Comment les grandes entreprises japonaises détruisent la vie des gens

Comment les grandes entreprises japonaises détruisent la vie des gens



Nous publions ici un entretien avec
Uchihashi Katsuto*, un éminent économiste, auteur de plus
de soixante-dix livres, qui est aussi un commentateur avisé de
la vie sociale et politique du Japon. Il montre ici combien le nouveau
régime d’accumulation à dominante
fiinancière qui s’est emparé de
l’économie internationale, bouleverse aujourd’hui
l’organisation du travail et les grands équilibres de la
société nippone. Il perçoit ainsi clairement
combien les politiques néolibérales sont solidaires, non
pas d’un «moins d’Etat», mais d’une
redéfinition de l’action des pouvoirs publics dans
l’intérêt exclusif des grandes
sociétés multinationales.

* Cet entretien a
été traduit du japonais en anglais par Aaron Skabelund;
nous l’avons retraduit en français avec quelques coupures
à partir de la version anglaise publiée par Japan Focus
– An Asia-Pacific e-journal, 9 septembre 2007.

I. Quelle diversification du travail?
Pendant la session ordinaire de la
Diète, qui a débuté le 25 janvier 2007, plusieurs
changements visant la dérégulation, qui mèneraient
à l’affaiblissement des lois sur le travail ont
été proposés. Quelle idéologie se cache
derrière ces propositions? Quelques semaines plus tôt, le
1er janvier, le président du Keidanren (faîtière
patronale), Mitarai Fujio avait annoncé des propositions
semblables à celles qui ont été soumises à
la Diète. À quoi pense la communauté du monde des
affaires?

(…) Au Japon, le monde académique utilise des expressions
comme «le choix de l’emploi» et «la
diversité des modes de travail», depuis que Sakiya Taichi
a décrit «l’âge du choix de
l’emploi» et, plus récemment, depuis que Yashiro
Naohiro, membre du Conseil de la politique économique et
fiscale, a saisi l’aspiration du monde des affaires à un
âge «de diversification des modes de travail». En
réalité, «la diversité de
l’emploi» ne peut être atteinte, que si les grandes
sociétés remplissent pleinement leurs
responsabilités d’employeurs en attribuant aux
employé-e-s fixes certains droits et garanties. Mais si les
employeurs obligent les gens à travailler sans ces droits, alors
«l’âge du choix d’emploi» et «la
diversification des modes de travail» deviennent des farces
inacceptables. Pour le dire autrement, un tel système ne
signifie rien d’autre qu’une «diversification dans
les modes imposés du travail».

J’appelle ces voix dominantes (…) l’opinion qui fait
autorité (kenron) ou opinion dominante. Elle exerce un
contrôle sur la société et s’impose à
celle des gens ordinaires (minron), une opinion qui va souvent à
l’encontre de l’opinion d’autorité.
D’habitude, ce sont les opinions dominantes qui
définissent la terminologie et les conditions du débat
autour des questions sociales et politiques. Ainsi, les gens sont
souvent dupés facilement sur les problèmes relatifs au
travail. Ils ont souvent cru à tort que «l’âge
du choix de l’emploi» signifiait la liberté de
choisir leur carrière et une diversité de valeurs.
(…) Le langage employé est tout simplement frauduleux. Au
Japon, beaucoup d’intellectuels se sont rangés du
côté de l’opinion dominante, contribuant ainsi
à une manipulation agressive des débats sur les questions
du travail.

Ceci vaut également pour les discussions économiques.
Quelques personnes ont débattu de
«l’impossibilité de tout redressement sans
reformes». Pourtant, malgré l’étendue des
réformes mises en oeuvre, elles n’ont pas amené une
croissance comparable à celle du boom Izanagi [du nom
d’une divinité shintoïste], qui a duré 57
mois, de février 1965 à octobre 1969, mais «des
conditions économiques vides». En comparaison, le
redressement le plus récent de l’économie a
duré 58 mois, de février 2002 à novembre 2006.
(…) Durant cette période, la croissance du PIB n’a
été que de 1.04%.

Il n’y a pas eu beaucoup de changements, n’est-ce pas?

