Après 70 ans, quelle actualité de la IVe Internationale?

Après 70 ans, quelle actualité de la IVe Internationale?

A l’occasion des septante ans de la fondation de la
Quatrième internationale, il nous a paru intéressant de
publier de larges extraits d’un bilan critique de cette
organisation, écrit par l’un de ses animateurs actuels,
Jan Malewski. Durant des décennies, celle-ci a incarné
– avec d’autres bien sûr – le maintien
d’une exigence internationaliste au sein des mouvements ouvriers
et des opprimé-e-s, notamment face aux replis nationalistes et
opportunistes des bureaucraties d’inspiration
social-démocrate ou stalinienne. Un tel examen paraît
essentiel, à l’heure où un capitalisme plus que
jamais globalisé appelle les forces de la gauche anticapitaliste
à repenser et à réactualiser une orientation
programmatique et des modalités d’organisation
internationalistes.

Rappelons que solidaritéS – et c’est probablement
là une de ses richesses – est une organisation pluraliste,
regroupant des militant-e-s qui puisent aux sources de nombreux
courants de la gauche anticapitaliste. solidaritéS n’est
donc pas membre de la Quatrième internationale, même si
nous avons bénéficié d’apports significatifs
de sa part et que nous saluons son aptitude à rejeter les
dérives sectaires de nombre d’autres petites organisations.

Pierre Raboud & Hadrien Buclin



Proclamée le 3 septembre 1938,
à l’issue d’une conférence internationale
tenue dans des conditions de clandestinité – dans une grange de
banlieue parisienne, appartenant à Alfred Rosmer, à
Périgny – la IVe Internationale est le produit des
défaites historiques du mouvement ouvrier.

Elle aurait pu être proclamée cinq ans auparavant, en
juillet 1933, si l’Opposition de gauche internationale
n’avait pas tenté de tout faire pour regrouper en son sein
les courants de gauche en rupture, même partielle, avec la
social-démocratie et le stalinisme. Ces derniers – dont certains
se sont regroupés dans le Bureau de Londres autour de
l’Independent Labour Party – après avoir
hésité et tergiversé, ont finalement
abandonné le projet d’une nouvelle Internationale.

A contre-courant

C’est en effet à l’issue de la victoire de Hitler en
Allemagne (février 1933) et devant l’absence de
réaction à la tragédie allemande au sein de
l’Internationale communiste (la IIIe), que Trotsky et
l’Opposition de gauche internationale ont conclu que, totalement
soumis aux intérêts diplomatiques de Staline, cette
Internationale avait failli et devait être remplacée par
des nouveaux partis et une Internationale nouvelle.

Les cinq années qui ont suivi cette décision furent
marquées par la contre-révolution stalinienne et le
massacre massif en URSS des militants bolcheviks et des dirigeants
communistes étrangers réfugiés, dont les
procès de Moscou ne constituaient que le sommet de
l’iceberg, par l’organisation des défaites des
mouvements de masse en France et en Espagne sous l’égide
de l’alliance entre la social-démocratie et les
staliniens, par la défaite des ouvriers autrichiens devant
l’Anschluss, l’invasion de l’Ethiopie, le
début de la guerre japonaise en Chine, la dissolution par
l’Internationale communiste du PC de Pologne et
l’assassinat de la quasi-totalité de ses dirigeants en
URSS… La Seconde guerre mondiale, qui fera disparaître des
traditions et des cultures comme des continents engloutis, allait
suivre. Deux décennies seulement après que la
révolution russe ait ouvert une nouvelle ère historique,
mobilisant espoirs et enthousiasme, pour la classe ouvrière
mondiale il était «minuit dans le siècle».

