Amiante & Eternit: fortunes et forfaitures
Amiante & Eternit: fortunes et forfaitures
Sous ce titre, les Editions den
bas et CAOVA viennent de publier louvrage, traduit de
lallemand, de Maria Roselli, une journaliste libre
dorigine italienne. Un ouvrage qui rappelle la longue histoire
de cette catastrophe industrielle, longtemps restée silencieuse.
Lhistoire dune fortune, celle de la famille Schmidheiny,
et des forfaitures qui ont permis et permettent encore à ce
crime de rester largement impuni.
En feuilletant louvrage de Maria Roselli, une évidence se
fraie peu à peu son chemin: on y croise une bonne partie du
gratin politique et économique de lHelvétie. La
dynastie Schmidheiny, évidemment, mais aussi ses alliés,
comme lactuel conseiller fédéral Hans-Rudolf Merz,
qui joua un rôle de premier plan dans la société
holding Anova. Celle-ci regroupait les intérêts de la
famille dans lamiante à létranger.
Hans-Rudolf, Franz, Nicolas et les autres
Laction de Merz porta en particulier sur le règlement,
à moindres frais financiers et politiques, des poursuites
engagées contre les industriels suisses en Afrique du Sud par un
cadre blanc atteint de mésothéliome (cancer de la
plèvre des poumons). Le conseiller aux Etats appenzellois, tout
à la défense de ses amis et de leur sale business, eut
quelques déclarations sur lapartheid sud-africain
témoignant dune sensibilité démocratique,
disons, émoussée. Ce qui lui coûta la
présidence du Parti radical.
Chat échaudé craint leau froide: lorsque
Hans-Rudolf Merz visa un poste à lexécutif
fédéral, il prit soin dannoncer haut et fort un
accord dindemnisation des victimes sud-africaines bien avant
quil nexiste réellement. Question dimage:
lamiante, politiquement, ça tache, quelquefois.
Mais on ne rencontre pas que le récent opéré du
coeur dans cet ouvrage. Il y a aussi le sauveur dExpo.02, Franz
Steinegger, qui préside le conseil dadministration de la
caisse nationale dassurance SUVA. Radical, lui aussi, celui que
lon surnomme «Katastrophen-Fritz», à cause de
son rôle dans la lutte contre les intempéries dans le
canton dUri en 1977 et 1987, fut également le
médiateur de CFF Cargo. Superman à éclipses de la
politique suisse, il défend bec et ongles la politique de la
SUVA.
Répondant à la critique souvent avancée contre la
caisse dêtre à la fois juge et partie,
chargée de reconnaître les cas dune part et de les
indemniser de lautre, il a cette perle bien involontaire:
«Aucune assurance na intérêt à fournir
des prestations dassurance.» On se disait aussi
Avant de se présenter comme un bienfaiteur national de
lhorlogerie, le milliardaire Nicolas Hayek nétait
que millionnaire et dirigeait une entreprise de conseil aux
entreprises, la Hayek Engineering AG à Zurich. Cest de
ses bureaux que sortit en 1981 le plan stratégique de
défense et de redéploiement dEternit SA,
jusqualors uniquement préoccupée de repousser
linterdiction de lamiante. Parmi les recommandations de
Hayek Engineering, outre les manoeuvres dilatoires, on note «la
recherche et lexploitation systématique des faiblesses de
ladversaire». On sait être charitable avec les
malades et ceux qui les défendent, chez Hayek Engineering.
Les victimes et les militant-e-s
Tant dimpunité politique et médiatique, pour ne
pas parler du niveau juridique, pourrait rendre cynique, si le livre ne
laissait pas une large place aux victimes, à leurs proches,
à leur courage et quelquefois à leur rage aussi.
Celle qui amènera Marcel Jann à dénoncer, juste
avant de mourir, la prescription suisse, qui tombe au bout de 10
à 15 ans, alors quun cancer dû à
lamiante ne se déclare que 10 à 40 ans
après lexposition.
«Un état de fait digne dune république
bananière» pour celui qui avait grandi près de la
fabrique dEternit à Niederurnen. Cette saine
colère est aussi à lorigine de linlassable
travail de dénonciation et de documentation mené par
ceux-celles qui se battent pour que justice soit rendue aux victimes de
lamiante et dont cet ouvrage porte la trace.
Lattitude des responsables économiques et politiques en Suisse
«On savait dans la
deuxième moitié des années 40 déjà
que lamiante tuait, mais les autorités suisses ont
fermé les yeux. En 1977, un groupe dexperts de
lOffice fédéral de la santé publique a
apporté les preuves du caractère
cancérigène du matériau. On a alors
décidé de linterdire, mais, sous la pression des
lobbys industriels, il a fallu encore dix ans avant que cette
décision figure dans la loi, entrée en vigueur en 1990.
Si Stefan Schmidheiny est le pionnier de labandon de
lamiante, il a pourtant délégué une
personne dEternit pour diriger le cercle dentrepreneurs
qui sest battu afin que la fibre ne figure pas sur la liste des
produits toxiques. Aujourdhui, il devrait au moins accepter de
parler du passé et présenter ses excuses aux victimes.
Quant à la Suva, elle ne sest pas distancée de
lindustrie et à joué un rôle ambigu. Un
rôle quelle conserve toujours.»
LEvénement syndical N° 35 du 27 août 2008
Lamiante, encore et toujours
Maria Roselli confirme à LEvénement syndical que
lamiante, malgré sa dangerosité, na pas du
tout disparu des usages industriels dans le monde: «Pire
encore, son exploitation a augmenté au cours de ces cinq
dernières années. Des Etats comme lex-Union
soviétique, la Chine et lInde nont pas interdit la
fibre. Du coup, plusieurs entreprises ont délocalisé
leurs activités. Lhistoire se répète.
Cest révoltant. Selon lOrganisation internationale
du travail, 100 000 à 140 000 personnes meurent chaque
année de lamiante. Les industries refusent pour autant de
renoncer à cette poule aux oeufs dor.»