Ota Hiroko, Ministre de la Politique économique et fiscale,
prétend que la situation économique
s’améliore et que la croissance est plus forte que pendant
le boom Izanagi. Si cela était vrai, la Banque du Japon aurait
dû augmenter les taux d’intérêts au lieu de
les contenir vigoureusement…La première mesure récente
de redressement économique a été introduite
à la fin du premier trimestre 2003. Les profits
réalisés par quelques sociétés phares
étaient de 72%; à l’intérieur de ce groupe,
les compagnies manufacturières réalisaient même des
profits de 105%. (…) En comparaison, l’augmentation des
ventes au troisième trimestre de 2003 n’était que
de 1,2% et seulement de 1,9% l’année
précédente.

Si les ventes n’augmentent pas, pourquoi les profits montent-ils en flèche?

La raison essentielle réside dans l’augmentation
dramatique, au cours de cette période, de «la
liberté de forcer les gens à travailler». Les
conditions de possibilité d’une telle évolution
avaient été annoncées dans les discussions des
commentateurs néoliberaux: «l’emploi augmentera,
disaient-ils, si cela devient plus facile de licencier les
travailleurs-euses». Selon cette logique, le nombre
d’emplois augmente si les employeurs exercent un plus grand
contrôle sur le monde du travail. Cette logique est fausse.

Le véritable enjeu est lié à la question de savoir
comment satisfaire la demande de travailleurs. Au Japon, les tendances
récentes révèlent une tentative de transformer le
travail en marchandise en diminuant le coût total du travail
autant que possible. Ainsi, les ressources humaines deviennent un
coût flexible au lieu d’un coût fixe. Une telle
mesure nécessite des modifications légales. Il
s’agit de transférer les règles qui
régissent le monde du travail de la législation sur le
travail au droit civil et commercial. (…)

A présent il y a quatre types de travailleurs-euses dans les
usines «high-tech». Tout d’abord, une première
frontière sépare les employé-e-s fixes des autres.
Ensuite, dans ce dernier groupe, il faut distinguer trois sous-groupes:
les travailleurseuses à temps partiel, les travailleurseuses
temporaires et les travailleurs-euses quasi-indépendants. Les
grandes compagnies peuvent dire: «Si nous n’avons pas de
travail dans quelque temps, nous n’aurons plus besoin de vous.
Cela coule de source n’est-ce pas? Après tout, vous
êtes un travailleur à votre compte,
indépendant». Ce genre de pratiques est une imitation
précise du Droit du Travail introduit de longue date en Nouvelle
Zélande. De tels règlements des contrats de travail
placent un individu isolé face à des compagnies
toute-puissantes.

Des organisations qui se disent privées –Le Conseil pour
la Politique Economique et Fiscale, le Bureau pour la promotion de la
reforme de contrôle, et le Keidanren – ont une emprise
solide sur l’opinion dominante. Elles utilisent de nombreuses
astuces pour manipuler les tendances globales et pour influencer la
façon de penser des gens ordinaires. Leur position est bien
représentée par la vision du président du
Keidanren, Mitarai (président également de Canon). la
vision de Mitarai n’est qu’une version aponaise de celle
des «Chicago boys». Il a passé 23 ans aux Etats-Unis
et a été l’un des disciples de Milton Friedman,
dont les théories économiques ont largement
contribué à la banqueroute de l’Amérique
Latine.

II. Mutations dans la bureaucratie et expansion du pouvoir du Keidanren
Comme le montre Mitarai, le
gouvernement est étroitement lié à des
organisations comme le Keidanren, qui représentent les
intérêts des grandes sociétés. Ne
s’agit-il pas de la relation la plus étroite entre le
gouvernement et monde des affaires que l’on ait connue depuis 50
ans?

Le contexte favorable à un lien étroit entre gouvernement
et monde des affaires provient d’un changement dans la nature de
la bureaucratie. La bureaucratie japonaise n’a jamais
été une bureaucratie moderne, à la Weber, mais
plutôt basée sur un système familial (kasan), dans
lequel les bureaucrates ont maintenu un certain niveau de
neutralité.

Avec la fin de la croissance économique
accélérée, le triangle de fer formé par le
gouverment, les bureaucrates et le monde des affaires a
été mis au pilori. Pendant l’administration de
Koizumi, le Premier ministre a exigé la soumission de la
bureaucratie. Il a réalisé cela en instrumentalisant la
méfiance à son égard. Pourtant, qu’est-ce
qui est advenu? En l’espace de quelques années, les
quelques éléments modernes de la bureaucratie ont
été détruits et ses tendances familiales ont
été renforcées [même si elles ont
été soumises au gouvernement, NDT]. Ceci illustre bien la
véritable nature des soi-disant réformes structurelles de
Koizumi. (…)