La fondation de la IVe Internationale fut dans ces conditions un acte
de résistance, une tentative de sauver l’avenir, de
préserver et de continuer à enrichir le marxisme vivant.
Ceux qui ont entrepris cette tâche étaient peu nombreux.
Ils subissaient la répression bourgeoise. Ils étaient
pourchassés et assassinés par les agents staliniens. […]

Nouvelle situation mondiale, nouvelle Internationale

Le tournant en juillet 1933 de l’Opposition de gauche
internationale vers la construction de nouveaux partis et d’une
Internationale nouvelle a lieu dans une situation très
différente de celle qui a conduit à la constitution des
trois Internationales précédentes. Polémiquant
avec le délégué polonais Hersch Mendel Stockfish
(«Karl»), opposé à la proclamation de la IVe
Internationale car «Nous n’avons pas la direction des
masses», Pierre Naville s’exprimait ainsi, lors de la
session plénière de la Conférence de fondation:
«Au lieu de tirer argument des analogies dans la succession des
Internationales, il faut voir les situations concrètes, la
situation originale dans chaque cas. La Première est née
du néant, le prolétariat s’affirma comme classe
internationale, c’est tout. Elle ne dirigea aucune lutte et fut
mêlée aux mouvements petit-bourgeois. La Deuxième
fut liée à des appareils d’Etat, n’avait pas
de concurrentes, ne se considérait d’ailleurs pas
officiellement comme continuatrice de la Première
Internationale. La Troisième n’a pu liquider la Seconde.
Elle aussi est devenue un appendice étatiste. Elle subsiste
à côté avec la Deuxième. […] C’est
une situation unique qu’il faut analyser comme telle. Il faut
sortir de l’imprécision. […] Nous devons avoir une
organisation délimitée et non un champ de manœuvres
pour tous les courants confus. Seront membres ceux qui accepteront le
programme, les statuts, les décisions. Ce n’est pas une
Internationale “définitive”. Aucune n’est
définitive. Nous ne proclamons pas l’Internationale
victorieuse. Nous voulons une figure nette, pour préparer les
meilleures conditions de lutte. Les Internationales ne sont pas des
cadres figés. Ce sont des organisations de lutte. Leur forme
correspond à leur mission dans un stade donné. La
nôtre dans la situation mondiale actuelle consiste à faire
cesser certaines équivoques et à faciliter ainsi le
rassemblement autour de nous.» […]

La dégénérescence stalinienne n’était
pas la répétition de la bureaucratisation du mouvement
ouvrier par une intégration croissante de ses élites au
sein de la société bourgeoise, bureaucratisation qui
avait fait sombrer la social-démocratie en 1914. Les partis
communistes continuaient à regrouper la grande majorité
de militant-e-s s’identifiant à la révolution
prolétarienne. Hors de l’URSS le discours sur le
«socialisme dans un seul pays» n’était pas
perçu par les militant-e-s communistes comme une soumission
absolue des intérêts de la classe ouvrière mondiale
aux besoins des élites de l’Etat soviétique. Ces
militant-e-s n’imaginaient pas que les intérêts du
Kremlin étaient opposés à ceux des
travailleurs-euses du monde entier. Les zigzags de la politique
imposée par le Kremlin à l’Internationale
communiste étaient, au mieux, identifiés à des
erreurs. Seule une petite minorité autour de L. Trotsky, qui
allait se regrouper au sein de la IVe Internationale, percevait la
contre-révolution en cours en URSS, le rôle social
particulier de la bureaucratie soviétique, ses
intérêts divergents et de plus en plus antagoniques avec
ceux du prolétariat mondial. Ce «centrisme bureaucratique
(stalinisme)» allait récupérer la radicalisation
des masses au cours des décennies suivantes.

Les enseignements de ces expériences furent
synthétisés en 1933 dans les «Onze points de
l’opposition de gauche internationale»,
élaborés en février 1933 et révisés
en juillet de la même année en ce qui concerne la
nécessité de la création d’une nouvelle
Internationale. Ils ont constitué le premier socle
programmatique de la nouvelle Internationale.

Axes programmatiques

Il vaut la peine de se pencher sur ce que ce programme – au-delà
des formules et des termes qui ont vieilli – garde aujourd’hui
encore de son actualité:

