PalestineAux sources d’un déchirement fratricide
Palestine
Aux sources dun déchirement fratricide
Le spectacle désolant de laffrontement des groupes
armés palestiniens, lexpulsion par le Hamas des
dirigeants de lAutorité palestinienne de la bande de
Gaza, la nomination par cette dernière dun gouvernement
fantoche pro-occidental illégitime: tout cela ne peut que
réjouir ceux qui, dune manière ou dune
autre, approuvent la mise sous tutelle du peuple palestinien. Le
mouvement de solidarité va sans doute se trouver dans une
situation plus difficile encore; limbroglio semble en effet
inextricable, laffrontement presque permanent et
lincompréhension croissante. Raison de plus de tenter
dy voir clair.
Dans une analyse fouillée de la situation, Nicolas Qualander,
spécialiste de la région et membre des Campagnes civiles
internationales pour la protection du peuple palestinien (que
lon trouvera sous www-protectionpalestine.org)
rappelle que depuis plus dun an, un véritable coup
dEtat rampant sest progressivement mis en place dans les
territoires palestiniens, visant à isoler et à
marginaliser le Hamas, vainqueur des dernières élections.
Ce processus sappuyait sur trois fronts: «un front international, par le blocage des aides attribuées à lAutorité palestinienne et le blocus imposé au gouvernement Hamas par les principales puissances occidentales; un front israélo-palestinien, qui sest traduit par des offensives militaires redoublées de la puissance occupante, et par larrestation systématique des parlementaires et dirigeants du Hamas; un front interne palestinien enfin, matérialisé par la collaboration pure et simple de certaines factions du Fatah avec les appareils de sécurité américains, jordaniens et égyptiens, avec la collaboration dIsraël, qui a permis le transfert darmes à destination du Fatah. Ce dernier front était bien entendu symbolisé par Muhammad Dahlan et par le financement et lentraînement de 5000 de ses hommes en Egypte avec la collaboration des services de sécurité américains. Quel que soit le jugement porté sur le Hamas et ses options politiques,
le mouvement de solidarité avec la Palestine ne peut que
condamner cette politique tripartite, visant à détruire
un mouvement politique de masse porté au pouvoir par les urnes,
en isolant et en divisant les Palestiniens entre eux et en favorisant
les germes dune guerre civile dont les conséquences sont
encore incalculables, tant sur le champ politique palestinien que
moyen-oriental en général.»
Reste alors à comprendre pourquoi, sans tomber dans la théorie du complot, cette stratégie a abouti.
Désorientation et décomposition politico-sociale
Une des premières racines de la situation actuelle tient aux
effets du morcellement des territoires palestiniens par le fait du
développement dun dense réseau de colonies
israéliennes. «Les
territoires palestiniens balkanisés, sont apparues les
conditions subjectives pour que se développent les logiques de
localisme chez les palestiniens même. Les Palestiniens ne se
pensent une nation quidéalement. Pratiquement, ils se
vivent aujourdhui, du fait de loccupation, comme un
ensemble disparate de territoires non contigus, de populations toutes
soumises à des logiques dexception et de
répression pratiquées par Israël selon des
modalités différentes. Le développement des
logiques claniques, la re-création de logiques familiales, de
quartiers, de villes, la division Cisjordanie-Gaza, les
différenciations sociales entre les campagnes, les camps de
réfugiés et les villes ont été
exacerbées et démultipliées du fait de
loccupation. Or, encore une fois, comment pratiquer le politique
dans ces conditions? Comment développer un mouvement de
libération nationale unifié et ne serait-ce que
coordonné lorsque toute condition spatiale et matérielle
de circuler et de communiquer est réduite à néant?»
Cette logique objective de partition donc
dautonomisation de la violence a été
favorisée par la politique occidentale, en particulier
étasunienne, dans la région, avide de diviser la
société (libanaise, irakienne, palestinienne) en
attendant une recomposition favorable à ses
intérêts.
Dominance de laffrontement armé
Bureaucratisé, étatisé, reposant de plus en plus
sur lexistence des multiples appareils de répression de
lAutorité palestinienne, le Fatah porte une immense
responsabilité dans la situation actuelle. La victoire
électorale du Hamas fut dabord une protestation contre un
mouvement souvent corrompu financièrement et politiquement, se
voulant seul à tout détenir: la légitimité,
la majorité, lEtat, ladministration et la police.
Pour sa part, le Hamas, dans sa logique daffrontement exclusif
avec lAutorité palestinienne a opté ces
dernières semaines pour une politique plus que
problématique. «Il na à aucun moment maîtrisé les instruments militaires quil a mis en uvre: la population gazaouite na pu soutenir laction du Hamas, ce dernier
permettant et laissant faire une série dexactions et de
dérives violentes par ses miliciens: exécutions
sommaires, jusque et y compris dans les chambres des hôpitaux,
barrages, fouilles humiliantes, vengeances exercées non pas
seulement contre les miliciens du Fatah, mais contre leur familles,
arrestations de journalistes liés ou non à
lAutorité. Le Hamas na ni le contrôle de sa
politique, ni celui de sa violence. Et cest là un
considérable retour en arrière pour ce Parti, qui avait
su, tout en se nationalisant et en se palestinisant, reconnaître
le caractère foncièrement pluraliste de la
société palestinienne, et avalisait un certain nombre de
principes, dont celui de la démocratie comme constituante du
nationalisme anticolonial».
Cette double critique doit éviter au mouvement de
solidarité de reproduire soit une image idéalisée
du Fatah, par peur de lislam politique, soit
dadhérer à une vision «campiste» et
manichéenne, soutenant inconditionnellement le Hamas, ignorant
les problèmes soulevés par son attitude politique et
militaire de réaction au coup par coup. Lobjectif sera
alors, pour la solidarité internationale, de soutenir
«toutes les dynamiques tendant à refonder un mouvement
national palestinien de libération et une culture de la
résistance aujourdhui en crise structurelle, et à
accompagner les mouvements qui en sont et en seront les porteurs».