[Précédemment], sous la houlette de Sahashi Shigeru, un
haut fonctionnaire du Ministère du commence et de
l’industrie, les bureaucrates défendaient
l’intérêt national et rejettaient toutes les
demandes internationales exigeant une libéralisation du commerce
en vue de permettre l’importation d’automobiles
américaines. On peut être pour ou contre une telle
politique, mais si Sahashi n’avait pas agi ainsi, peut-être
que la libéralisation du marché automobile aurait
commencé dès la deuxième moitié des
années 1960. Et si cela avait été le cas, Toyota
n’en serait pas là où il en est arrivé
aujourd’hui. C’est grâce à ce que Shiroyama
Saburo a appelé «l’été des
bureaucrates», que Toyota a pu se hisser à sa place
actuelle. Mais les bureaucrates comme Sahashi ont disparu et nous
sommes revenus à l’époque des bureaucrates
inféodés au gouvernement.

Désormais, le monde des affaires, sous la direction du
Keidanren, domine le gouvernement. On constate cela, entre autres, par
la résurrection des contributions politiques, qui permettent aux
compagnies de faire des donations aux partis politiques, même si
plus de 50% de leurs actions sont détenus par des
étrangers. La vision de Mitarai domine le gouvernement actuel
d’Abe Shinto.

Afin d’illustrer «le cauchemar de la
dérégulation», je voudrais situer ses origines dans
deux annonces faites les 15 et 16 novembre 1994, d’abord par le
Keidaren, intitulée «Analyse des effets économiques
de la dérégulation au Japon et politique de
l’emploi», puis par l’Association Japonaises des
Dirigeants de Sociétés (Keizai Doyukai), intitulée
«Demande concernant la dérégulation». Douze
ans plus tard, la relecture de ces deux documents est très
instructive.

Prenons un exemple: ces rapports ont estimé que les ajustements
structurels et la dérégulation pourraient aboutir
à la suppression de plus de 9 millions d’emplois, mais
qu’ils pourraient aussi mener à la création de 10
millions d’emplois nouveaux.En gros, il était question
d’une augmentation de 1,3 millions d’emplois. Miyauchi
Yoshihiko, directeur de Bureau pour la promotion des réformes de
contrôle, a ainsi fait de la propagande en faveur de la
dérégulation à partir de ces thématiques.
Pourtant, si l’on compare le déroulement de la
réforme avec de telles prévisions, c’est presque
comique! (…)

Les réformes de Koizumi n’ont pas modifié le
caractère essentiel de la bureaucratie et elles ont
laissé tout loisir au Keidanren de faire ce qu’il
entendait. Effectivement, le Keidanren est l’arbitre de
l’opinion dominante. Si l’on analyse la vision de Mitarai
en tenant compte de cela, les choses deviennent plus claires. Le
Keidanren est en train de guider le gouvernement en attribuant des
notes à sa politique en fonction de ses propres
priorités, celles du monde des affaires. Ensuite il indique aux
compagnies vers qui il faut cibler leurs contributions politiques.
Est-il juste que les entreprises qui n’ont pas le droit de vote
aient lapossibilité d’exercer beaucoup plus
d’influence que les électeurs-trices? La bureaucratie, au
lieu de jouer un rôle de frein par rapport au gouvernement
actuel, soutient la dérégulation. Le Japon fournit le
meilleur exemple d’un Etat moderne dont la bureaucratie
dysfonctionne.

Les tendances à la
dérégulation semblent mener toutes vers la privatisation
du bien public, de plus en plus soumis au contrôle des
intérêts privés. Le Keidanren et d’autres
parlent en ce moment des intérêts privés comme
s’il s’agissait du bien-être public. C’est
l’une des raisons principales pour lesquelles il devient de plus
en plus difficile de vivre dans une telle société.

Effectivement. Le principe d’un gouvernement représentatif
voudrait que les élu-e-s s’occupent des
intérêts humains élémentaires, tels la vie,
le travail et le logement. Le profit privé est «le profit
d’une compagnie privée». Autrefois on parlait
«d’une bureaucratie pour le peuple».
Aujourd’hui, on a plutôt «la privatisation
entrepreneuriale du bien public». Et cela va continuer, dans la
mesure où des biens publics comme la beauté du paysage,
l’air pur, l’eau et l’éducation deviennent des
moyens au service du profit des sociétés privées.
C’est ce que Friedman appelait «le privilège du
marché». La privatisation du bien public par les
entreprises est une ruse: elle fait passer la poursuite du profit par
d’immenses groupes privés pour
l’intérêt public. Ces avancées contribuent
à concrétiser la vision de Mitarai, et ceci se fait avec
le soutien du gouvernement.

