BelgiqueLes raisons d’une crise gouvernementale
Belgique
Les raisons dune crise gouvernementale
Alors que les médias romands et
certain-e-s politicien-ne-s observent avec une suffisance migoguenarde,
mi-paternaliste, la crise politique belge, nous avons demandé
à David Dessers, journaliste à La Gauche, de replacer cet
ébranlement de lEtat unitaire dans son contexte social et
politique. Voici les principaux éléments de sa
réponse.
Le pays traverse une crise politique et la population assiste
passivement au spectacle. Car en dépit des sondages qui
évoquent une radicalisation communautaire, il ny a pas de
mobilisations ou dactions, ni parmi les Flamands, ni parmi les
francophones. Cest une crise de «ceux den
haut», un conflit entre les fractions bourgeoises de ce pays sur
le type dEtat ou de réforme de lEtat dont elles
ont besoin pour pouvoir imposer plus efficacement leur politique
néolibérale à la majorité sociale. Pour
certains, tout est simple: la bourgeoisie veut communautariser encore
plus le pays, renforcer la division de ce dernier en divisant la classe
ouvrière. Diviser pour régner, en somme. Mais les choses
ne sont pas si simples. Il y a de toute évidence un conflit
réel au sein de la classe dominante. Il existe toujours parmi
elle une fraction belgiciste, unitariste, représentée en
partie par la FEB (organisation patronale, réd.) qui, avec le
Palais royal en première ligne, mise sur le vieil appareil
dEtat Belgique plutôt que sur une aventure
séparatiste. Et il y a, surtout en Flandre, une fraction de plus
en plus forte qui souhaite que le démantèlement partiel
de lEtat belge lui permette de jeter aux orties toute une
série de compromis sociaux caractéristiques de la
vieille Belgique. Lorsque les partis flamands
présents à la table de négociation proposent
aujourdhui de scinder le marché du travail, il va de soi
que leur intention explicite est de démanteler les statuts du
travail ainsi que les allocations sociales, tâche qui leur semble
plus facile à réaliser dans le cadre
socio-économique flamand que dans le cadre belge.
Bien entendu, le Cdh (Centre démocrate humaniste, ancien parti
social-chrétien, réd.), le MR (Mouvement
réformateur, regroupement libéral francophone,
réd.) et la FEB souhaitent tout autant mener une politique de
droite agressive, mais ils préfèrent quant à eux
utiliser à cette fin lEtat Belgique comme instrument le
plus adéquat. Quand Karel De Gucht (dirigeant des
libéraux flamands, réd.) affirme que le commerce
extérieur ferait mieux dêtre géré
à nouveau au niveau fédéral, cest tout
bonnement parce quil estime que cest à
lavantage des entreprises de Flandre, de Bruxelles et de
Wallonie, en termes dexportations. Par cette proposition, il ne
vise quà défendre au mieux les
intérêts du capital
«belge». [
]
Traquenard
En dautres termes, si on laisse la bourgeoisie et ses
alliés politiques résoudre à leur manière
la question nationale en Belgique, toute discussion sur la
réforme de lEtat ne sera par essence rien dautre
quune discussion sur le niveau le plus adapté à la
défense des intérêts de classe de cette bourgeoisie
pour mener loffensive contre la classe ouvrière. Et il se
fait quil ny a pas sur ces questions aujourdhui
dunanimité au sein de cette classe dominante. Au
contraire, les forces bourgeoises sont profondément
divisées et la crise politique actuelle nest rien
dautre que lillustration de cette division. Il faut
prendre la mesure de la situation ouverte par les élections
législatives: pour la première fois depuis longtemps, la
défaite électorale de la social-démocratie
permettait à la bourgeoise de former un gouvernement de droite
homogène au niveau fédéral… mais elle ny
parvient toujours pas! [
]
Question nationale irrésolue
Le débat qui a conduit à la crise actuelle est en effet
un piège pour la gauche. La LCR (Ligue communiste
révolutionnaire, section belge de la IVe Internationale,
réd.) a toujours reconnu lexistence en Belgique de deux
peuples, de deux sociétés au développement
inégal et combiné au sein dun même Etat. De
plus, lEtat Belgique fut historiquement un Etat francophone, au
service des intérêts dune bourgeoisie
essentiellement francophone. Lhistoire des Flamands dans cet
Etat a donc été une histoire doppression et de
lutte contre cette oppression.[
] Les injustices, oppressions et
discriminations fondamentales qui étaient faites aux Flamands
ont été principalement éliminées. Mais, du
fait que le mouvement nationaliste flamand a été
dirigé par la classe moyenne et que le mouvement socialiste
sest tenu largement à lécart de ce combat,
on sest focalisé sur des revendications et des
propositions légales, formelles et administratives, sur
légalité linguistique formelle etc. La base
économique matérielle de la domination de la bourgeoisie
francophone na jamais été remise en question. Les
revendications flamandes nont ainsi jamais été
liées aux revendications socialistes. [
]
La peste ou le choléra?
Le débat que les partis bourgeois mènent pour le moment
dans le cadre des négociations gouvernementales na tout
bonnement rien à voir avec le droit des peuples à
lautodétermination. Ce débat est mené du
point de vue des seuls intérêts de la bourgeoisie et ceux
qui, à gauche, choisiraient de sy inscrire se condamnent
irrévocablement à senfoncer dans un marais. Le
débat mené à Val Duchesse (château
emblématique, ayant accueilli en 1956 les négociations
qui débouchèrent sur les Traités de Rome,
réd.) ne porte en effet pas sur la manière
démocratique de résoudre la question nationale en
Belgique, il porte avant tout sur des questions de gros sous, sur la
stratégie néolibérale, sur des obsessions
xénophobes et des arguments racistes. Les questions
fondamentales sont occultées en faveur de discussions futiles
sur les plaques de voitures flamandes et wallonnes ou sur le
financement des chaises roulantes. Nous refusons de prendre part
à ce débat, nous ne sommes ni pour la bourgeoisie
belgiciste, ni pour les nationalistes flamands de droite. Il faut
refuser de choisir entre la peste et le choléra, entre le
néolibéralisme belgicain et sa variante
régionaliste. [
]