Une nouvelle dynamique traverse le monde paysan

Une nouvelle dynamique traverse le monde paysan

Ces quatre pages ont pour objectif de
présenter la dynamique nouvelle qu’engendrent les
discussions autour de la souveraineté alimentaire. La
mondialisation de l’économie a eu pour effet de rapprocher
les intérêts des paysans à travers le monde tout en
les encourageant à briser le corporatisme. Les organisations
actives au sein du mouvement international paysan «La Via
Campesina», représenté en Suisse par le syndicat
Uniterre, veulent relever de nouveaux défis et développer
des alliances.

La «souveraineté alimentaire» en clé de voûte

La souveraineté alimentaire (voir aussi définition) est
un concept qui a été élaboré en 1996 par La
Via Campesina, mouvement qui regroupe plusieurs centaines
d’organisations paysannes à travers le monde. Ce concept
politique n’est pas à confondre avec la notion de
«sécurité alimentaire» qui se limite aux
aspects qualitatifs et quantitatifs de la nourriture. La
souveraineté alimentaire est comprise comme une alternative aux
politiques néolibérales qui donnent priorité au
commerce international plutôt qu’à
l’alimentation de la population. La globalisation des
marchés «standardise» les modèles de
production agricole et dépossède les citoyen-ne-s de leur
droit de choisir le type d’alimentation et d’agriculture
qu’ils souhaitent. La souveraineté alimentaire entend donc
replacer les priorités et orienter la production vers les
besoins locaux. L’accès aux marchés internationaux
n’est d’ailleurs pas la priorité des familles
paysannes du nord comme du sud. Pour elles, le plus important est de
pouvoir accéder à leurs propres marchés locaux et
d’y obtenir des prix rémunérateurs; ce qui est
rarement possible en raison de la politique de dumping
qu’engendrent les subventions à l’exportation. En
fait, seuls 10% des denrées alimentaires (les surplus
bradés) sont échangés au niveau mondial et sont en
général en main d’entreprises transnationales de
l’agroalimentaire qui en tirent de juteux bénéfices
et font pression sur les prix.

Il est important de comprendre que les familles paysannes du nord et du
sud ne cherchent pas à entrer en compétition. Le concept
de la souveraineté alimentaire et les actions communes de La Via
Campesina démontrent que ces familles ont plus
d’intérêts communs que de divergences. Ce sont les
gouvernements et les transnationales qui, de manière habile,
cherchent à faire croire que paysans du sud et du nord
s’opposent; ceci afin de faire passer leurs politiques de
dérégulation des marchés et orienter la production
vers l’intensification et l’exportation.

Si la souveraineté alimentaire dénonce les subventions
à l’exportation, elle ne s’oppose par contre pas aux
soutiens publics destinés à l’agriculture, pour
autant que ceux-ci ne soient pas utilisés pour exporter à
bas prix. Il est reconnu que l’agriculture a besoin de ces
soutiens pour garantir l’alimentation de la population, la
protection de l’environnement, le développement de
systèmes agricoles plus durables et se protéger du
dumping.

Définition

La souveraineté alimentaire désigne le DROIT d’une
population, d’une région ou d’un pays à définir leur politique agricole
et alimentaire, sans dumping de prix vis-à-vis de pays tiers.

La souveraineté alimentaire inclut:

  • La
    priorité donnée à la production agricole locale pour nourrir la
    population, l’accès des paysan-ne-s et des sans terre, à la terre, à
    l’eau, aux semences et au crédit. D’où la nécessité de réformes
    agraires, de la lutte contre les OGM pour le libre accès aux semences
    et de garder l’eau comme un bien public à répartir durablement.
  • Le
    droit des paysan-ne-s à produire des aliments et le droit des
    consommateurs-trices à pouvoir décider ce qu’ils-elles veulent
    consommer et par qui et comment l’aliment est produit. Le droit des
    Etats à se protéger des importations agricoles et alimentaires à trop
    bas prix.
  • Des prix agricoles liés aux coûts de production.
    C’est possible à condition que les Etats ou les Unions aient le droit
    de taxer les importations à trop bas prix, et s’engagent pour une
    production paysanne durable et maîtrisent la production sur le marché
    intérieur pour éviter des excédents structurels.
  • La participation des populations aux choix des politiques agricoles.
  • La reconnaissance des droits des paysannes, qui jouent un
    rôle majeur dans la production agricole et
    l’alimentation. 