1 «L’indépendance
du parti prolétarien» était argumentée par
des exemples alors récents: la politique de collaboration avec
le Kuomintang imposée au PC chinois (qui provoqua
l’écrasement de la révolution chinoise de 1927) et
celle du comité anglo-russe (un accord au sommet, dans le dos
des travailleurs-euses, avec la bureaucratie syndicale britannique, qui
paralysa la grève générale en Grande-Bretagne).
Aujourd’hui pourtant cette thèse reste le discriminant qui
sépare ceux qui sont prêts à gouverner avec les
sociaux-libéraux (expériences récentes de la
«gauche plurielle en France» ou du gouvernement Lula au
Brésil) et ceux qui refusent de soumettre le mouvement ouvrier
aux exigences des alliances gouvernementales. Son actualité
reste entière.
2 «La
reconnaissance du caractère international et par là
permanent de la révolution prolétarienne, le rejet de la
théorie du socialisme dans un seul pays comme de la politique du
national-bolchévisme.» La disparition de l’URSS et
la restauration du capitalisme dans la quasi-totalité des pays
où il fut renversé – à l’exception de Cuba,
dont la direction politique a toujours, même de manière
inconséquente, soutenu une orientation internationaliste –
témoigne a posteriori de la justesse de cette thèse. La
mondialisation capitaliste, avec l’internationalisation accrue du
marché du travail qui l’accompagne et la mise en
concurrence des travailleurs pour justifier leur exploitation accrue,
témoignent de l’actualité de cette thèse.

3
«La reconnaissance de L’Etat soviétique comme un
Etat ouvrier en dépit de la dégénérescence
croissante du régime bureaucratique». La disparition de
cet Etat et de la quasi-totalité des Etats construits à
son image a privé cette thèse d’actualité.
Dans l’histoire de la IVe Internationale les débats sur la
caractérisation de l’Etat soviétique ont produit de
nombreux désaccords et des scissions – d’autant plus que
la section soviétique disparut sous les coups de la
répression stalinienne dans les années 1930.
Contrairement à la thèse de l’Opposition de gauche,
en 1989-1991 les travailleurs-euses de l’URSS et des pays de
l’Est n’ont pas défendu «l’Etat
soviétique contre l’impérialisme et contre les
agents de la contre-révolution à
l’intérieur». Pourtant la très forte
réduction des salaires et des conditions de vie subie par les
travailleurs-euses de ces pays au cours de la restauration du
capitalisme dans les années 1990 indique, a contrario,
qu’il y avait encore des acquis sociaux à défendre
même si les Etats post-staliniens ne les défendaient plus.

4
«Condamnation de la politique économique de la fraction
stalinienne, aussi bien dans sa phase d’opportunisme
économique de 1923 à 1928 […] que dans sa phase
d’aventurisme économique de 1928 à 1932.» Nul
doute que ces thèses ont perdu de leur actualité
aujourd’hui, après la restauration du capitalisme en
Russie, en Europe centrale et en Chine. Elles peuvent pourtant encore
servir d’indicateur pour la réflexion concernant
l’économie de la période de transition…

5 «Reconnaissance
de la nécessité d’un travail communiste
systématique dans les organisations prolétariennes de
masse, particulièrement les syndicats réformistes.»
Il s’agissait alors de tirer un bilan de la construction des
«syndicats rouges», minoritaires, et des appels
systématiques des Partis communistes dans leur
«troisième période» (ultra-gauche) à
des grèves générales minoritaires, politique qui,
en particulier en Allemagne, a fait le lit du fascisme. La mise en
pratique de cette thèse par les organisations très
marginales de la IVe Internationale avant 1968 – y compris à
travers «l’entrisme» dans les grands partis ouvriers
– leur a permis d’éviter l’isolement de leurs
militantes et militants et d’acquérir
l’expérience du militantisme ouvrier.
L’institutionnalisation croissante des syndicats
réformistes aujourd’hui, leur adaptation de plus en plus
forte aux contre-réformes bourgeoises, les modifications des
rapports de forces au sein du mouvement ouvrier (affaiblissement et
perte croissante de légitimité des appareils
réformistes) a mis depuis à l’ordre du jour dans
une série de pays la construction de nouveaux syndicats
(Solidaires en France, syndicats de base en Italie…), et les
militant-e-s de la IVe Internationale ont pris part – non sans
hésitations et débats – à leur construction. Mais
si la naissance et le renforcement de ces nouveaux syndicats de lutte
modifient la manière de poser la question de
l’unité ouvrière, cette dernière garde toute
son actualité: pour permettre des mobilisations puissantes des
travailleurs-euses, ces nouveaux syndicats doivent toujours trouver les
voies d’unité d’action avec les syndicats
réformistes en prenant appui avec les syndicalistes combatifs au
sein de ces derniers et en cherchant à mettre en mouvement leurs
directions ossifiées.

