La « révolution du bas »de Keny Arkana

La «?révolution du bas?»de Keny Arkana

Fin septembre, Keny Arkana
était à Genève pour un concert de rue
«sauvage» qui a rassemblé plus d’un millier de
personnes dans la rue aux Pâquis, à l’appel
d’Intersquat et en soutien aux occupations d’immeubles
vides… Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un
interview réalisé cet été lors de sa venue
en Suisse pour un concert au Festival Rock Oz’Arènes
d’Avenches. Coeur fragile, âme révoltée, Keny
n’est pas qu’une poétesse du rap. Elle est aussi, et
surtout, une militante engagée, altermondialiste des
cités, antisarkozyste virulente et défenseuse d’une
«révolution du bas».

Dans une de tes chansons, tu te définis, non pas comme une
«rappeuse contestataire» mais comme une
«contestataire qui fait du rap». Qu’est ce que cela
signifie pour toi?

Je considère le rap comme un moyen d’expression.
C’est mon moyen d’expression mais ça pourrait
être tout autre chose. Ce qui est important, c’est
l’aspect contestataire, le fait d’être engagé
dans la lutte. Pour moi, le rap est une manière de lutter,
d’être sur le terrain, de faire passer un message.
C’est la force contestataire qui m’a motivée
à rapper. […]

Quel est le but du projet du «Forum des Sans Voix», ce
réseau de résistance auquel tu participes activement?

Je crois que lorsque un groupe de convaincu-e-s se retrouve, le
vocabulaire devient irrémédiablement élitiste.
Dans les «Forum des Sans Voix», un de nos objectifs est de
dépasser cette barrière que crée notamment le
vocabulaire traditionnel militant. Nous voulons épurer les
concepts, utiliser des mots simples, accessibles à tous-toutes.
Les gens constatent que la terre crève, qu’on
crève, alors cela concerne tout le monde. Il est
nécessaire de résister.

Quel bilan provisoire tires-tu de ces Forums?

Nos forums sont organisés dans des petits cercles. Même si
les barrières pour s’organiser collectivement sont encore
fortes, il y a un réel besoin de parler. Nous essayons de
créer une dynamique populaire avec comme objectif que les
assemblées populaires deviennent des normes et que de ces
discussions collectives émergent des solutions. Il s’agit
d’un travail de fond, sur le long terme. Les forums ont
été très différents dans les 30 villes
où ils ont été organisés, en France, en
Suisse et en Belgique. Parfois il y a eu jusqu’à 500
personnes et d’autres fois que 30. Chaque fois, nous essayons
d’occuper la rue et de nous y réunir en cercle.
L’horizontalité est au cœur de ces
assemblées. Cette démarche anti-institutionnelle permet
à tout le monde de s’exprimer et de rencontrer des
personnes de parcours très divers. Des liens de
résistance se sont tissés avec des gens qui ne sont pas
des militant-e-s, qui n’ont pas l’habitude de prendre la
parole. Les Forums sont un lieu de dialogue et de réflexion
où ensemble, on peut partager nos connaissances, confronter nos
expériences de luttes, unifier notre volonté de
résistance, et ainsi chercher des solutions à notre
situation. Un espace neutre, sans étiquette, sans a priori, qui
se construit avec la richesse de chacun-e.

Quelles sont les alternatives politiques et sociales abordées dans les «Forum des Sans-Voix»?

Tout dépend des réalités locales, de la ville
où le Forum est organisé. A Grenoble par exemple, on a
abordé le problème des nanotechnologies. A Brest, la
lutte anti-nucléaire. De manière plus
générale, les problèmes sociaux, le racisme et le
fascisme de Sarkozy ont aussi été souvent
évoqués. En fait, chaque ville a sa
spécificité de lutte.

Dans une de tes chansons, tu appelles ironiquement à
karchériser l’Elysée, en référence
aux propos de Sarkozy sur les banlieues. Selon toi qu’est-ce qui
a changé depuis que Sarkozy a été élu
président?

Depuis le 11 septembre 2001, le fascisme a bien avancé. Tout se
fait dans l’urgence, avec comme argument la menace terroriste.
Depuis que Sarkozy est au pouvoir, il fait des changements «en
douce». Mais les modifications de lois arrivent ou ont
déjà été votées. En fait, ce
n’est pas seulement depuis qu’il est président
qu’il fait la loi. Depuis cinq ans, il a radicalisé les
politiques de contrôle et de répression. Que ce soit les
déportations de sans-papiers, l’établissement de
centres de détention sans fenêtre dans le cadre des
mesures de détention administrative ou encore l’indulgence
vis-à-vis des bavures de la police.

Tu a des origines argentines. Quelle importance revêt pour toi les luttes de ce pays?

Je crois que l’Amérique latine en général,
et pas seulement l’Argentine, est un exemple de lutte qui a
influencé ma conception politique. Les Zapatistes sont par
exemple un modèle à suivre, notamment pour
l’autogestion qu’ils-elles prônent. En revanche, je
suis plus sceptique par rapport à la révolution
bolivarienne d’Hugo Chavez. J’y vois beaucoup de
paillettes, mais au fond, le peuple continue de souffrir, car
l’argent du pétrole n’est pas vraiment
redistribué. Je trouve aussi que c’est une
révolution institutionnelle. Or une révolution ne doit
pas se faire via un président ou des institutions.

Alors qu’est-ce que la révolution pour toi?

C’est un chemin personnel, au jour le jour. Une transformation
intérieure et extérieure. Étymologiquement, la
révolution signifie la rotation. Aujourd’hui nous sommes
figés dans l’immobilisme. Il faut lutter contre cela et
être dans un esprit de mouvement. Pour moi, la révolution
doit être aussi bien politique et sociale qu’humaine. Comme
dans la lutte, la dimension collective passe par un changement
personnel, dans nos pratiques quotidiennes.

Selon toi, ce changement doit se faire avec ou sans les organisations politiques traditionnelles?

Je ne pense pas qu’on va changer le monde avec des partis ou des
syndicats. Toutes ces organisations restent pyramidales. En France, par
exemple, les syndicats expulsent les sans-papiers et contrôlent
les manifestations. C’est une grosse mascarade. Les partis et les
syndicats, c’est l’opium des militant-e-s. Malheureusement,
il n’y a souvent pas d’autres moyens pour entrer en lutte.
Je ne juge pas les personnes qui s’y engagent. Mais je crois que
si on ne change pas les formes de la lutte, on n’arrivera pas
à changer le monde. […] 


Interview réalisé par Florian Kissling et Iara Heredia

Interview paru dans le
numéro d’octobre 2007 du journal «Lignes
Rouges», original sur www.gauche-anticapitaliste.ch

Le site de Keny Arkana vaut le détour: www.keny-arkana.com