Sabotage à la SNCF: l’épouvantail du terrorisme anarchiste reprend du service

Sabotage à la SNCF: l’épouvantail du terrorisme anarchiste reprend du service

Le sabotage de caténaires sur
le réseau SNCF a conduit à l’inculpation de neuf
jeunes “ultra-gauchistes” en un temps record, une dizaine
de jours après les faits. Cette affaire soulève
différentes questions sur le plan judiciaire, et surtout sur le
plan politique. Elle est aussi un signe supplémentaire
d’une tendance à la criminalisation de certaines
idées politiques.

La première interrogation qu’il semble légitime de
soulever concerne le traitement policier et judiciaire de
l’affaire. Premièrement, cet acte, qui, il est bon de le
rappeler, n’a pas mis la vie des usagers en danger mais a
bloqué le réseau ferroviaire (soit 160 trains), a
immédiatement été classé comme relevant du
terrorisme par les autorités. En conséquence, les
services spéciaux qui ont été mis sur le coup sont
ceux qui habituellement chassent le Zarqaoui ou le Ben Laden! Services
spéciaux qui par ailleurs surveillaient déjà la
«mouvance anarcho-autonome» depuis qu’elle fut
classée dans la catégorie des organisations
«particulièrement dangereuses», il y a de cela un
an. Or, si tout le monde sait que ce courant peut effectivement
utiliser la délinquance violente à l’encontre du
matériel, celle-ci ne relève sûrement pas du
terrorisme tel qu’il est actuellement défini.

Procès d’intention

L’enjeu n’est pas seulement sémantique, mais il a
des conséquences directes au niveau de la procédure
judiciaire. Ainsi, en vertu de la loi antiterroriste,
l’arrestation de cette petite communauté alternative,
vivant dans un hameau en Corrèze, a été brutale et
démesurée, choquant les habitants ayant le malheur
d’abriter ces «terroristes». En outre, la
garde-à-vue des suspects a été fixée
à quatre jours, durant lesquels ils ont été
proprement livrés à une presse ravie de pouvoir lyncher
de nouveaux boucs émissaires. Enfin, la charge très floue
qui a été retenue par le parquet – «association de
malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste» – est
disproportionnée, si l’on veut toutefois bien accepter
leur culpabilité.

Car les neuf personnes ont été inculpées
très rapidement sur des bases matérielles, semble-t-il,
très faibles. Il semble que là où les
enquêteurs sont allés pêcher leurs
«preuves» – ne devrions nous pas dire plutôt
leurs indices? – c’est dans un manifeste anarchiste,
L’insurrection qui vient : «Saboter avec quelque
conséquence la machine sociale implique aujourd’hui de
reconquérir et réinventer les moyens d’interrompre
ses réseaux. Comment rendre inutilisable une ligne de TGV, un
réseau électrique?» En clair, aux yeux de
l’autorité, la preuve existait avant même le crime;
la présomption d’innocence s’était
envolée avant même l’arrestation, à la seule
lumière de ces quelques lignes et de l’appartenance
politique des suspects.

Comment ne pas appeler une telle démarche un pur et simple
procès d’intention? Outre les peines pénitentiaires
et l’humiliation vécue par les accusés et leurs
familles, les conséquences de cet acharnement policier,
judiciaire et médiatique, qui rappellent certaines heures
sombres de l’histoire (on pensera à l’affaire Sacco
et Vanzetti), sont aussi et surtout d’ordre politique, compte
tenu du contexte actuel.

Car si la responsabilité réelle de ce sabotage est
sujette à diverses interprétations (les thèses de
la mascarade, de la manipulation, ou de la provocation circulent
déjà sur le net), sa récupération
médiatique et politique laisse peu de doute quant à la
dynamique de fond qui sous-tend cette affaire.

A qui profite le crime?

En effet, en ces temps de crise, quoi de mieux qu’une bonne
vieille tentative de criminalisation pour amalgamer toute contestation
radicale du système comme un acte de terrorisme? Pourquoi se
priver de brandir l’épouvantail de
l’extrémisme violent afin d’éloigner
d’une gauche radicale en pleine ascension quiconque aurait des
velléités de remise en question des règles du jeu?
«Mouvance anarcho-autonome», «ultra-gauche»,
tout dans ce lexique – créé pour l’occasion –
fleure bon l’indéfini et l’amalgame, que les
médias dominants se feront un plaisir de ne pas expliciter
à leur public.

Dans une émission télévisuelle, Olivier Besancenot
a dû rendre des comptes sur les liens de la LCR avec les milieux
autonomes, alors qu’il était venu parler de la crise du
capitalisme et du NPA. Où, après l’affaire
Rouillan, comment subrepticement ramener le débat sur le terrain
glissant de la lutte armée et de la violence… La droite
au pouvoir a ainsi trouvé un os qu’elle ne lâchera
pas de si tôt, c’est-à-dire un argument
manipulatoire qui malheureusement produit ses effets sur la perception
populaire de l’anticapitalisme, même si tout le monde
n’est, de loin, pas dupe.

Certes, cette tendance visant à criminaliser la gauche
anticapitaliste n’est pas nouvelle, mais le renforcement
inédit de la lutte antiterroriste, a priori dirigée
contre la menace fondamentaliste islamiste, lui confère
désormais une inquiétante puissance policière,
judiciaire et médiatique. Les affaires d’espionnage
privé bien de chez nous, la surveillance d’Olivier
Besancenot, les drones dans les banlieues, sans compter le fichage
«habituel» des militant-e-s de base partout en Europe sont
autant d’indices allant dans le sens d’un contrôle
social accru et d’une attaque organisée sur les
libertés civiles. Si l’on continue sur ce chemin, demain
la grève, après-demain la manifestation deviendront des
actes terroristes passibles de l’emprisonnement maximal.

Il s’agit donc d’une part de combattre cette dynamique
sécuritaire, d’autre part de condamner l’usage des
moyens isolés et violents, qui, on le voit bien, desservent le
mouvement social et affaiblissent sa crédibilité. Les
salarié-e-s et les usagers-ères ont déjà
assez à faire avec les véritables saboteurs du social et
du service public. Dans l’affaire de la SNCF, ce sont bien eux,
néolibéraux et capitalistes, qui, comme le dit la LCR,
«font reculer le service public ferroviaire» et
réduisent le rythme des trains, pas quelques blocs de
béton posés sur des caténaires.

Ludovic Jaccard