Comment les mécanismes du marché pourrissent le climat

Comment les mécanismes du marché pourrissent le climat

En ces temps d’écologisme
mou, les propositions de taxation des activités produisant des
gaz à effet de serre ou des émanations
écologiquement nocives ont le vent en poupe. C’est
même devenu la marque de fabrique de courants comme
«écologie libérale» ou les Verts
libéraux alémaniques. Les droits d’émissions
ont moins bonne presse – les Verts les rejettent – tant
leur efficacité paraît douteuse. C’est pourtant les
deux mesures essentielles que propose le marché pour
«sauver le climat». Une prétention largement
injustifiée, comme le montre l’étude de Daniel
Tanuro que nous publions ci-dessous. Ingénieur agronome, Daniel
Tanuro publie régulièrement dans les colonnes de notre
journal. En mars, nous avions publié du même auteur un
cahier émancipations intitulé Le diable fait les
casseroles, mais pas les couvercles. Défense du climat et
anticapitalisme. (no 104, du 14.3.07). La contribution qui suit
paraîtra dans le numéro de janvier 2008 de la revue
ContreTemps.

Deux types de mécanismes de marché peuvent être mis
en oeuvre dans le cadre d’une politique environnementale: les
écotaxes et le commerce de droits d’émission
contingentés. Les deux systèmes font intervenir la notion
d’externalité, autrement dit la nuisance environnementale
dont le coût pour la collectivité n’est pas pris en
compte par les propriétaires de moyens de production.

Les deux systèmes impliquent aussi que l’Etat fixe les
règles du jeu. Dans le cas de la taxe, l’Etat
détermine le coût de l’externalité et le
résultat environnemental dépend du comportement des
acteurs économiques (ils peuvent choisir de payer la taxe
plutôt que d’investir pour réduire les
émissions). Dans le cas de l’échange de droits
d’émissions, c’est le contraire: l’Etat fixe
les plafonds d’émission, distribue les droits aux
pollueurs, et le prix de l’externalité varie sur le
marché en fonction de divers facteurs tels que
l’efficience des procédés, la conjoncture
économique, la météo, etc.

En principe, la fixation de plafonds d’émission est
préférable du point de vue environnemental. Les
néolibéraux purs et durs plaident d’ailleurs en
faveur de la taxe, en faisant valoir notamment que la gestion des
quotas est lourde, nécessite des contrôles en entreprises,
etc. tandis que la taxe «travaille toute seule». Dans un
certain nombre de dossiers comme le réchauffement global,
où le sérieux de la menace écologique ne pouvait
décemment pas ne pas être pris en compte,
l’incertitude sur le résultat environnemental de la taxe a
pourtant fait pencher la balance en faveur des quotas. Cependant, le
dogme néolibéral étant allergique à toute
approche qui ressemblerait de près ou de loin au «Command
and Control», on imagina de combiner la fixation de quotas avec
la distribution de droits d’émission échangeables
sur le marché ce qui, quoi qu’en disent les textes
officiels, revient bel et bien à distribuer des droits de
propriété semi-permanents sur les ressources.1
Nous nous concentrerons ici sur l’analyse de ce mécanisme
(dit «cap and trade»), tel qu’il a été
mis en oeuvre aux Etats-Unis d’abord, en Europe ensuite, et tel
qu’il pourrait être déployé demain au niveau
mondial.

Le vrai bilan du «cap and trade» aux USA

Une des premières expériences de «cap and
trade» outre-Atlantique avait pour but d’éliminer le
plomb dans l’essence. Comme on le sait, le plomb pose de graves
problèmes de santé publique: hypofertilité,
avortement spontané, malformation du fœtus, atteintes au
système cérébral. Les avocats du marché
peuvent certes affirmer que l’objectif a été
atteint: les voitures aux USA, comme ailleurs, roulent
dorénavant à l’essence sans plomb. Mais cet exemple
ne démontre pas vraiment l’efficacité du
marché puisqu’il a fallu pas moins de vingt-trois ans pour
parvenir à ce résultat. A titre de comparaison, le plomb
a été éliminé de l’essence en dix ans
au Japon et en trois ans… en République Populaire de Chine,
par des mécanismes de régulation classiques.2

C’est surtout dans la lutte contre les pluies acides que le
système des droits échangeables a acquis ses titres de
noblesse aux yeux des libéraux. Très dommageables aux
écosystèmes, les pluies acides sont dues largement aux
émissions d’oxydes de soufre (SOx) et d’azote (NOx)
par les centrales électriques utilisant le charbon comme
combustible: les oxydes réagissent avec la vapeur d’eau
des nuages pour former des acides qui retombent en pluie sur les
reliefs.