III. Le cycle néolibéral L’avenir
semble incertain alors que le pouvoir des grandes firmes augmente et
celui du peuple diminue. (…) Comment expliquez-vous le
développement économique récent du Japon?

La Banque du Japon s’accroche à la théorie
périmée des cycles économiques. Ceci est un gros
problème. La Banque croit que si les performances des grandes
compagnies s’améliorent, cela aidera les PME et, par le
jeu des augmentations salariales, les revenus individuels augmenteront
également (c’est le trickle-down effect). Si cela se
vérifie, a annoncé la Banque dans un document de
prospective (tenbo ripoto), alors, non seulement il y aura un
équilibre entre l’offre et la demande, mais la demande
dépassera l’offre. Pour cette raison, elle a
différé l’annonce selon laquelle le Japon «avait échappé à l’inflation». (…)

À présent les grandes sociétés japonaises
gagnent environs 50 milliards de yens par an dans
l’économie internationale. Un tiers à peu
près de cette somme est réalisé par 10 compagnies
(Toyota, Canon, Sony, etc.). Les 100 premières compagnies
représentent environ la moitié du total. Cela signifie
que, parmi les 1600 compagnies côtées en bourse de Tokyo,
une centaine gagne la plus grande part de l’argent. Une
compagnie, Toyota, continue à réaliser des profits sans
précédents. D’où proviennent ses profits?
Pour 80%, des exportations. Le marché intérieur
n’en représente que 20%. Ainsi, pour la trentaine de
compagnies en tête de liste, ce n’est pas vraiment crucial
que le marché intérieur se redresse. Dans le
passé, en cas de récession de longe durée, les
compagnies tentaient de stimuler un redressement du marché
intérieur pour en accaparer une plus grande part. Une hausse
salariale était un moyen d’encourager la consommation.
Parce que les compagnies étaient engagées dans cette
logique, elles pouvaient affirmer que «la prospérité des entreprises profitait aux habitants du pays».
Autrefois, la direction des entreprises pensait que si la
société prospérait, les entreprises
prospéraient également. C’était le cas aussi
de Toyota.

IV. Le siège du groupe Toyota: Toyota City

Mais aujourd’hui, peu importe le déclin du marché
intérieur, ces compagnies continuent à faire de
l’argent. On pourrait remédier à une telle
situation en faisant payer des impôts sur les
sociétés, mais ce n’est pas le cas. (…) Feu
Kubo Wataru, qui avait servi comme Ministre des finances de la
coalition gouvernementale (LDP [Parti libéral-démocrate]
– Socialiste – Sakigake [scission antérieure du
LDP]) a demandé, lors d’une session de la Diète,
combien Toyota payait d’impôts. Le Ministre des finances de
l’époque lui a répondu que cela relevait du secret
d’entreprise. Dans les faits, les compagnies comme Toyota, qui se
concentrent sur l’exportation de leurs produits,
bénéficient d’une grande variété
d’exonérations fiscales et d’autres
déductions, dont l’étendue n’est pas claire.
Si quelqu’un posait la même question au gouvernement
aujourd’hui, il ne pourrait probablement pas répondre non
plus. En fait, le Japon dispose du taux d’imposition réel
le plus bas au monde.

Qu’est-ce que la compétitivité internationale?

Face à l’offensive de printemps des travailleurs (shunto),
en réponse à la revendication des syndicats
d’augmenter les salaires en raison de l’embellie
économique, Mitarai a répondu qu’un tel geste
serait difficile à cause de la concurrence internationale. Si
une société qui protège le droit des
travailleurs-euses et qui offre un filet de sécurité
social ne peut être compétitive sur le plan international,
pourquoi les pays de l’Europe du Nord ne sont-ils pas en train de
perdre aussi? (…) Les dirigeants japonais de
l’économie et des corporations ne parlent de la
compétitivité internationale qu’en termes
d‘avantages de prix. La compétitivité des prix
n’est qu’un aspect de la véritable
compétitivité, qui inclut la compétitivité
des produits et du travail. Dans le cadre d’une émission
spéciale du NHK [télévision publique japonaise]
à Niigata, j’ai été surpris de rencontrer le
président d’une petite compagnie régionale qui
avait reçu une commande de Nokia pour des appareils
d’impression. Lorsque le représentant de Nokia a rendu
visite à la compagnie japonaise, il a dit: «Il y a certaines conditions préalable qui doivent être remplies avant que nous puissions coopérer avec vous». Sa première question a été: «Savez-vous à quel endroit vous avez éliminé vos déchets pour la dernière fois?».
Ensuite, il a demandé où se trouvait le dortoir des
employé-e-s non mariés. Ayant appris que celui-ci
était situé sur l’île de Sado, il a
insisté pour visiter ce lieu afin de vérifier qu’il
y avait assez d’espace pour chaque employé-e. Avant
d’enter dans une relation de coopération, il a
été nécessaire de remplir toutes ces conditions.
La compétitivité durable ne réside pas simplement
dans une compétitivité des prix. Elle implique des
compétences humaines. Et le développement de ces
compétences dépend du système éducatif.