Garantir plus de social et d’écologie

La souveraineté alimentaire, c’est aussi lutter contre un
des travers pernicieux du libre-échange qui est celui
d’avoir comme seul critère de choix l’avantage
comparatif: si une denrée alimentaire peut être produite
moins cher ailleurs, autant se fournir là-bas. Cette vision des
échanges agricoles amène à des transports
exagérés de denrées alimentaires à travers
la planète à des prix n’ayant plus aucun lien avec
la réalité des coûts. Cette aberration ne concerne
pas que la paysannerie suisse. Elle est dénoncée
mondialement par les membres de La Via Campesina. La situation est
d’ailleurs bien plus dramatique au sud, par exemple en Afrique,
dont les marchés sont envahis par des céréales
européennes et américaines subventionnées, du riz
asiatique ou du poulet brésilien. C’est aussi pour cette
raison que les ONG de développement soutiennent toujours plus
l’idée de souveraineté alimentaire et admettent que
l’ouverture des frontières du nord n’est pas la
panacée pour les paysan-ne-s du sud. Ce trafic alimentaire est
aujourd’hui possible parce que les externalités
négatives de ce type de politique ne sont pas prises en compte.
Parce que les transports sont, de la même manière, encore
trop bon marché et qu’il n’y a aucune
véritable réflexion sur la limitation des stocks de
pétrole. De nombreuses transnationales s’installent dans
les pays émergents pour produire à moindre coût et
sans aucune règle environnementale. Ces «usines de
production», à l’exemple de la production de
volailles, détruisent l’agriculture indigène et
l’environnement local. Les travailleurs-euses sont bien trop
souvent exploités. Ces produits se retrouvent ensuite sur nos
étals à des prix défiant toute concurrence. Mais
avec quelles conséquences…

La Suisse et la souveraineté alimentaire

Le concept de souveraineté alimentaire doit pouvoir se
concrétiser sur le terrain. Certains pays l’ont
déjà intégré dans leur loi agricole.
C’est le cas du Mali, du Venezuela et c’est en bonne voie
en Bolivie et au Népal. En Suisse, nous pourrions insérer
ce principe dans notre Constitution par le biais d’une initiative
populaire puisque nos autorités n’ont pas l’envie de
le faire par elles-mêmes. En 2005, lors de la consultation
touchant à la politique agricole, plusieurs milieux avaient
souhaité que cette notion soit inscrite dans la loi sur
l’agriculture; mais cela avait été refusé
par le Conseil fédéral. Bien qu’il affirme que la
souveraineté alimentaire est sous-entendue dans l’article
104 de la Constitution qui traite de l’agriculture, on comprend
plus aisément son refus si la définition de la
souveraineté alimentaire est mise en parallèle avec
quelques aspects de notre politique agricole:

  • Cette dernière prévoit de poursuivre le
    démantèlement des protections à la
    frontière. Le Conseil fédéral réduit donc
    drastiquement son droit à se protéger des importations
    agricoles et alimentaires à prix de dumping. Par une ouverture
    toujours plus grande des frontières et par la recherche du plus
    bas prix, les filières seront toujours moins contrôlables
    et l’information transparente au consommateur-trice toujours plus
    ardue. Par le manque d’engagement pour mettre sur pied un
    organisme permettant de contrôler les fraudes, le Conseil
    fédéral ne garantit pas aux consommateurs-trices le droit
    de savoir ce qu’ils-elles consomment.
  • Par la mise en concurrence de l’agriculture avec ses
    voisins, en encourageant les familles paysannes à accéder
    à des marchés extérieurs à des prix ne
    couvrant pas leurs coûts de production, elle n’a plus comme
    priorité une production locale pour nourrir la population.
  • Alors que la commission consultative agricole souhaite que
    l’agriculture suisse renonce aux OGM, et malgré
    l’acceptation de l’initiative pour un moratoire, notre
    politique agricole ne s’exprime pas sur le sujet.
  • Les prix des produits ne sont absolument plus liés aux
    coûts de production. L’exemple du lait est flagrant: si le
    coût de production moyen se situe à 1.10/kg, le producteur
    ne reçoit pourtant en moyenne que 68 centimes. Pour garantir des
    prix liés aux coûts de production, de véritables
    contrats doivent être conclus entre les partenaires du
    marché. Ces contrats doivent comprendre le prix, les
    quantités, le calendrier de livraison et les critères de
    qualité. Aujourd’hui, ces différents points sont
    rarement discutés comme un tout. La position dominante des
    grands distributeurs sur le marché devrait également
    être corrigée.
  • Quant à la révision de la loi sur le droit foncier
    rural, elle limite l’accès à la terre et aux
    crédits pour plusieurs dizaines de milliers de familles
    paysannes en activité. Elle rend également plus difficile
    l’accès à la terre pour les jeunes paysan-ne-s,
    ruraux ou non.
  • La souveraineté alimentaire demande la participation des
    populations aux choix de politiques agricoles. A l’image du peu
    de cas que le Conseil fédéral fait des résultats
    des consultations, même dans un pays dit de démocratie
    directe comme le nôtre, nos souhaits sont peu pris en compte.
  • Enfin, la souveraineté alimentaire demande une
    reconnaissance du droit des paysannes. En Suisse, de nombreux efforts
    restent à faire pour que leur statut soit réellement
    reconnu. Droit à un salaire pour le travail fourni
    quotidiennement sur l’exploitation, droit à contracter un
    crédit pour leurs activités, reconnaissance de leurs
    droits lors du divorce ou du veuvage.

Voici donc une série d’exemples qui confirment que notre
politique agricole n’est, à ce jour, de loin pas
compatible avec la souveraineté alimentaire.

Sensibilisation indispensable

Afin de faire avancer la souveraineté alimentaire sur le plan
politique, le syndicat Uniterre a envoyé à tous les
candidat-e-s romands aux élections fédérales un
pacte intitulé «pour une agriculture citoyenne
basée sur la souveraineté alimentaire».128
candidat-e-s l’ont signé (disponible sur le site
d’Uniterre). Par cette initiative le syndicat paysan souhaitait
les sensibiliser à ce concept et à ses implications
concrètes car les  élu-e-s sont
inévitablement amené-e-s à traiter du sujet
agricole durant les quatre ans de législature. Ceci est un
premier pas dans la construction d’un front au Parlement qui
pourrait soutenir une initiative sur la souveraineté
alimentaire, même si seul 13 signataires ont été
élus. Une telle démarche nécessite un large
soutien dans la population et devra drainer des appuis bien
au-delà du monde agricole. La souveraineté alimentaire
n’est pas un concept creux; il faut d’ailleurs veiller
à ce qu’il ne soit pas galvaudé. Ceux-celles qui
pensent que d’inscrire cette notion dans la Constitution est un
vain mot ne réalisent pas la force de son contenu. Accepter ce
principe et le concrétiser au plan local par le biais de lois et
d’ordonnances implique des changements radicaux dans notre
politique agricole et au-delà. Cela ouvrirait de réelles
perspectives pour relancer une agriculture locale
rémunératrice pour les paysan-ne-s tout en
répondant réellement aux besoins des citoyen-ne-s.

L’agriculture contractuelle de proximité; laboratoire de la souveraineté alimentaire