En 1990, le législateur américain adopta un «Acid Rain Program» (ARP),3
stipulant que les producteurs d’électricité
devraient réduire leurs émissions de SOx et de NOx de 50%
par rapport à 1980, par le truchement de permis
d’émission échangeables. En 1995, une série
de grandes unités très polluantes reçurent leurs
permis en même temps que l’obligation de parvenir en 5 ans
à un premier seuil de réduction agrégée.
Cinq ans plus tard, des permis étaient distribués
à toutes les centrales, avec obligation de ne plus
émettre que 9 millions de tonnes de polluants (à peu
près 50% du volume de 1980). Chaque producteur pouvait vendre
les permis d’émission dont il n’avait pas besoin, ou
les capitaliser pour les vendre plus tard. Aucune norme technologique
n’était imposée.

Les défenseurs du marché crient victoire: non seulement
les émissions ont diminué de 50%, mais en plus le
marché aurait permis de réduire le coût de la
désacidification de 30% par rapport à un scénario
de contingentement classique. On serait donc en présence
d’un bilan «win-win-win» – profitable à
l’économie, à la collectivité et à
l’environnement. Pourtant, cette image est trompeuse.
Premièrement, une partie substantielle de la réduction
s’explique du fait que, dès avant le lancement du plan, le
charbon du Midwest, à faible teneur en soufre, était
devenu plus compétitif que le charbon à haute teneur en
soufre. Deuxièmement, un cinquième des réductions
attribuées au Plan Pluie acide avait déjà
été réalisé dans la décennie 80-90,
notamment grâce à ce changement au niveau des
caractéristiques du combustible. Troisièmement, les
permis attribués la première année donnaient aux
compagnies le droit d’émettre 8,7 millions de tonnes alors
qu’elles n’en émettaient que 5,3: le respect des
quotas n’a donc pas été trop difficile!4

Quatrièmement, dans plusieurs Etats le système
d’échange de droits a remplacé des
législations… plus sévères, de sorte que les
émissions, en réalité, auraient reculé plus
vite sans l’ARP.5 D’autant plus que,
cinquièmement, de nombreux producteurs ont capitalisé
leurs permis dans le but de faire monter les prix.

L’échange de droits est donc loin d’avoir
prouvé sa supériorité environnementale à
travers la lutte contre les pluies acides. Qu’en est-il du point
de vue des coûts? L’économie de 30% qui est
revendiquée est très contestable, car elle est
calculée par rapport aux évaluations ex ante des
compagnies. L’American Power Electric Company avait ainsi
misé sur un prix de 500$/tonne de SOx alors que, pendant la plus
grande partie du plan, ce prix oscilla entre 115 et 300$/tonne, par
suite de la baisse du cours du charbon.6

Quant au volet social, parlons-en: le volume de permis offerts la
première année représentait environ deux milliards
de dollars; la loi interdisait certes aux compagnies de
répercuter cette valeur sur les prix de
l’électricité (c’eût été
un comble, les permis étaient gratuits!), mais les achats de
permis et autres dépenses relatives à
l’exécution du programme ont été mis
à charge du public, via une augmentation des tarifs, tandis que
le patronat recevait un joli cadeau.

Le système européen d’échange de droits, ou l’assiette au beurre libérale

C’est par pure idéologie néolibérale que les
négociateurs du Protocole de Kyoto (1997) ont voulu voir dans ce
bilan un succès des mécanismes de marché et ont
décidé en conséquence de recourir au «cap
and trade» pour réduire les émissions de gaz
à effet de serre. Cette décision, jusqu’à
présent, ne s’est concrétisée
qu’à travers le système européen
d’échange de droits d’émission (ETS)
lancé en 2005 par l’Union. Mais, dans l’esprit de
ceux qui l’ont conçu, cet ETS a pour vocation de
s’élargir à la planète entière et la
probabilité est grande qu’il en soit ainsi, moyennant
certains aménagements. Voyons donc son fonctionnement de plus
près.

L’ARP concernait 445 unités de production, l’ETS
englobe 11.500 grandes entreprises (centrales thermiques, cimenteries,
verreries, usines sidérurgiques). Mais le dispositif est
très semblable. En début de période, chaque
entreprise reçoit – gratuitement – un certain nombre
d’unités d’émission de CO2. Ce nombre est
négocié avec les gouvernements. Une fois validé
par la Commission, il constitue le plafond des émissions
autorisées. Ensuite, les entreprises informent annuellement les
autorités de la quantité de CO2 émis et font
vérifier ce chiffre par un vérificateur
indépendant. Pour chaque tonne de CO2, l’entreprise doit
délivrer une unité d’émission. Si la
quantité de CO2 dépasse le plafond, une
pénalité est imposée (40 euros/tonne en 2005-2007,
100 euros en 2008-2012). Pour l’éviter, les entreprises en
dépassement peuvent acheter les unités
d’émission mises en vente par les entreprises qui sont
restées au-dessous de leur plafond.