6
«Rejet de la formule de la «dictature démocratique
des ouvriers et des paysans» en tant que régime
séparé, distinct de la dictature du prolétariat
[…], rejet de la théorie antimarxiste de la
«transcroissance» pacifique de la dictature
démocratique en dictature socialiste.» Si l’on
s’arrête aux termes employés, la formule semble
d’un autre monde. Le terme «dictature du
prolétariat», que le stalinisme a identifié avec la
dictature bureaucratique imposée au prolétariat – ce que
le communiste yougoslave Ante Ciliga a à juste titre
nommé «le mensonge déconcertant» en 1938 -, a
perdu tout son sens. Mais derrière cette formule se cache une
conception stratégique essentielle de la transformation sociale:
l’idée que dans leur lutte pour une société
égalitaire et démocratique les travailleurs-euses ne
peuvent se soumettre à la direction d’une fraction
privilégiée de la société, qu’ils
doivent être prêts à assumer l’affrontement
avec ceux qui défendent leurs privilèges et que ce ne
sont pas les travailleurs-euses, majoritaires, qui déterminent
les conditions de cet affrontement mais bien la minorité qui les
opprime et qui est prête – on le voit encore dans
l’actualité bolivienne ou
vénézuélienne – à recourir à la
violence pour sauvegarder sa place privilégiée. Toute
théorisation du caractère «pacifique» de la
transformation sociale vers l’émancipation des
travailleurs-euses conduit à les désarmer face à
la violence de l’ennemi de classe. En ce sens, le
«sixième point» garde toute son actualité.

7
«Reconnaissance de la nécessité de mobiliser les
masses sous des mots d’ordre de transition […] et
particulièrement sur des mots d’ordre
démocratiques.» Le programme de transition, adopté
par la Conférence de fondation de la IVe Internationale, a
élaboré la question des mots d’ordre transitoires.
Il s’agit de formuler les revendications à partir du
niveau de conscience des masses, de leurs préoccupations
essentielles, pour les conduire à saisir la
nécessité de la remise en cause du système
capitaliste dans son ensemble. Autrement dit, de partir des exigences
telles qu’elles sont comprises pour aller vers
l’unité et l’auto-organisation des
travailleurs-euses, condition nécessaire pour
l’auto-émancipation du prolétariat. La question des
«mots d’ordre démocratiques» – celle de
l’assemblée constituante ou du processus constituant
là où même la démocratie formelle est
absente (par exemple dans les institutions de l’Union
européenne) – a été soulignée en rupture
avec les débats des Ve et VIIe Congrès de
l’Internationale communiste, marqués par le cours
ultra-gauche dit «de la troisième période».
L’ensemble de cette thèse reste d’une
actualité brûlante aujourd’hui.

8
«Reconnaissance de la nécessité de
développer une politique de front unique vis-à-vis des
organisations de masse de la classe ouvrière, tant syndicales
que politiques, y compris la social-démocratie en tant que
parti.» Alors, il s’agissait de rompre avec les politiques
sectaires (refus de lutte commune aux côtés du
«social-fascisme») et opportunistes («bloc avec les
dirigeants sans les masses et contre elles», comme cela fut
mené dans le cadre du «comité anglo-russe»
et, plus tard, dans les «fronts populaires»). La question
de la réalisation de l’unité des
travailleurs-euses, alors que ceux-ci sont historiquement
divisés au sein des partis et syndicats aux directions desquels
ils continuent de faire confiance, exige de la part des organisations
révolutionnaires la capacité de trouver des terrains de
lutte qui permettent la mobilisation des masses. Cela implique de
s’adresser aux directions réformistes pour leur proposer
d’agir ensemble. Même si la social-démocratie a
connu au cours de ces dernières années une
institutionnalisation accélérée et donc une
évolution sociologique qui en fait de plus en plus des partis de
notables au sein desquels les travailleurs-euses sont de moins en moins
nombreux, tant qu’elle continue (à tort)
d’apparaître à des secteurs des masses comme pouvant
les aider à réaliser une partie au moins de leurs
revendications, les révolutionnaires doivent exiger de la
direction social-démocrate l’engagement dans les luttes.
De tels fronts uniques permettent de construire des mobilisations
unitaires (par exemple la lutte victorieuse contre le «Contrat
Première Embauche» en France en 2006), ou de remporter des
victoires démocratiques (un front unique partiel pour le NON au
référendum européen en France en 2005 et en
Irlande en 2008). L’actualité de la thèse reste
donc évidente.