S’il reste à convaincre les politiques, des citoyen-ne-s
se sont déjà emparés du concept. Pour preuve que
des applications concrètes peuvent voir le jour, nous pouvons
citer l’intérêt croissant pour les projets
d’agriculture contractuelle de proximité. Le journal de
solidaritéS a déjà évoqué ce type de
projets tels que l’Affaire TourneRêve à
Genève, le Lopin bleu à Neuchâtel etc. Sur la base
du concept de la souveraineté alimentaire, ils ont pour optique
de donner la priorité à la production de proximité
et de fixer des prix équitables liés aux coûts de
production et de transformation. Ils souhaitent rapprocher
consommateurs-trices et producteurs-trices sur la base d’un
contrat qui définit la quantité, la qualité, le
prix, le mode de paiement et la période de livraison. Si
l’idée du contrat est commune à tous les projets et
en est pratiquement une condition sine qua non, son contenu varie en
fonction de chaque dynamique qu’engendre ce rapprochement entre
consommateurs-trices et producteurs-trices. Tantôt c’est
un-e producteur seul qui fournit les familles, d’autres fois ce
sont plusieurs agriculteurs-trices qui s’unissent.
Producteurs-trices et consommateurs-trices contractualisent aussi via
des associations citadines et des mouvements sociaux tels
qu’à Lausanne avec «Les Jardins du Flon».
L’intérêt de ces projets est que les deux parties
reprennent l’espace de dialogue qui a trop longtemps
été «confisqué» par la grande
distribution et organisent ensemble l’esprit de la production, de
la transformation et de la distribution des produits. Ils se
réapproprient leur droit de choisir le type d’alimentation
et d’agriculture qu’ils souhaitent. A ce jour, 18 projets
ont germés en Suisse romande. Pour faciliter leur
émergence, une plateforme d’échange
d’idées a été constituée il y a un
an. La liste des projets est disponible sur le site internet du
syndicat Uniterre.

Le commerce équitable (bientôt)  rattrapé par le système?

Le commerce équitable a pour objectif de permettre à des
paysan-ne-s du sud d’obtenir un meilleur prix pour leur
production en leur trouvant des débouchés sur les
marchés des pays industrialisés. Des projets sociaux
complètent souvent la démarche (construction
d’écoles, de dispensaires etc.). Pendant un certain nombre
d’années, ce sont essentiellement les petits paysan-ne-s
qui étaient associés à ces initiatives. Depuis que
les grandes surfaces proposent ce genre de produits, un glissement
semble s’opérer. Elles imposent des normes qualitatives
très élevées qui ne sont souvent atteignables que
par des grandes entreprises agricoles, certes situées au sud,
mais qui n’ont plus grand chose à voir avec l’image
que nous nous faisons du commerce équitable. Nestlé, Mc
Donald’s et autres multinationales se sont également
engouffrés dans ce créneau afin de redorer leur image. Le
«commerce équitable», essentiellement destiné
à l’exportation, est souvent débattu au sein de La
Via Campesina. Les avantages et les inconvénients d’un
système qui ne favorise pas forcément la production
destinée à la population locale, telles que les
productions vivrières, y est discuté. Il ne s’agit
pas ici de renoncer à soutenir ce type d’initiatives mais
bien d’avoir un jugement critique sur ces filières afin de
donner sa préférence à celles qui garantissent
«l’esprit» de la solidarité. Par qui,
où et comment les produits ont été
élaborés? La plus-value est-elle réellement
reversée aux paysan-ne-s et aux populations locales? De quelle
manière est-elle répartie au sein de la filière?
Il est souvent dit que le-la consommateur-trice est «roi».
Il est donc opportun d’utiliser de manière intelligente ce
«privilège» pour éviter qu’une fois de
plus, le «tout marchant» sorte victorieux et que les
principes de base en soient oubliés.

Vers une grève européenne du lait?

Nous l’avons vu, un des aspects de la souveraineté
alimentaire est d’obtenir des prix rémunérateurs.
Cette revendication pourrait être perçue comme un objectif
incompatible entre consommateurs-trices et producteurs-trices.
Pourtant, les projets d’agriculture contractuelle prouvent
qu’un accord peut être trouvé et que c’est
surtout une question de meilleure répartition de la plus value
au sein de la filière qui est en jeu. Il est d’ailleurs
nécessaire de tordre le cou à l’idée que les
denrées alimentaires sont trop chères dans notre pays. En
Suisse, de 8% à 11% des dépenses du ménage sont
consacrés à l’alimentation; le taux le plus bas
d’Europe! Il suffit de regarder les coûts des assurances ou
du loyer pour se convaincre que la nourriture n’est pas au
premier plan des dépenses. D’ailleurs, depuis un peu plus
de dix ans, suite aux réformes de la politique agricole, les
prix payés aux producteurs-trices ont baissé de 28% alors
que les prix aux consommateurs-trices ont augmenté de 8%. Entre
chaque bout de la chaîne, les intermédiaires ont donc
profité de ces réformes. La légère
augmentation des salaires des employé-e-s aux différents
échelons de la filière ne saurait expliquer de telles
marges.