L’ETS couvre deux périodes: 2005-2007 et 2008-2012. La
seconde coïncide avec la première période
d’engagement du Protocole, au cours de laquelle l’UE
devrait réduire ses émissions de 8% par rapport à
1990. La première, qui vient de se terminer, était
cruciale pour la mise en place du mécanisme. On peut
déjà en dresser le bilan.

Comme dans le cas américain, la première année de
l’ETS a été marquée par une surallocation de
droits. Les industries concernées ont en effet émis
1785,3 millions de tonnes de CO2 en 2005, alors qu’elles avaient
reçu un quota global de 1848,6 millions de tonnes. La Commission
a feint de croire que la différence découlait des efforts
du patronat, mais tout le monde sait que les gouvernements ont
été laxistes dans l’attribution des quotas, pour ne
pas nuire à la compétitivité. De ce fait, le prix
de la tonne de carbone s’est effondré début 2006,
passant en une semaine de 30 à 10 euros/tonne environ. Selon la
doctrine, l’efficacité du système
découlerait d’un prix du carbone élevé,
incitant à investir pour réduire les émissions.

Dans la pratique, les entreprises qui en avaient besoin ont
acheté à bon marché des droits de polluer tandis
que celles qui avaient des droits à vendre ont
réalisé une juteuse opération financière.

La surallocation est estimée à quelque 10%, ce qui
signifie que des droits pour 170 Mt ont été
distribués qui n’auraient jamais dû
l’être. En 2005, la vente de ces droits aurait
rapporté 800 millions de livres sterling aux seuls
électriciens britanniques.7 Le producteur allemand
d’électricité RWE aurait empoché de son
côté 1,8 milliard d’euros.8 La
libéralisation du marché de l’énergie a
augmenté les possibilités de profit, en permettant aux
entreprises de transférer leurs coûts sur les
consommateurs. Selon la banque d’investissement UBS, la
première phase de l’ETS a «probablement
contribué à une hausse des prix de
l’électricité de 10 à 20
Euros/mégawatt.heure, avec une redistribution très
significative de richesse des consommateurs vers les producteurs, et
entre les compagnies«.9 L’ETS, c’est
vraiment l’assiette au beurre. On comprend que de plus en plus de
patrons américains espèrent pouvoir y tremper leur
cuillère.10

Le marché du carbone, politique de gribouille

Et le climat dans tout ça? Il est d’ores et
déjà exclu que l’UE respecte l’objectif de 8%
de réduction des émissions autrement qu’en achetant
massivement des droits de polluer générés au Sud
par les prétendus «mécanismes de
développement propre» (MDP).11 Au-delà
de ce constat, et plus fondamentalement, il convient de noter que
l’ETS ne peut qu’être encore moins performant
écologiquement que l’ARP, parce que les architectes du
système, dans leur zèle libéral, n’ont pas
voulu admettre que l’élimination des SOx et des NOx
d’une part, et celle du CO2 d’autre part, sont deux
entreprises complètement différentes. Expliquons-nous.

L’élimination des oxydes est surtout un problème
technique et, à la limite, tous les moyens sont bons. Peu
importe donc qu’un droit X d’émettre une tonne de
soufre provienne de la mise en oeuvre d’un procédé
A ou B. Mais il n’en est pas de même dans le cas du CO2
fossile: éliminer les émissions implique l’abandon
à terme du charbon, du pétrole et du gaz naturel, donc
une véritable révolution énergétique et une
réorganisation sociale, donc un plan stratégique. Dans le
cadre de celui-ci, on ne peut exclure a priori de recourir sous
certaines conditions à des mesures non structurelles (puits de
carbone ou stockage géologique du CO2). Mais une tonne de CO2
absorbée par un puits de carbone (par exemple une plantation
d’arbres) et une tonne de CO2 fossile non émise
grâce à l’utilisation de l’énergie
solaire en remplacement d’une centrale thermique n’ont pas
du tout la même signification écologique: la
première résulte d’une mesure temporaire qui ne
résout rien fondamentalement, la seconde d’une mesure
structurelle cohérente avec l’axe de la révolution
énergétique, et par conséquent prioritaire. Or,
cette priorité, le marché ne permet tout simplement pas
de la formaliser. La raison est simple et découle de la nature
même de la marchandise, donc de la loi de la valeur: en tant que
marchandises, deux permis d’émettre une tonne de CO2 sont
strictement équivalents en valeur et ne laissent rien
transparaître de la qualité des processus qui les ont
générés.

