Barrage des Trois-GorgesLa catastrophe potentielle officiellement admise
Barrage des Trois-Gorges
La catastrophe potentielle officiellement admise
Le symbole est trop beau pour y
croire. Un mois après que lorgane de
référence de tous les boursicoteurs du monde entier, le
Wall Street Journal, a publié un article relevant tous les
dangers apparus depuis la mise en eau du barrage,
lofficialité chinoise reconnaît enfin que «si des mesures préventives ne sont pas prises, le projet pourrait déboucher sur une catastrophe».
Cet aveu doit cependant moins aux interrogations de la Bourse de New
York quà la crainte de la bureaucratie centrale devant
laccumulation des problèmes sociaux et écologiques.
Les risques environnementaux et écologiques du barrage des Trois
Gorges sur le Fleuve bleu (Yangzi Jiang ou Yang Tsé Kiang selon
les transcriptions) sont connus depuis longtemps (voir à ce
propos solidaritéS no 37 du 3.12.2003) et nombre
décologistes chinois se sont époumonés
à les faire savoir, entre deux phases répressives. Ce qui
a changé, cest la position officielle, jusqualors
toute empreinte dun optimisme de commande, allant
répétant quil ny avait pas de
problèmes, que tout avait été prévu et que
tout était sous contrôle. Comme toujours dans les
régimes bureaucratiques, la reconnaissance dune
évidence élémentaire tient moins à une
avancée épistémologique quà un
changement de rapport de force au sommet. Dans la perspective du XVIIe
congrès du Parti communiste, le président Hu Jintao, dont
les doutes quant à la maîtrise du projet pharaonique sont
connus, lance un avertissement aux partisans de lancien
président Jiang Zemin (la «bande de Shanghai»), qui
a quitté la présidence de la puissante Commission
militaire centrale en 2004. Développementistes à tout
crin, ils sont susceptibles, par la brutalité de leur action, de
déséquilibrer «lharmonie sociale» que
tente de préserver Hu. Qui sait, comme le titre le Quotidien du
Peuple, que «la situation environnementale chinoise continue de
se détériorer» et que, par exemple, la
qualité des eaux des cours deau laisse plus
quà désirer: dans la moitié dentre
eux, elle nest plus potable, quand les poissons ny
meurent pas tout simplement. Dans les grandes villes, seules 69,3%
dentre elles disposent dune eau qualifiée
simplement d«agrée», en recul de 5% par
rapport à lannée précédente.
«Tous les problèmes sont plus sérieux que ce que nous avions prévu»
Cest la déclaration faite par Weng Lida, ancien
responsable de lorganisme gouvernemental chargé de
protéger leau et lenvironnement du bassin du Yang
Tsé Kiang et actuel secrétaire général du
Forum du fleuve qui le constate. Laggravation de la
réalité en regard des prévisions des experts
touche plusieurs points sensibles. Lors du séminaire de Wuhan,
qui vit les responsables gouvernementaux plancher sur le
problème, Wang Xiaofeng (directeur du projet près du
gouvernement) les avait énumérés: «Les risques de glissement de terrain, dérosion des sols, de pollution de leau, de conflits causés par les pénuries deau et de terrain ou tout autre dommage dû à un développement déraisonné ont été amplifiés, en aucun cas réduits». Le même ajoutait, bien dans la nouvelle ligne politique: «nous ne pouvons pas sacrifier notre environnement à des perspectives de prospérité à court terme».
Parmi les nombreuses sous-estimations des experts, on notera celle de
la rapidité avec laquelle les sédiments
saccumulent dans le lac de rétention.
Lérosion, accrue par la déforestation et la
culture intensive, du proche plateau du Tibet entraîne chaque
année plus de 500 millions de tonnes de vase dans les gorges du
fleuve. Si la sédimentation entraînée est trop
rapide, le barrage ne pourra plus contenir les risques
dinondation (écrêtage). En aval, en revanche,
labsence de ces sédiments, qui jouaient un rôle
dengrais naturel lors des crues, amènera les paysans
à recourir à lagrochimie (comme dans la
vallée du Nil). Doù une intense pollution de
leau du fleuve, déjà transformé en cloaque
en amont: les niveaux de phosphores et dazote sont
aujourdhui dix fois supérieurs à ce quils
étaient il y a dix ans; le déversement des eaux
usées dans leau retenue par le barrage a doublé
entre 2000 et 2005.
Le poids de leau
Le plus inquiétant réside toutefois dans lerreur
commise à propos des effets physiques et géologiques de
lénorme masse deau accumulée dans le lac de
retenue de près de 600 km de long. Le niveau de leau
variant en fonction des impératifs de contrôle des crues
et de production de lélectricité, les bords du lac
et de ses affluents sont soumis à de constantes variations de
pression. Selon la nature des sols, leur résistance
samenuise plus ou moins. Linstabilité des terrains
était donc prévisible, selon un rapport de scientifiques
anglais du Collège impérial de Londres, qui la qualifie
de «risque le plus répandu dans les gorges». Mais
ajoute aussitôt quil ira en saggravant, vu la
situation actuelle.
Ces mouvements de terrain ont déjà fait des victimes. Le
reportage du Wall Street Journal explique ainsi que «le 14 juillet, une langue de terre denviron un kilomètre de long et autant de large et dune hauteur de 18 mètres, sest détachée dune montagne située sur un affluent des Trois-Gorges. Treize fermiers ont été balayés par la boue et les débris. La masse de terre, en frappant leau, a provoqué une vague haute de deux étages, brisant 20 bateaux et noyant onze pêcheurs. Les fonctionnaires ont accusé les pluies diluviennes, les géologues ont expliqué que la différence de pression minait les roches le long des rives du fleuve.»
Tan Qiwei, vice-maire de la métropole de Chongquin, qui jouxte
le barrage, a expliqué que les bords du réservoir se sont
écroulés à 91 endroits et quau total 36 km
sétaient ainsi effondrés.
Cette mésestimation des effets de la masse deau est
inquiétante pour une autre raison. Le barrage a en effet
été construit dans une zone moyennement sismique (risques
de séismes de 6 sur léchelle de Richter). Sachant
que le poids de la retenue accroît ces risques, les
ingénieurs chinois ont calculé que le barrage devait
être résistant à un séisme de 7. Il faut
espérer que cette prévision est plus correcte que celle
touchant aux glissements de terrains. Sans quoi la catastrophe qui
toucha la ville de Zhumadian dans la province de Henan en 1975
où les barrages seffondrèrent les uns après
les autres entraînant la mort de 200 000 personnes risque
de nêtre quune vétille à
côté de ce qui pourrait se passer dans la vallée du
Yang Tsé Kiang.