9
«Rejet de la théorie du social-fascisme».
Très actuelle en 1933, cette thèse a perdu
aujourd’hui son actualité, car même les staliniens
l’ont abandonnée. Il n’en reste pas moins que
certaines organisations sectaires continuent à agresser – et
même à assassiner – ceux qui ne se soumettent pas à
leur direction, tel le Parti communiste philippin ou le Sendero
luminoso péruvien… A l’origine de tels agissements
on trouve la conception stalinienne du monopartisme – comme si la
classe ouvrière n’était pas diverse et
divisée mais monolithique – qui a conduit à cette
théorisation stalinienne néfaste. Le rejet d’une
telle «théorie» c’est aussi
l’affirmation du droit des travailleurs-euses à se doter
de représentations politiques diverses. Et cela est toujours
actuel.

10
«Lutte pour le regroupement des forces révolutionnaires de
la classe ouvrière mondiale […] nécessité
d’une Internationale communiste authentique capable
d’appliquer les principes énumérés
ci-dessus.» C’est l’affirmation que
l’Internationale communiste – qui sera dissoute par Staline en
1943 – n’était plus réformable. Et donc celle de la
nécessité d’une nouvelle Internationale. Il faut
souligner – ce n’est pas un hasard – que la formulation commence
par «Lutte pour le regroupement des forces
révolutionnaires». Entre 1933 et 1938, avant de proclamer
la IVe Internationale, l’Opposition de gauche internationale et
Trotsky avaient multiplié les tentatives de regroupement des
forces révolutionnaires. Dans une lettre à Marceau
Pivert, Trotsky écrivait clairement: «Les
bolcheviks-léninistes se considèrent comme une fraction
de l’Internationale qui se bâtit. Ils sont prêts
à travailler la main dans la main avec les autres fractions
réellement révolutionnaires.» Les conditions de la
fondations de la IVe Internationale – à l’aube de la
conflagration de la Seconde guerre mondiale, alors qu’il fallait
resserrer les rangs du noyau de cadres existant et alors que les autres
courants se réclamant de la révolution continuaient
à hésiter – a fait que ce vœu de Trotsky ne
s’est pas réalisé alors. Ce ne fut pas non plus
possible dans les années suivantes. Mais depuis la fin du
stalinisme, alors que les forces révolutionnaires continuent
à être éparpillées, la IVe Internationale
poursuit les tentatives de leur regroupement: les conférences
internationales et européennes de la gauche anticapitaliste en
sont l’exemple. De plus, au cours de la décennie
passée, de nouvelles organisations issues de traditions
différentes (le RPM-M des Philippines ou le LPP du Pakistan)
l’ont rejoint ou s’en sont rapprochés. Loin
d’avoir réussi à regrouper l’ensemble des
forces anticapitalistes à l’échelle mondiale, la
IVe Internationale poursuit cette tentative, toujours actuelle.

11«Reconnaissance
de la démocratie du parti, non seulement en paroles, mais aussi
en actes.» Alors que les partis staliniens étaient devenus
monolithiques et soumis au «petit père des peuples»,
cette affirmation allait à contre-courant. La IVe Internationale
a toujours reconnu le droit de tendance en son sein, voire des
fractions en situation de crise. Cela a parfois conduit à des
scissions – ce n’est pas la démocratie interne qui en fut
la cause, mais parfois ses manquements (tentatives d’imposer une
tactique de construction à la majorité de la section
française en 1952-1953) et toujours la faiblesse de
l’organisation qui faisait que le maintien de son unité
apparaissait comme secondaire. La capacité de la plus importante
section de la IVe Internationale – la Ligue communiste
révolutionnaire de France – de tolérer en son sein non
seulement des divergences d’opinion, mais même des
pratiques différentes a montré que, non sans tensions, la
démocratie dans le parti reste une condition de sa
construction…