Le déclin de la compétitivité de l’industrie
électronique du Japon est si important, que même le
journal du Nikkei [la bourse de Tokyo] a admis la situation. Lorsque
j’avais écrit un article au sujet de
«L’illusion du Japon comme pays technologiquement de
pointe», mes critiques prétendaient que la technologie
japonaise dépassait celle de l’Europe. Beaucoup de
compagnies japonaises n’ont investi que dans les installations de
production avec l’idée d’augmenter la production et
la consommation de masse. Mais, leur productivité est
restée au même niveau. Si ces compagnies avaient construit
des usines pour améliorer leurs capacités techniques,
elles auraient pu être plus compétitives. Après
l’éclatement de la bulle économique, le
phénomène d’usines hi-tech non compétitives
s’est accentué à travers le pays.

V. Lorsque le travail se transforme en marchandise
Les compagnies japonaises, comme les
compagnies américaines qui sont en pointe de la mondialisation,
ont des problèmes avec des contrats frauduleux.

À présent, les grandes sociétés japonaises
s’emploient à détruire l’humanité.
Elles signent des contrats d’engagement frauduleux. Dans les
usines japonaises, la hiérarchisation persiste et les managers
peuvent actuellement mobiliser les travailleurs-euses sans se
préoccuper des questions d’emploi. Par le biais de la
sous-traitance, ils peuvent exporter ces problèmes. Ainsi les
travailleurs-euses sont de plus en plus vulnérables. Une
hiérarchisation analogue existe sur le marché du travail
de la sous-traitance. Nombre d’accidents du travail impliquent
des compagnies qui sous-traitent au troisième niveau… Par
exemple, dans le cas de l’usine Sharp à Kameyama, les
dirigeants ne voulaient pas que les investisseurs internationaux
sachent qu’un accident avait eu lieu dans une usine de pointe.
Pour cela, ils ont prétendu que l’accident était
arrivé ailleurs. On aurait dû l’évoquer comme
un accident de travail mais, parce que les travailleurs-euses avaient
été engagés par un sous-traitant au
troisième niveau, personne ne voulait en prendre la
responsabilité.

Combien de vies humaines ont été détruites depuis
que l’embauche des travailleurs-euses en sous-traitance a
été autorisée en 2004? Les compagnies ont
complètement épousé le système de la
sous-traitance, ce qui leur a permis de transférer des
coûts sur d’autres. Ceci a comme résultat que les
sous-traitants du bas de l’échelle engagent des
travailleurseuses «sur appel» qui n’ont souvent pas
une formation adéquate. Les sous-traitants vont chercher des
travailleurseuses dans des régions où il y a un taux de
chômage important, telles Akita ou Aomori, et les envoient dans
des région telles Aichi (siège de Toyota), où la
demande est forte. Ainsi les êtres humains deviennent des
marchandises. C’est un système semblable aux vaisseaux
négriers d’autrefois.