Le lien avec l’efficacité écologique? Le voici: vu
que planter des arbres est beaucoup moins coûteux et
compliqué que de remplacer des centrales électriques par
des dispositifs décentralisés de production
électrique basés sur l’énergie solaire, le
marché du carbone tend à orienter les investissements
vers des mesures non structurelles, productrices de droits à bon
marché, plutôt que vers la révolution
énergétique indispensable. En d’autres termes, au
lieu de favoriser la transition maîtrisée vers un nouveau
système énergétique à bas carbone, et
d’organiser cette transition selon une vision globale à
moyen et long terme, l’ETS aiguillonne à
l’aveuglette une ruée fébrile vers les droits
d’émission les moins chers, qui sont aussi les moins
pertinents du point de vue stratégique. Avec le risque que de
pseudo solutions à court terme viennent encore compliquer le
problème climatique à résoudre dans les 50 ans. On
ne peut exclure totalement que le capitalisme parvienne ainsi à
stabiliser le climat, mais le chemin par lequel il y arriverait serait
assurément le plus absurde qui se puisse imaginer, de sorte que
le niveau de stabilisation serait fort éloigné de celui
qui pourrait être atteint par une politique rationnelle. Inutile
de dire que les travailleurs, les pauvres et les peuples du Sud feront
les frais de cette gabegie.

Le recours au marché du carbone est une lamentable politique de
gribouille. Cette réalité a été reconnue
à mots couverts au terme d’une table ronde rassemblant des
industriels et des politiques, en marge du sommet de 2005 du G8. La
résolution adoptée à cette occasion dit en effet
que «Les scénarios d’échange
d’émission sont moins susceptibles de stimuler des
changements ou des percées technologiques majeurs» que de
favoriser une plus grande «efficience dans l’utilisation de
l’énergie ou dans les processus de fabrication» de
sorte que «d’autres programmes publics et privés
sont nécessaires pour stimuler le développement et la
commercialisation de technologie à bas carbone».12
Ce jugement est assez proche de la vérité, à
condition d’ajouter que le marché du carbone
représente en soi un énorme gaspillage de
compétences, de travail social et de ressources naturelles, de
sorte qu’on ne peut vraiment pas créditer l’ETS du
moindre mérite en matière d’efficience
énergétique.13

Le désarroi théorique du libéralisme

Le réchauffement de la planète étant une affaire
extrêmement sérieuse, certains porte-parole du
système commencent à craindre que l’actuel
bricolage climatique à la petite semaine finisse par soulever
une vague de contestation du libéralisme, voire du capitalisme
en tant que tel. On cherche donc des issues. A notre connaissance, la
tentative la plus ambitieuse dans ce sens est celle du rapport Stern
sur l’économie du changement climatique.14 Le
danger des propositions avancées dans ce document ayant
été analysé ailleurs, on se contentera de pointer
ici les contradictions théoriques inextricables dans lesquelles
se débattent l’auteur et la «science
économique» en général.15

Comment amener le marché à prendre en compte des
externalités dont le résultat catastrophique se
déploiera pleinement dans un siècle ou plus? Telle est la
question que se pose Stern. La solution, selon lui, passerait par
l’instauration d’un prix mondial du carbone
reflétant le coût des dégâts attendus dans
les deux siècles à venir en cas de scénario
business as usual. Pour éviter que ce coût soit
sous-estimé, comme il l’est généralement,
Stern introduit trois innovations: primo, il opte pour un taux
d’actualisation extrêmement bas; secundo, il estime vaille
que vaille le coût des dégâts infligés aux
écosystèmes naturels; tertio, il augmente le coût
relatif des dégâts dans les pays du tiers-monde, en
corrigeant arbitrairement les montants déterminés par la
méthode de la «disposition à payer».

Ces innovations ont évidemment soulevé une tempête
de contestations chez les économistes: Stern gonflerait la
facture du changement climatique, selon eux. Ecrite à
l’intention des décideurs politiques, une note de
synthèse de ces débats vigoureux exprime bien le
désarroi théorique de ces milieux: «Les
incertitudes qui entourent le changement climatique et les horizons de
long terme qu’implique l’estimation de ses impacts
signifient qu’il est quasiment impossible de prendre une
décision purement ‘économique’ concernant le
niveau de stabilisation à atteindre et les actions à
entreprendre pour y arriver».16 C’est le moins qu’on puisse dire!