Nos denrées alimentaires transpirent le pétrole

1 botte d’asperges du Mexique importée par avion (11
800km) et achetée en février nécessite 5 litres de
pétrole. 1 botte d’asperges de Genève
achetée en mai, nécessite 0.3 litre de pétrole.
1 kg de fraises d’Israël, importé par avion (2
870km), acheté en mars, nécessite 4.9 litres de
pétrole. 1 kg de fraises de Genève, acheté en juin
nécessite 0.2 litre de pétrole.
1 kg d’agneau de Nouvelle Zélande (~19 000 km)
nécessite 6.1 litres de pétrole, 1kg d’agneau
genevois nécessite 1.3 litre de pétrole.
1 kg d’haricots frais importé par avion d’Egypte (2
800 km) nécessite 1.2 litre de pétrole, 1kg
d’haricots suisses frais nécessite 0.1 litre de
pétrole.

Source: wwf

Le syndicat Uniterre est convaincu qu’il est indispensable de
travailler tant sur les aspects politiques que sur les marchés.
Les prix rémunérateurs ont toujours fait partie de ses
revendications; certain-e-s se rappellent peut-être des blocages
des centres de distribution de Coop et Migros en 2001 afin de
dénoncer la marge des distributeurs et d’obtenir un
meilleur prix pour la viande. C’est donc tout naturellement
qu’il s’est associé au mouvement européen qui
revendique un prix du lait rémunérateur pour les
paysan-ne-s. Uniterre est en train de fédérer les
paysan-ne-s au sein d’une commission ad hoc. En octobre 2007,
plus de 200 familles paysannes suisses, produisant plus de 37 millions
de kg lait se rallient déjà aux revendications des
75 000 producteurs-trices européens réunis au sein
de la Plateforme européenne du lait. Ils-elles ont défini
et approuvé une revendication claire: un prix du lait minimal
unique en Europe et en Suisse qui est reconnu équitable par les
producteurs. Pour la Suisse, il est de 1 franc par litre payé
net au producteurs-trices. Actuellement, le prix payé par litre
de lait ne couvre de loin pas les coûts de production.

Le prix moyen se situe à environ 68 centimes par litre alors que
les coûts ne se situent pas en dessous de 1 franc par litre. Une
hausse réelle des prix est obligatoire pour maintenir et surtout
développer durablement la production.

Bref historique de politique agricole

La Suisse dispose d’une politique agricole qui a
été profondément bouleversée au
début des années nonante. Avant cela, les paysan-ne-s
étaient chargés de produire et l’Etat
s’occupait d’écouler la production. De nombreux
paramètres ont amené à ces changements:
nécessité de prendre en compte l’écologie
dans la production, surplus de production, libéralisation des
marchés en Suisse et globalisation de l’économie,
fin des prix garantis pour les paysan-ne-s, etc. Depuis, notre
politique est révisée chaque quatre ans. C’est en
2007 que le Parlement s’est penché sur le régime
agricole prévu pour les années 2008-2011 (Politique
agricole 2011). La loi votée lors de la session de juin
n’a pas de quoi réjouir les paysan-ne-s. Elle est à
l’image de ce qu’impose l’OMC sur le plan mondial:
plus de concurrence, moins de paysan-ne-s, libéralisation des
marchés et des terres, baisse des prix aux producteurs-trices.
Et ceci sans régler le problème de la toute puissance des
grands distributeurs en Suisse dont deux acteurs maîtrisent 80%
du marché; situation unique en Europe! Afin de ne pas tomber
dans l’impasse, il est aujourd’hui indispensable de
repenser notre politique agricole en l’intégrant mieux
dans le contexte local. Partant de ce constat, plusieurs voies peuvent
être empruntées afin qu’un véritable
débat de société sur l’agriculture soit mis
à l’agenda politique. Sensibilisation des
député-e-s aux enjeux agricoles, lancement d’un
référendum contre la nouvelle politique agricole (qui,
avec près de 40 000 signatures, n’a pas abouti),
développement d’une initiative populaire pour une autre
agriculture.

