Egalité professionnelle entre femmes et hommes


Egalité professionnelle
entre femmes et hommes


Après près de 4 ans de lutte, le Tribunal cantonal de Lausanne donne raison à la plaignante, c’est une avancée majeure sur le principe, même si la justice a traîné les pieds.

Magdalena Rosende

L’une des rares plaintes pour discrimination salariale dans le secteur privé sur la base de la LEg (Loi sur l’Egalité entre femmes et hommes) s’est conclue par la victoire de l’ouvrière qui faisait valoir le principe «à travail égal, salaire égal». Alors que la LEg prévoit la mise en place de procédures simples et rapides pour trancher des litiges de ce type, cette affaire montre cependant qu’il faut beaucoup de courage, de détermination et d’espoir dans la lutte contre les discriminations professionnelles.


Un «parcours de combattante»


Engagée en 1995 comme ouvrière non qualifiée (quand bien même elle bénéficiait d’une formation complète de tourneuse), dans une entreprise de l’Ouest lausannois qui fabrique des circuits électroniques, avec un salaire brut de Fr. 2400.- pour 41 heures de travail hebdomadaire, Malika K. passe au bout de quelques mois sur un tour et exécute un travail qualifié. Comme son salaire demeure inchangé, elle demande à être payée comme ses collègues masculins qui travaillent sur le même tour. Les écarts de salaire s’élèvent en effet à plus de 30%1.


L’employeur refuse arguant d’un niveau de formation inférieur. Sur conseil du Bureau vaudois de l’égalité entre femmes et hommes, Malika sollicite et obtient la reconnaissance de son diplôme auprès de l’Office de la Formation Professionnelle et de la Technologie, puis réclame une augmentation salariale auprès de la direction. La réponse de cette dernière ne tarde pas: Malika est licenciée. Ré-engagéée suite à une requête en réintégration, elle va toutefois, en raison de pressions nombreuses subies sur le lieu de travail, résilier son contrat en automne 1999. Depuis, elle a retrouvé un emploi à de meilleures conditions dans la région.


En mars 2001, après près de 3 ans de procédure, le Tribunal de prud’ hommes de Renens rend son verdict dans ce litige qui porte sur un travail identique: Malika se retrouve déboutée par la justice dans toutes ses prétentions. Le président n’a pas tenu compte du rapport d’expertise2 concluant à l’existence d’une discrimination salariale directe entre l’ouvrière et deux collègues masculins, et admet ainsi sur le fond le point de vue de l’entreprise (qui avait demandé à plusieurs reprises une contre-expertise).


Selon le jugement, les écarts de salaire entre l’ouvrière et les ouvriers étaient justifiés par une productivité et des compétences différentes. Pour affirmer que cette dernière avait un «rendement inférieur» à ses collègues, le tribunal s’appuie sur les témoignages de deux chefs de l’ouvrière ainsi que sur un rapport statistique produit par l’entreprise. Or, le système salarial en vigueur n’est lié ni au rendement ni aux compétences des salarié-e-s!


Une avancée majeure


En effet, l’employeur «n’exigeait aucune formation spécifique lors de l’engagement». Et quand bien même la grille salariale se serait fondée sur les compétences, Malika avait acquis un diplôme de «tourneur sur métaux» dans son pays d’origine, alors que ses homologues masculins n’étaient au bénéfice d’aucune formation correspondant à l’activité qu’ils effectuaient dans l’atelier. Enfin, alors que dans le rapport d’expertise avaient été écartés trois collègues de travail non voyant ou mal voyants, le président du Tribunal les a ré-introduits pour la comparaison des salaires. Ce faisant, de manière implicite, aux yeux de la cour, être une femme constitue un handicap!


Contestant ce jugement, Malika dépose un recours auprès du Tribunal cantonal dans lequel elle demande l’annulation de ce jugement. La décision des juges cantonaux a été récemment rendue publique: les magistrats donnent raison à Malika en reconnaissant l’existence de discrimination salariale directe à son encontre et lui allouent la somme de Fr. 20’000.- à titre de salaire complémentaire. Cette décision constitue une avancée majeure en matière de reconnaissance du principe «à travail égal, salaire égal».


Résistances à l’application de l’égalité


Ce litige illustre les difficultés et les résistances diverses dans l’application de la LEg. La lenteur de la procédure s’explique par les procédés de l’employeur qui a notamment remis en cause la compétence du Tribunal des Prud’hommes pour juger du litige, ce qui a eu pour conséquence de prolonger la procédure. Elle trouve également son origine dans le fait que la justice ne connaît qu’un nombre limité de litiges engagés sur la base de la LEg: les juges avancent encore en «terre inconnue». C’est d’autant plus vrai que l’on a affaire ici à un cas relativement simple: le litige ne portait pas sur une probable valeur équivalente du travail, mais bien sur un travail identique.


Les résistances à l’application de l’égalité entre les sexes sont nombreuses. L’employeur a tout fait pour dé-ligitimer la plaignante en invoquant dans un premier temps la thèse d’une «conspiration» fomentée par le Bureau vaudois de l’égalité avec le soutien, non seulement du syndicat FTMH, du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, mais également du SECO (qui aurait répondu avec une excessive rapidité à la demande de reconnaissance du diplôme). Pendant les audiences du tribunal de Prud’hommes, la volonté de l’employeur de rester maître dans son entreprise s’est clairement fait jour.


Un modèle pour d’autres femmes


En qualifiant la LEg de «loi machin», l’avocat de l’entreprise a laissé entendre que cette loi crée un carcan insupportable pour les lois du marché. Le récent jugement du Tribunal fédéral dans le litige qui opposait des enseignantes en soins infirmiers à des maîtres d’enseignement professionnel l’avait déjà laissé entrevoir: aux yeux des juges fédéraux, le principe d’égalité ne fait pas le poids par rapport aux lois du marché. Non seulement des efforts sont déployés pour faire disparaître les protections des salarié-e-s en vigueur, mais tout est fait pour empêcher que celles qui ont été récemment votées soient réellement appliquées.


Ouvrière immigrée avec un salaire extrêmement bas, Malika a fait preuve de beaucoup de détermination et de courage. Elle a rappelé combien il était important de «se battre pour faire reconnaître ses droits et ne pas se laisser faire». Combien de femmes (et hommes) se taisent par crainte de représailles? La décision du tribunal cantonal constitue une preuve de la nécessité de se battre pour plus de justice, pour mettre un terme aux discriminations subies sur son lieu de travail.



  1. Ainsi le salaire à l’engagement de deux collègues masculins qui faisaient un travail identique à celui de Malika était respectivement de Fr. 2700.- (salaire 1990) et de Fr. 2800- (salaire 1995) contre Fr. 2400.- pour la plaignante. L’écart va s’accroître au cours des années. le dernier salaire des trois salarié-e-s est de Fr. 3325.-, de Fr. 3500.- et de Fr. 2550.- respectivement.
  2. A la suite de diverses péripéties juridiques, une expertise avait été requise.