Nomade au XXIe siècle, une utopie ?


Nomade au XXIe siècle, une utopie ?


Les Gens du voyage sont attachés à leur vie nomade. Pourquoi les autorités suisses combattent-elles aujourd’hui leur libre choix? Elles étaient, jusqu’en 1972, complices du rapt de leurs enfants. Le scandale d’antan ne suffit-il pas à mettre fin à leur exclusion? Aujourd’hui encore, à Versoix, des Gens du voyage sont confinés dans un camp insalubre et surpeuplé.

Romain Oguey Leresche

Dans le cadre d’un cycle de débats et animations organisés en collaboration par le Théâtre Saint-Gervais et l’ACOR/SOS racisme, May Bittel, porte-parole des Gens du voyage, a voulu faire entendre leurs voix. Trente ans après la révélation des pratiques d’enlèvements des enfants jenisches par l’Oeuvre d’entraide des enfants de la grand-route, (fondée par Pro-Ju-ven-tute) ils ont encore peine à trouver une audience. Cette figure connue – il est l’interlocuteur des autorités fédérales, membre de la commission fédérale contre le racisme – revient brièvement sur le passé fait d’oppression du peuple gitan, et évoque en quelques phrases brutes, bien taillées, la volonté persistante de ne pas reconnaître les communautés des Gens du voyage. On saisit rapidement que cette situation n’a pas changé aujourd’hui. Entre mise à l’écart, élimination et assimilation forcée, en Suisse comme en Europe, les politiques ont varié au cours des temps, mais dans un continuel refus de ces nomades qui dérangent. La reconnaissance des droits de ces communautés, de leur mode de vie spécifique par exemple, n’est jamais évoquée. Au contraire, les seules mentions dans les lois ou règlements de leur existence sont liées à des mesures de bannissement, de sédentarisation, d’interdiction d’utilisation de leurs langues, etc. Deux questions sont aujourd’hui au centre de l’actualité et mobilisent ces communautés à propos de leur devenir. La première a trait à l’aménagement de lieux d’installation où ils pourraient poursuivre leur vie nomade, et révèle le fossé entre les propositions articulées dans un cadre capitaliste, et les attentes d’un autre rapport au territoire. La deuxième tient aux violences et discriminations qui continuent à s’exercer à leur égard, dans la presse, mais aussi et encore, au niveau des autorités.


Des endroits pour vivre


La presse s’est fait écho d’un débat initié par une proposition de l’exécutif vaudois pour l’aménagement de trois sites destinés à accueillir les Gens du voyage. Cette perspective n’est pas allée sans réactions, et deux des trois communes concernées se sont opposées formellement à ces aménagements avec, comme souvent, des formules et propos infâmes. Le gouvernement, malgré la fronde populiste, affirme vouloir poursuivre ces projets.


Cette situation n’a rien de spécifique au canton de Vaud. Remémorons nous le vote de Versoix pour l’installation sur le terrain des Hôpitaux (voir solidaritéS n° 110 p. 20). Là aussi, le gouvernement genevois prétend poursuivre la négociation pour apporter une solution viable. Mais avec quels arguments? C’est ici que l’on constate les effets de l’absence de droits reconnus aux communautés gitanes. Les arguments pris en compte se résument toujours à une pesée de la «tolérance» vis-à-vis de ces communautés, dans l’espace d’aménagement pressenti, et des droits établis de la population locale, en particulier des droits de la propriété privée. Tolérance contre droits… Ainsi, le débat sur l’aménagement de ces lieux réservés, pour lesquels les gouvernements s’engagent, cache mal la volonté de limiter les lieux d’installations traditionnels et la poursuite d’un contrôle social de la mobilité de ces communautés. Pour saisir les enjeux de ce débat, May Bittel précise que ce sont plus de soixante sites qui devraient êtres considérés comme lieux traditionnels d’installation dans le seul canton de Vaud. Ainsi, c’est un trait essentiel de leur culture que les soi-disant propositions de résolutions, aujourd’hui comme par le passé, nient et font passer à la trappe, la vie nomade.


Des droits pour exister


Face à la négation persistante de leurs droits et de leur culture, leur porte-parole appelle à la solidarité pour que cette situation change. Les Gens du voyage, que l’histoire a forgé en résistants face aux persécutions successives, n’ont développer des relations de confiance avec les pouvoirs civils et politiques, et s’ils n’aiment guère s’exprimer publiquement ou se manifester collectivement, ils ont aujourd’hui besoin d’engager un vrai dialogue.


Des démarches juridiques auprès du Tribunal fédéral ont été entreprises pour faire reconnaître leur droit traditionnel d’installation; mais elles ont besoin de trouver un soutien et un écho plus large pour aboutir. Elles ouvrent aussi la possibilité de dialoguer avec ces femmes et ces hommes qui partagent notre quotidien afin d’entendre leur réalité, leurs différences, leurs besoins. Il est aussi temps d’envisager avec eux/elles quelles revendications défendre ensemble contre les discriminations et les violences qu’ils/elles connaissent, comme d’au-tres minorités en Suisse. Aujourd’hui, à l’heure de la publication du rapport Bergier sur la politique suisse à l’égard des tsiganes au temps du nazisme, les Gens du voyage qui ont traversé six siècles d’histoire sur ce coin de Terre appellent les sédentaires au dialogue. Nous tenterons pour notre part d’y contribuer.



  1. Tsiganes, roms, et principalement sintés ou manouches et jenisches en Suisse
  2. Genève, le chef du Département de la police ne se retient guère quand il s’agit d’amalgamer délinquance et tsiganes; nous y reviendrons.
  3. Dans le cas genevois encore, les Gens du voyage n’existent pas dans les textes de lois et règlements: les habitants du Molard à Versoix sont ainsi qualifiés de «forains»
  4. Article paru dans Le Courrier du 16 février 2001