Salaire minimum: si même l’OIT le préconise...

Salaire minimum: si même l’OIT le préconise…

L’Organisation internationale du
travail (OIT) est une organisation paritaire tripartite de l’ONU,
dans laquelle les organisations patronales, les syndicats et les
représentants des Etats collaborent. Il est donc d’autant
plus intéressant de prendre connaissance de l’opinion
favorable au salaire minimum de cette organisation. Daniel
Vaughan-Witehead, qui répond aux questions de «BIT en
ligne», est membre du Programme des conditions d’emploi et
de travail du BIT. Le BIT (Bureau international du travail) est le
secrétariat permanent de l’OIT.

• Comment expliquez-vous l’intérêt
renouvelé pour les salaires minimaux dans l’Union
européenne (UE)?

Daniel Vaughan-Whitehead:
L’élargissement de l’UE a certainement
alimenté cette tendance. Alors que seuls 9 des 15 Etats membres
qui formaient l’UE au départ avaient légalement
introduit un salaire minimum national, l’intégration de 12
nouveaux Etats membres dans l’UE a radicalement augmenté
la proportion d’Etats membres dotés d’un tel
système. Vingt pays sur 27 – 75 pour cent –
disposent maintenant d’un salaire minimum national garanti.

Cet intérêt renouvelé pour le salaire minimum est
confirmé par le fait qu’entre 2000 et 2008 presque tous
les pays (18 sur les 20 qui disposent d’un salaire minimum) ont
autorisé l’augmentation du salaire minimum en termes
réels pour améliorer le pouvoir d’achat des
travailleurs-euses qui sont tout en bas de l’échelle sur
le marché du travail. Le nouveau contexte a motivé ce
virage politique.

•Quelles sont les raisons de cet intérêt renouvelé pour les salaires minimaux?

DVW: Il existe trois raisons
majeures. La première est une nouvelle configuration du
marché du travail caractérisée par une hausse
significative des formes non classiques d’emploi, normalement
associées à des droits inférieurs et à
davantage de précarité, y compris des salaires
réduits, de fortes proportions d’emplois peu
rémunérés et un nombre croissant de
travailleurs-euses pauvres pour lesquels le salaire minimum peut
être considéré comme un outil garantissant un
salaire plancher à tous les employé-e-s.

La deuxième raison est liée à des mouvements
accrus de main-d’œuvre et de capitaux au sein de
l’Europe élargie qui ont donné naissance à
des problèmes de dumping social avec le recours à des
travailleurs-euses immigrés mal payés pour faire pression
sur les salaires des travailleurs-euses du pays d’accueil.

La troisième raison est le déclin de la portée de
la négociation collective et de la syndicalisation qui a conduit
de nombreux syndicats à militer en faveur de
l’introduction d’un tel outil réglementaire pour
leur permettre de préserver les salaires réels et le
pouvoir d’achat des employé-e-s situés en bas de
l’échelle de rémunération.

•Des travailleurs polonais sont partis pour l’Irlande et
le Royaume-Uni à la recherche d’un emploi et d’un
meilleur salaire. Aujourd’hui, ils sont soit de retour chez eux
(depuis que la Pologne compte plus d’emplois mieux
rémunérés), soit en partance pour un autre pays de
l’UE tel que la Norvège, qui a déjà
accepté 40 000 travailleurs polonais cette année, dont la
moitié en provenance de Grande-Bretagne. Pouvez-vous nous en
dire plus sur le lien entre salaire minimum et migration?

DVW: En effet, de nombreux
travailleurs-euses polonais se sont expatriés pour aller
travailler en Irlande et au Royaume-Uni. Dans nos enquêtes, leurs
témoignages montrent que le salaire minimum irlandais ou
britannique a compté dans leur décision de
s’expatrier, même si ce n’était clairement pas
leur seule motivation.

Cela signifie que le salaire minimum du pays d’accueil joue un
rôle dans les migrations au sein de l’UE. Il est
intéressant de constater que certains employeurs irlandais ont
aussi déclaré que l’existence d’un salaire
minimum dans leur pays les avait aidés à attirer des
travailleurs-euses migrants et à faire face au manque de
main-d’œuvre dans certains secteurs.

Cela veut aussi dire que des augmentations régulières du
salaire minimum dans le pays d’origine – en
l’occurrence en Pologne – peuvent aussi contribuer à
limiter l’émigration de travail. Il est clair que
l’intensification de la circulation de la
main-d’œuvre et des capitaux générée
par l’élargissement de l’UE à des pays
d’Europe centrale et orientale et des flux au niveau
international a dévoilé un nouveau réservoir de
main-d’œuvre. […]

•La crise économique et financière va-t-elle donner un nouvel élan au salaire minimum?

DVW: La nouvelle incertitude
économique et financière pourrait créer de
nouvelles conditions pour fixer le salaire minimum. Les
évolutions à la hausse du salaire minimum
présentées auparavant se réfèrent à
une période d’inflation basse et de croissance
économique relativement élevée qui peuvent aussi
avoir contribué à ces effets positifs.

A l’avenir, dans un contexte économique plus incertain, il
est difficile de dire si l’intérêt renouvelé
des dirigeants politiques pour le salaire minimum va progressivement
s’évanouir ou si, au contraire, il va croître encore
et être perçu comme un instrument de protection des
travailleurs-euses les plus faiblement rémunérés
et des travailleurs-euses pauvres.

Les institutions du marché du travail n’ont jamais
été aussi cruciales qu’en cette période de
crise. Le salaire minimum et la négociation collective peuvent,
par exemple, participer à limiter le déclin du pouvoir
d’achat et protéger les travailleurs-eusesles plus
vulnérables.

Les travailleurs-euses peu rémunérés vont
certainement se multiplier aussi en Europe. Un plancher salarial
pourrait donc jouer un rôle crucial dans cette période
difficile.