Il y a 50 ans: l ’assassinat d’Imre Nagy

Il y a 50 ans: l ’assassinat d’Imre Nagy

Avec l’implosion du «camp socialiste, avec l’Union Soviétique à sa tête», en 1989-1991, les oppositions de gauche aux régimes bureaucratiques ont été éliminées du champ historique ou récupérées post mortem, comme le montre un article de La Liberté du 16 juin 2008 sur Imre Nagy (Premier ministre hongrois en 1953-1955 et en octobre/novembre 1956), pendu le 16 juin 1958 à Budapest.1

Né en 1896 à Kaspovar, Imre Nagy est un militant du mouvement ouvrier hongrois. Mobilisé pendant le premier conflit, prisonnier de guerre en Russie, il entre, après la révolution d’Octobre 1917, dans les rangs de la Garde Rouge et du Parti bolchevik.

Après la guerre, il retourne en Hongrie et s’engage dans la gauche légale. En 1930, il se rend en URSS pour le congrès du Parti communiste hongrois (clandestin) et y reste jusqu’en 1944.

Nommé, en décembre 1944, Ministre de l’agriculture du gouvernement hongrois constitué à Debrecen, Nagy organise la réforme agraire, qui exproprie les grands propriétaires fonciers.2

En 1948, il est exclu du Bureau politique du Parti des travailleurs hongrois, MDP (absorption du Parti socialiste par le PC), en raison de son opposition à la collectivisation forcée de l’agriculture.

Après la mort de Staline (1953), Nagy est cependant nommé Premier ministre pour remédier aux conséquences de la «super-industrialisation» de 1949-1953. Mais Matyas Rákosi (Premier secrétaire du MDP) le fera limoger en 1955.

La crise suscitée en 1956 par le rapport Khrouchtchev sur les crimes de Staline, débouche en Hongrie sur la chute de Rákosi, en juillet 1956, puis sur l’insurrection d’octobre 1956. Après les affrontements durant la soirée du 23 octobre, la direction du MDP nomme Imre Nagy Premier ministre… et demande l’intervention de l’armée russe!3

Cela n’empêche pas l’effondrement rapide d’un régime honni de la population (y compris des militant-e-s de base du MDP), et une situation de double pouvoir, avec la formation de conseils ouvriers. Toutefois, début novembre, la situation politique se stabilise avec la formation d’un gouvernement de coalition, toujours présidé par Imre Nagy.4

La 2e intervention russe, le 4 novembre 1956, prétextant la «défense du socialisme en Hongrie», relève surtout de considérations géopolitiques typiques d’un «hégémonisme de grande puissance» (appliquée en Europe de l’Est durant la «guerre froide»).

Arrêté fin novembre 1956, Imre Nagy est traduit devant un tribunal hongrois en 1958, et condamné à mort, avec Pal Maléter (ministre de la Défense) et le journaliste Miklos Gimes.

Les politiciens hongrois des années 90, qui ont déclaré Imre Nagy «héros national», gomment cependant le fait que les suppliciés de juin 1958 étaient des communistes, assassinés par les dirigeants (post) staliniens de l’époque.5

Hans-Peter Renk

  1. Pepe Gutiérrez-Alvarez, «Hongrie: main basse sur l’héritage des Conseils ouvriers», solidaritéS, N° 95, du 11 octobre 2006.
  2. Dont Pal Sarkozy de Bocsa-Nagy, père d’un politicien français très médiatisé…
  3. Après une grande manifestation de solidarité avec la Pologne, le 23 octobre 1956, les forces de sécurité tirent sur des manifestant-e-s devant la Radio.
  4. Outre le Parti communiste rénové (MSzMP), y figuraient deux partis agrariens, national-paysan et des petits propriétaires, et le Parti socialiste reconstitué.
  5. Par ailleurs, les seules sources en langue française sur la pensée d’Imre Nagy datent de la fin des années 1950. Ses textes politiques n’ont pas été réédités.

Imre Nagy parle (extraits)

«L’ancienne politique économique donnait du socialisme une interprétation entièrement erronée, en l’assimilant à l’augmentation maximale de la production du fer et de l’acier, à la surindustrialisation. Ce n’était pas du socialisme, camarades!»

(Comité central du MDP, octobre 1954)

«Les membres du Parti et tout le peuple hongrois ne souhaitent pas le retour au capitalisme. Ils veulent un régime de démocratie populaire qui serait l’incarnation de la théorie socialiste, dans lequel les idéaux de la classe ouvrière ne seraient plus lettre morte, dont la vie publique reposerait sur des bases éthiques, qui ne serait pas gouverné par un pouvoir bonapartiste dégénéré et la dictature, mais par le peuple travailleur lui-même, respectant l’ordre et la légalité.»

(Mémorandum au CC du MDP, 1955/1956)

«A deux reprises, j’ai essayé de sauver l’honneur du mot socialisme dans la vallée du Danube: en 1953 et en 1956. La première fois, je fus contrecarré par Rákosi, la deuxième fois par toute la force armée de l’Union Soviétique. Dans ce procès tissé de passions et de haines, il faut que je donne ma vie pour mes idées. Je la donne volontiers. Après ce que vous en avez fait, elle ne vaut plus rien. Je suis certain que l’histoire condamnera mes assassins. Il n’y a qu’une chose qui me répugnerait: que la réhabilitation soit faite par ceux qui m’auront tué.»

(Déclaration au tribunal, le 14 juin 1958)


Bibliographie de et sur Imre Nagy

  • Un communisme qui n’oublie pas l’homme / présentation de François Fejtö. Paris, Plon, 1957.
  • Inemanari de la Snagov. Corespondante, rapoarte, convorbiri. Iasi, Ed. Polirom, 2004. (Extraits en français: «Le mémorandum d’Imre Nagy: les notes de Snagov», Cahiers du mouvement ouvrier, n° 34, 2007, p. 112-120).
  • «La révolte de la Hongrie», Les Temps Modernes, N° 129-131 (1956/1957).
  • Tibor Méray, Imre Nagy, l’homme trahi, Paris, Julliard, 1960.
  • Sandor Kopacsi, Au nom de la classe ouvrière: les mémoires du préfet de police de Budapest en 1956, Paris, R. Laffont, 1979.
  • André Farkas, Budapest 1956: La tragédie telle que je l’ai vue et vécue, Paris, Tallandier, 2006.
  • Janos M. Rainer, Imre Nagy: The Leader and Martyr of the HungarianRevolution of 1956, Budapest, ARP, 2006.