Votations du 10 juin et Amée XXI


Votations du 10 juin et Armée XXI


La Nouvelle guerre froide se déroule sous nos yeux. Après le bombardement de l’ambassade de Chine à Belgrade par les avions de l’OTAN, l’interception d’un avion espion américain par l’armée de l’air chinoise en est la dernière illustration la plus spectaculaire.

Daniel Künzi

Moins visible, mais lourde de signification, la nouvelle augmentation du budget de la défense américain: 16,3%1. En 1997, l’ancien conseiller de Jimmy Carter, Zbignew Brzezinski, résumait ainsi la stratégie américaine: «les trois grands impératifs de la géostratégie impériale (…): prévenir la collusion et maintenir les vassaux, garder les tributaires dociles et protégés, et empêcher les barbares de se regrouper».2


C’est dans les airs que la prochaine confrontation se gagnera. Les Etats-Unis ont lancé un programme exceptionnel de satellites espions, le NRO (National Reconnaissance Office). Coût de l’opération: 25 milliards de dollars; soit un programme plus coûteux que le célèbre projet Manhattan, 20 milliards de dollars, mis sur pied pour la fabrication de la première bombe atomique3. Les traités de non-prolifération de missiles sont jetés à la corbeille par le président Bush, un des prétextes: ils avaient été signés par l’URSS qui n’existe plus! Samuel Schmid participant


C’est en ayant en tête cette accélération de la course aux armements, qu’il faut comprendre l’attitude des militaires suisses, derrière le Conseiller fédéral Samuel Schmid, qui demandent une hausse des dépenses de fonctionnement et d’armement dans le cadre du plan Armée XXI, ainsi que la possibilité de se déployer à l’extérieur de nos frontières pour participer aux guerres de l’OTAN.


Armée XXI, plus de muscles…


Il faut encore noter4 que les militaires suisses ont digéré la défaite mémorable de novembre 1989 ou un tiers de la population suisse votait pour l’abolition de l’armée. Depuis cette date, toutes les initiatives antimilitaristes ont échoué; contre l’achat d’avions de combat, réduction des dépenses militaires, interdiction d’exporter du matériel de guerre, et dans notre canton l’échec de l’initiative Genève République de paix.


Le chef du DDPS (Département de la défense, de la protection de la population et des sports) Samuel Schmid est quelque peu embarrassé pour faire passer un programme d’armement de 30 milliards de francs pour les quinze prochaines années (soit 500 millions de plus par année qu’aujourd’hui), il justifie ces dépenses par la volonté de pouvoir «se défendre tout seul et tout azimut»…tout en demandant au peuple suisse de s’intégrer en douceur à l’OTAN lors des votations du 10 juin! Le colonel suisse, personnage d’opérette, n’a plus d’ennemis à nos frontières: «il tentait d’échapper au désespoir par le mensonge», telle une figure de comédie sortie d’un roman de Thomas Bernhard. Mais si le colonel suisse n’a plus d’ennemi… les multinationales suisses ont toujours des intérêts!


Par ailleurs, c’est la variante la plus chère du budget militaire qui a été retenue par le Conseil fédéral: 4,3 milliards de francs pour les années à venir. Dans le programme d’armement exigé par le DDPS, on retrouve des achats dans la continuité de l’acquisition des FA/18: 4 milliards pour l’achat d’un nouvel avion de combat; mise à jour des FA/18: 400 millions; avions de transport moyen: 200 millions; petits avions de transport: 119 millions; hélicoptères de transport armé: 900 millions, etc. Bref, des moyens de combat pour que l’armée puisse se déployer en dehors de nos frontières comme le FA/18… et difficilement utilisables dans une Suisse exigüe.


Naturellement, on ne trouve pas d’achat massif d’ambulances dans le nouveau programme d’armement. Il est la conséquence logique du réarmement de l’armée suisse pour sa projection dans les prochains conflits internationaux. On ne peut que s’étonner de l’inconséquence des socialistes qui critiquent le projet coûteux d’Armée XXI… mais soutiennent l’envoi de soldats suisses à l’étranger! Comme s’ils n’étaient pas intimement liés!


Moins de graisse


Le DDPS fera donc des économies, en dégraissant. Les effectifs de l’armée qui étaient encore de 650 000 avant la chute du mur devraient passer au maximum à 120 000 soldats (avec environ 80 000 réservistes). Cinq fois moins d’hommes et de femmes!


