Le monde nous appartient
Le monde nous appartient
La «mondialisation heureuse» dAlain Minc nest pas celle de Christophe Aguiton. Il nous montre au contraire comment la résistance à la globalisation des politiques néolibérales annonce la contre-offensive internationale des exploité-e-s et des opprimé-e-s *.
Le mouvement dopposition à la mondialisation néolibérale nen est quà ses débuts. Bien que nourri par de sérieux précédents, son acte de naissance emblématique, au cur des pays industrialisés, date des événements de Seattle (novembre 1999). Il semble donc loin davoir épuisé son potentiel de subversion. Parmi les premières tentatives dinterprétation densemble, on relèvera celle de Christophe Aguiton, animateur notamment des «Marches européennes contre le chômage» et de la commission internationale dATTAC-France.
Nouveaux visages du capitalisme mondialisé
Dans la première partie de louvrage, Aguiton examine les transformations du capitalisme au cours des trente dernières années. Pour lui, le «système-monde» actuel repose sur trois piliers : au plan économique, un régime daccumulation «à dominante financière», en rupture avec le modèle «fordiste» de laprès-guerre; au plan politique, un «nouvel ordre mondial» issu de la guerre du Golfe et dominé par les Etats-Unis; au plan idéologique, le néolibéralisme comme doctrine générale de légitimation. Le constat ne surprendra pas. Il est toutefois intéressant de noter que, là où daucuns considèrent ce système comme stable et cohérent, Aguiton en juge léquilibre précaire, et donc particulièrement vulnérable à la contradiction.
Lintérêt de la première partie réside pour lessentiel dans la capacité de lauteur à faire se rencontrer les analyses actuelles et les thématiques anciennes. Il remet notamment au goût du jour le débat portant sur l«ultra-impérialisme», qui avait opposé Kautsky à Lénine au début du siècle. Lénine considérait que les Etats impérialistes étaient voués à se livrer des guerres pour la conquête des nouveaux marchés, alors que Kautsky faisait lhypothèse dune alliance entre eux au détriment du reste du monde. Ce débat conserve toute son actualité, car la question se pose aujourdhui de déterminer quels sont les rapports entre les acteurs de la mondialisation (institutions internationales et entreprises multinationales) avec les Etats dont ils sont issus. Les premiers entretiennent-ils, comme par le passé, un lien organique avec les seconds? Sen sont-ils au contraire complètement affranchis? La seconde partie porte sur lémergence dune «autre mondialisation». De Seattle à Porto Alegre, en passant par Genève et Prague, un mouvement de contestation est indéniablement en voie de formation. Celui-ci a dimportantes ressemblances avec ceux du passé, mais est aussi inédit à plus dun titre. Dune part, le contexte mondial est marqué par la fin de la guerre froide, qui fournit la possibilité de pratiques militantes flexibles, basées sur des coalitions larges et non exclusives. Dautre part, la mondialisation du capital a bouleversé le rapport entre le local et le global.
La mondialisation des alternatives
Les mobilisations sont aujourdhui demblée mondiales, phénomène dont le moindre avantage nest pas de faciliter grandement la solidarité internationale. Mais cette situation a aussi des défauts, dont celui de rejeter à larrière-plan le cadre national, dans lequel sexpriment encore la plupart des luttes sociales. Les principales victimes en sont les syndicats qui, dans lensemble, ont conservé un fonctionnement centré sur lEtat-nation. Si ce secteur connaît des recompositions dans certains pays, il est bien souvent à la traîne des grands rendez-vous internationaux mis sur pied par le mouvement social.
Les derniers chapitres sont consacrés à la galaxie des associations. On assiste à une radicalisation considérable de la jeunesse, qui touche dailleurs le Nord comme le Sud. On note également le retour des mouvements sectoriels de masse, comme ceux des paysans, des femmes, des chômeurs ou des étudiants. Ces derniers, bien que centrés sur une problématique unique, sont ouverts aux alliances, et se soutiennent les uns les autres dans leurs campagnes respectives. Le développement des mobilisations sopère principalement autour de trois sortes dévénements: les campagnes, souvent centrées sur un thème spécifique; les manifestations, dont lobjectif est la visibilité dans lespace public international; les conférences, lieux par excellence de discussion et dapprofondissement des thématiques.
Et les forces politiques?
Son rôle dans de nombreuses associations a permis à Christophe Aguiton de se faire une vision large du mouvement social actuel. Son ouvrage comporte cependant certaines faiblesses. On constate, en particulier, labsence de réflexion concernant le lien entre les mouvements sociaux et les organisations politiques. Ces dernières sont-ils appelées à disparaître au bénéfice des premiers? Quen est-il, notamment, des pôles de regroupement de la gauche alternative ou radicale qui se constituent dans plusieurs pays, par exemple autour des Verts de Ralph Nader aux Etats-Unis, du Parti de la Refondation Communiste en Italie, de lAlliance Socialiste en Grande-Bretagne ou du Bloc de Gauche au Portugal? Le déficit principal des nouveaux mouvements sociaux réside dans leur manque de projet politique global. Sauf à considérer quun tel projet nest plus de mise aujourdhui, il faudra bien que se pose un jour la question de la traduction politique de leurs revendications.
* Christophe Aguiton, Le monde nous appartient, Paris, Plon, 2001, 251 p.