en
janvier 2007, moyennant une amende de 1000 $, une inscription au
«casier judiciaire» de leur infraction et la requête
d’un permis Z qui leur accorde un statut légal de trois
fois 2 ans (avec une année passée au-dehors des USA entre
chaque terme), mais sans droit aux prestations sociales. Ils-elles ne
pourront faire venir leur conjoint ou leurs enfants, que
s’ils-elles peuvent prouver qu’ils-elles ont les moyens de
les entretenir et de les assurer contre la maladie. La mise au
chômage signifiera aussi la perte immédiate de la
régularisation temporaire!

A l’avenir, l’attribution de Green Cards(permis
d’établissement) à cette catégorie
d’immigré-e-s sera très sélective: ils
devront payer 4000 $ d’amende supplémentaire, passer un
examen d’anglais, quitter le pays pour solliciter un statut
permanent depuis l’étranger en démontrant que leurs
compétences sont utiles aux Etats-Unis… et attendre leur
tour… (un processus évalué à une dizaine
d’années pour les plus chanceux-euses). Comme le
soulignait G.W. Bush dans son allocution radio-diffusée du 19
mai: «Cette législation transformera notre système
d’immigration pour que les décisions futures quant
à l’immigration soient conditionnées par
l’admission des immigrants ayant les compétences,
l’éducation et la connaissance de l’anglais
nécessaires pour booster la compétitivité des
Etats-Unis dans l’économie globalisée» (voir
à ce propos le site de la Maison Blanche: «Fact Sheet:
Border Security and Immigration Reform», www.whitehouse.gov/infocus/immigration).

Jean Batou