Quelles conséquences pour Genève ?


La conclusion s’impose: l’armée a besoin de cinq fois moins de casernes, de cinq fois moins de places d’armes, de cinq fois moins de stands de tir! Tout un programme! A l’heure où Genève manque de place pour construire des logements, c’est une donnée que l’on doit avoir en mémoire pour les prochaines mobilisations. Il y a une dizaine d’années, l’armée évacuait le centre de la ville de Saint-Gall, pour construire (ou détruire la nature) à Neuschlen Anschvillen.


A la même époque, l’armée s’appropriait un terrain près de Bernex afin d’y construire un dépôt de munition, sur les rives protégées du Rhône! La place d’armes de Chancy est l’une des moins utilisée de Suisse avec un taux d’occupation de 12% (1999). Qu’en est-il de celle de Bernex?


On peut aussi s’interroger sur la nécessité de maintenir un arsenal (environ 12 000 m2), avec ses munitions, au centre de la ville. Nuisances garanties: trafic de camions, d’hélicoptères, etc. Genève accueillait les troupes de la protection aérienne. Ce type de soldat est justement menacé par la modernisation de l’armée suisse! N’est-il pas temps que l’armée quitte le quartier de Plainpalais et des Acacias avec sa caserne des Vernets (environ 70’000-m2)?


Le fameux Bunker construit pour le Conseil fédéral à Kandersteg, le village d’Adolph Ogi, à la veille de la chute du mur de Berlin, pour la modique somme de 250 millions de francs. Ces cavernes sont maintenant recyclées afin que les grandes entreprises puissent y dissimuler leurs archives secrètes!


Ajoutons à ce tableau que l’industrie militaire suisse se targue d’être à la pointe des simulateurs qui permettent de faire des batailles virtuelles (voir la présence de cette industrie au dernier salon du Bourget5). En outre, pour faire des exercices avec leurs nouvelles acquisitions, avions de combats, chars d’assaut, l’armée suisse s’entraîne maintenant à l’extérieur de nos frontières!


N’oublions pas au passage le corps paramilitaire de la protection civile, qui devrait voir ses effectifs diminuer de 270 000 actuellement à 120 000. Cela signifie aussi deux fois moins d’abris, deux fois moins de casernes, deux fois moins de véhicules, etc. Résumons avec ironie: si l’armée suisse vole à l’étranger, elle laisse du champ libre en Suisse !




En Grèce …et dans le Jura

Une information n’a pas eu l’écho qu’elle aurait du avoir: «La Grèce renonce jusqu’en 2004 à l’achat de nouveaux armements», titrait Le Monde du 31 mars 2001. Au grand dam de ses fournisseurs militaires européens et américains, le premier ministre Costas Simitis a indiqué : «les priorités à donner à la politique sociale, au développement et aux jeux olympiques d’Athènes en 2004» sont à la source du gel des dépenses d’armement. Et cela se passe dans un pays des Balkans, en conflit larvé avec la Turquie. La Grèce économisera ainsi 5 milliards d’Euros durant les années à venir.


Commentaire du porte-parole du gouvernement Dimitis Reppas: «la politique sociale est la plus haute priorité pour un gouvernement progressiste et socialiste». On se pince en Helvétie, en songeant que l’opposant le plus déterminé à l’achat de chars d’assaut était…le radical Couchepin !


…on dégraisse !


Le Jura n’aime pas l’armée, comme le canton de Genève, il avait voté en faveur de son abolition en 1989. Aujourd’hui, les militaires abandonnent la place de tir de Calabri, 472 138 m2 sont rendus aux communes (Le Courrier du 5 mai). Depuis 1965, les habitants de cette région contestaient la présence des militaires. «Calabri a été l’expression de la résistance d’un village» a déclaré le maire de Fontenais. «Le rachat des terrains met fin à un contentieux vieux de 40 ans, et c’est la réparation d’un tort passé». Et le Jura n’a pas un Parlement de gauche…


(dk)




  1. Le Monde, 11 avril 2001
  2. Brzezinski The Grand Chessboard, cité par Gilbert Achcar, La nouvelle Guerre froide, puf
  3. Le Monde, 28 mars 2001
  4. Edito Revue militaire suisse, mars 2001
  5. Revue militaire suisse, mars 2001