VI. Le nombre de travailleurs temporaires est en hausse

Les contrats individuels sont l’aspect le plus ignoble de ce
système. Pour réduire les coûts liés
à la garantie des droits élémentaires des
travailleurs-euses, les compagnies ont recours à des contrats
temporaires. (…) Dans ces conditions, le Keidanren promeut
l’augmentation des travailleurs-euses étrangers et
immigrés. (…) Il y a ainsi le problème des
travailleurs-euses immigrés engagés comme soi-disant
stagiaires. On en a parlé dans la presse lorsque des
«stagiaires» chinois ont commis un meurtre, mais les
conditions de vie et de travail de ces travailleurs-euses
immigrés sont particulièrement dures. Dans des fabriques
textiles situées en des lieux comme Gifu, les travailleurs-euses
gagnent 15000 yens (moins de 150 dollars) par mois.
Généralement, ils-elles envoient deux tiers de ce montant
à leur famille. C’est la seule manière, pour ce
genre d’entreprises, de faire de l’argent. Une compagnie
qui fabrique des vêtements bon marché en sous-traitance
loge tous ses «stagiaires» chinois dans un dortoir pour
célibataires et les transporte en minibus, évitant ainsi
qu’ils soient recrutés par d’autres compagnies. Elle
les fait travailler dans une fabrique pendant 5 heures, dans une autre
pendant 2 heures et dans une troisième pendant une heure. Il y a
des travailleurs-euses qui sont obligés de travailler dans de
nombreuses fabriques durant la même journée.

C’est ainsi que les grandes firmes détruisent la vie des
travailleurs-euses. «La délocalisation des accidents de
travail» en est un exemple. Les dirigeants réduisent les
coûts et évitent de prendre leurs responsabilités
d’employeurs. Ils exposent les travailleurs-euses aux risques en
courant après des profits sans précédent. Un tel
régime ne peut se perpétuer à long terme. Nous
roulons à tombeau ouvert vers un système où les
entreprises globales (multinationales) prospèrent et les
sociétés tombent en ruine.

VII. Un avenir américain pour les travailleurs japonais? Si
les choses continuent de cette manière, la disparité des
revenus et la pauvreté vont augmenter et le Japon ressemblera
aux Etats-Unis. La grande majorité des soldats américains
en Irak appartiennent aux classes défavorisées. En plus,
la vision de Mitarai a imprégné le débat aur la
révision de la Constitution. Les conservateurs défendent
une révision constitutionnelle qui permettrait la transformation
des Forces d’autodéfense en une véritable
armée, avec l’envoi de troupes à
l’étranger et l’adhésion du pays à des
systèmes de défense collective. En plus, ces
conservateurs s’expriment en faveur d’un plus ardent
patriotisme et de la nécessité d’un plus grand
respect pour le drapeau et l’hymne national. Est ce que le le
Keydanren soutient l’idée d’une plus grande
militarisation au Japon et l’envoi des défavorisés
sur les champs de bataille?

Puisque la mobilité sociale aux Etats-Unis dépend
d’un bon parcours scolaire, ceux et celles qui n’ont pas ce
parcours sont probablement destinés à faire partie des
travailleurs-euses pauvres (working poor). C’est pour cette
raison que les enfants d’immigré-e-s s’engagent dans
l’armée afin d’obtenir une bourse dans un
collège de deuxième catégorie et d’obtenir
rapidement la citoyenneté. Le cinéaste Michael Moore a
signalé la corrélation élevée entre les
soldats américains morts en Irak et la population
d’enfants et adolescents qui reçoivent des repas gratuits
à l’école. Il y a une disparité dans
l’espérance de vie des êtres humains.

Les perspectives du Japon sont semblables. En Angleterre, Thatcher a
promu l’idée d’un «gouvernement
réduit», mais en termes d’autorité, il
s’agissait bien d’un«gouvernement fort». Le
Japon met en application des politiques diverses, telles des
initiatives financières privées, des tests de
marché, l’ouverture à la concurrence de la
fourniture de repas scolaires. Les dirigeants japonais disent
qu’ils visent le «moins d’Etat», mais plus ils
oeuvrent pour la libéralisation et la dérégulation
et soutiennent le fondamentalisme du marché, plus le
gouvernement central doit intervenir pour préserver
l’ordre. Des usines de pointe, qui ont nécessité de
grands investissements, pourraient s’écrouler d’une
minute à l’autre. Ils veulent sûrement éviter
cela.

La libéralisation du marché mènerait certainement
à la destruction des institutions publiques. Un exemple parlant
est celui de l’industrie bancaire, qui baigne dans les affaires
de crédit usuraire à la consommation. Si les principes
qui sous-tendent les institutions publiques sont anéantis, le
gouvernement va devoir s’inquiéter de l’ordre social
qui dépend de la bonne santé des compagnies. Un plus
grand contrôle de l’Etat s’avérera
nécessaire. Le contrôle gouvernemental suit
forcément la libéralisation. Ce serait une erreur de
croire qu’il y aura une plus grande liberté
suite à la dérégulation et à la libéralisation.