En réalité, c’est l’absurdité du
calcul capitaliste basé sur le profit, en d’autres termes
l’inadéquation complète de la loi de la valeur, qui
transperce à travers ces lignes. Cette loi n’est pas une
loi naturelle, mais une loi sociale. Il suffit de la rejeter et la voie
générale à suivre pour sortir du traquenard
climatique apparaît comme une évidence. C’est ce
qu’exprime à sa manière un physicien connu pour ses
travaux sur les technologies climatiquement soutenables: «On me
demande systématiquement ce que je peux dire de la
faisabilité de tel ou tel projet, dit Robert Socolow. Je crois
sincèrement que ce n’est pas la bonne question. Songeons
à des problèmes comparables auxquels nous avons
été confrontés dans le passé: des
problèmes qui, comme celui-ci, semblaient si difficiles que
chercher à les résoudre ne semblait même pas en
valoir la peine. Prenez le travail des enfants par exemple. Nous avons
décidé que nous ne l’accepterions plus. […] Il y
a cinquante ans, l’esclavage présentait aussi des
caractéristiques de ce genre. […] Puis un déclic
s’est produit: tout le monde a reconnu que c’était
intolérable […]. Cette décision avait bien entendu un
coût social. Je suppose qu’elle a renchéri le cours
du coton. Mais nous avons admis que, à partir du moment
où nous voulions en finir avec ce système
d’exploitation, c’était le prix à
payer».17

Vice-président de la Carbon Mitigation Initiative fondée
et financée par BP, Robert Socolow n’avait certainement
aucune intention subversive en prononçant ces paroles. On
perçoit d’ailleurs son plaidoyer pour que nous admettions
tous de «faire un effort». Mais le parallèle avec
l’abolition de l’esclavage ou du travail des enfants est
tout à fait pertinent: les discours sur la faisabilité du
sauvetage du climat ne recouvrent en effet rien d’autre que
l’acharnement «intolérable» à sauver
les profits d’un «système
d’exploitation» du travail et de la nature qui devrait
être jeté aux poubelles de l’Histoire.

Daniel Tanuro


  1. David Victor, The Collapse of the Kyoto Protocol and the Struggle
    to Slow Global Warming, Princeton University Press, 2001. Les
    détenteurs de droit ont une autorisation légale
    d’émission ce qui implique, dans le cas du CO2, une forme
    d’appropriation semi-permanente sur le cycle du carbone.
  2. Curtis A. Moore, Marketing Failure: the Experience With Air Pollution Trading in the US, Health and Clean Air, 2004, http://healthandcleanair.org/emissions/marketing_failure.html
  3. Titre IV du Clean Air Act Amendments
  4. Denny Ellerman et al., Emission Trading under the US Acid Rain Program, Centre for Energy and Environmental Research, MIT http://web.mit.edu/ceepr/www/napap.pdf
  5. Lire l’excellent dossier réalisé par Larry
    Lohman: Carbon Trading. A Critical Conversation on Climate Change,
    Privatisation and Power, en particulier le chapitre III «Lessons
    Unlearned» dont de nombreuses données sont
    utilisées ici: The Corner House http://www.thecornerhouse.org.uk
  6. Larry Lohman, op. cit.
  7. The Economist, 9/9/2006.
  8. Larry Lohman, op. cit. (selon Point Carbon).
  9. Cité par Larry Lohman, op.cit.
  10. The Economist, 2/6/2007.
  11. Rappelons que la fraude, la corruption et les effets
    d’aubaine sont tels sur ce marché qu’au moins 20%
    des droits ne correspondent à aucune réduction
    réelle. Lire Nick Davies, Truth about Kyoto: Huge Profits,
    Little Carbon Saved, The Guardian, 2/7/2007. Des droits acquis à
    1 euro/t sont revendus à 10 euros/t.
  12. Larry Lohman, op. cit.
  13. Dans le domaine de l’efficience énergétique
    des bâtiments, par exemple, la Commission Européenne
    reconnaît les «imperfections du marché», mais
    n’en tire évidemment aucune conclusion, hormis
    l’intensification des mesures libérales: COM(2001) 226
    final, Exposé des motifs.
  14. Nicholas Stern, The Economics of Climate Change. Consultable sur internet.
  15. Daniel Tanuro, Le rapport Stern ou a stratégie néolibérale face au changement climatique, http://www.lcr-lagauche.be et sur ESSF: Climat: qui va payer «l’échec sans précédent du marché»?
  16. Simon Kyte, The Economics of Climate Change, Current Issues Note 15, Greater London Authority, mars 2007.
  17. Cité dans «Quinze idées pour sauver le monde», article publié sur www.planetpositive.ch