Les moyens acceptés par les producteurs-trices pour parvenir à cet objectif sont:

  • Un regroupement des producteurs-trices et des contingents
    laitiers au plan européen (objectif fin 2007, 50% du lait
    européen). Pour augmenter le prix du lait, les
    producteurs-trices doivent mettre la pression sur les acheteurs. Bien
    souvent, ceux-ci travaillent dans plusieurs pays ou même à
    l’échelle européenne. Les producteurs-trices
    s’organisent donc à ce même échelon pour se
    faire entendre. Ils-elles regroupent leur production,
    développent des stratégies communes, coordonnent des
    actions et s’accordent pour revendiquer un prix en Europe.
  • Une négociation directe entre un groupe de
    négociateurs mandaté par l’ensemble des
    producteurs-trices affiliés et les différents acteurs du
    marché. La négociation des prix doit se professionnaliser
    et doit être performante. Les personnes qui négocient
    doivent connaître l’objectif – dans ce cas le prix
    – et doivent être sous mandat direct des producteurs-trices.
  • Si le résultat des négociations n’est pas
    satisfaisant, différentes actions peuvent être
    menées, et notamment une grève générale
    européenne des livraisons de lait. La création de la
    plateforme européenne a été constituée pour
    la coordination d’une éventuelle grève du lait
    à l’échelle européenne. Néanmoins,
    différentes actions à l’échelle nationale
    peuvent être entreprises par les producteurs-trices.
  • Une gestion de la production en main des producteurs-trices afin
    de maintenir les prix et la mise en place d’une politique
    agricole basée sur le concept de la souveraineté
    alimentaire. Le prix du lait fluctue selon les quantités
    produites. Afin d’adapter au maximum l’offre à la
    demande, les producteurs-trices doivent pouvoir gérer
    eux-mêmes leurs contingents à produire, ou à ne pas
    produire!

A n’en pas douter, ce mouvement de dimension européenne fera parler de lui ces prochains mois.


Valentina Hemmeler Maïga

Ingénieure agronome et secrétaire syndicale à Uniterre

Pour en savoir plus:
www.viacampesina.org
www.cpefarmers.org
www.uniterre.ch

Bio ou nécro-carburants?

Pendant des années, nous avons été habitués
aux surplus alimentaires qui, à renfort de subventions,
inondaient les marchés. Mais voilà, depuis quelques
temps, les réserves semblent fondre comme neige au soleil. Les
causes sont multiples. Tout d’abord, certains pays tels que
l’Inde et la Chine ont une demande croissante en denrées
alimentaires en raison de l’augmentation de la «classe
moyenne». Ensuite, de nouvelles utilisations des produits
agricoles sont apparues. C’est le cas des agrocarburants qui sont
une concurrence directe à l’alimentation. Leur demande
explose afin de soulager la conscience de nos sociétés
polluantes en mal de solutions faciles qui ne remettent en rien en
cause notre manière de consommer. Voilà qu’on nous
vend des «voitures propres»! Or, les chiffres sont
éloquents: pour faire le plein d’une 4×4 en agrocarburant,
il faut l’équivalent de ce que consomme une personne en
céréales en une année. Et comme le pouvoir
d’achat de ceux-celles qui ont faim est bien moins important que
ceux-celles qui roulent avec de magnifiques «voitures
propres», on imagine bien qui sortira vainqueur de ce
marchandage. La Via Campesina s’est aujourd’hui clairement
prononcée contre cette course aux agrocarburants. Les
multinationales et les grands propriétaires terriens accaparent
les terres fertiles pour y planter à perte de vue des cultures
destinées aux agrocarburants. Monocultures, organismes
génétiquement modifiés et répartition
inégale des terres n’en sortent que renforcés. Un
simple exemple: aujourd’hui, les USA cultivent du maïs
essentiellement pour les agrocarburants. Or, dans les années
nonante, à l’aide de subventions à
l’exportation et en s’aidant de l’ALENA (accord de
libre échange nord américain), ils avaient fait main
basse sur le marché mexicain et mis en faillite la production
locale. Les consommateurs-trices mexicains se contentaient donc du
mauvais maïs américain moins cher que le local pour leur
alimentation. Mais celui-ci n’est plus disponible puisqu’il
alimente les réservoirs des voitures… ce genre
d’exemple peut être multiplié à
l’envie…