Des acquis à préserver

Comme on l’a vu, les axes programmatiques de la IVe
Internationale, s’ils datent de 75 ans, restent pour une
très large part d’actualité. C’est la raison
fondamentale qui a permis à un courant minoritaire de durer et
de continuer à jouer un rôle actif au sein de la classe
ouvrière internationale. […]

Si la IVe Internationale, restée minoritaire, n’a pas
joué un rôle dirigeant dans les processus
révolutionnaires qui ont suivi sa fondation, elle a toujours
été capable de reconnaître des processus
révolutionnaires, anti-impérialistes et socialistes,
au-delà même de leurs directions, et de leur manifester
une solidarité sans faille contre l’impérialisme.
Nous avons clairement défendu les révolutions chinoise,
yougoslave, vietnamienne, algérienne, cubaine, nicaraguayenne –
ce qui a constitué une singularité de notre courant
international y compris vis-à-vis d’autres mouvements
trotskistes. De même elle a apporté son soutien
internationaliste aux mouvements révolutionnaires et
anticolonialistes en lutte contre l’impérialisme. En
particulier, notre rapport à l’expérience de Che
Guevara a traduit cette volonté de se lier aux processus
révolutionnaires. La IVeInternationale a aussi soutenu le
début des processus des révolutions antibureaucratiques
(Yougoslavie 1948, Berlin 1953, Pologne et Hongrie 1956,
Tchécoslovaquie 1968, Pologne 1980-1981) en assurant une
information à leur sujet et en organisant la solidarité
avec eux. Alors que «nombre de commentateurs réduisaient
leur analyse du monde du siècle dernier aux camps ou aux Etats –
Etats-Unis et l’ex-URSS – la IVe Internationale mettait en avant
la lutte des peuples et des travailleurs contre leur propre
impérialisme et la bureaucratie soviétique». […]

Nouvelle époque, nouveau programme, nouveaux partis… nouvelle Internationale

L’effondrement final du stalinisme, dont les continuateurs sont
passés avec armes et bagages du côté de la
restauration capitaliste dans les pays de l’Europe centrale, en
URSS, en Chine et au Vietnam, a mis fin à l’époque
initiée par la contre-révolution stalinienne en URSS. Le
mouvement ouvrier traditionnel – tant la social-démocratie dont
la survie tenait à son rejet de la dictature bureaucratique au
nom d’une idéalisation de la démocratie bourgeoise,
que les partis se disant communistes, qui idéalisaient la
dictature bureaucratique – s’est trouvé privé de
son identité. Sous les coups de l’offensive capitaliste
visant, au travers de la mondialisation, à remettre en cause les
acquis sociaux des travailleurs-euses pour accroître le taux du
profit, le mouvement ouvrier traditionnel, privé de ses
références, a cherché à s’adapter,
cédant ses lignes de défense l’une après
l’autre. Tant la social-démocratie que les ex-staliniens
ont abandonné la perspective du socialisme,
c’est-à-dire celle d’une société
égalitaire, démocratique, collectiviste. […]

Le mouvement ouvrier traditionnel s’en est trouvé
profondément affaibli. Les syndicats historiques ont perdu
beaucoup de leurs membres de même que les partis politiques de la
gauche traditionnelle. La représentation politique de ceux qui
vendent leur force de travail s’est profondément
affaiblie, les partis traditionnels étant de moins en moins
perçus par les travailleurs comme représentant leurs
intérêts.

Contrairement à ce qu’affirmaient les chantres de la
«fin de l’histoire», la lutte des classes ne
s’est nullement arrêtée pour autant. Au contraire,
face aux contre-réformes impulsées par la bourgeoisie –
et souvent soutenues quand ce n’est pas conduites par la gauche
traditionnelle social-libérale – les luttes ouvrières
continuent et se radicalisent. La légitimité du
capitalisme – qui se prétendait «vainqueur»
après 1991 – comme celle de sa «mondialisation» sont
de plus en plus remises en cause. L’actuelle crise
économique va encore renforcer ce phénomène. Cela
crée un espace pour une nouvelle gauche, radicale,
anticapitaliste.

A gauche, de nouveaux partis plus radicaux ont commencé à
apparaître. Leur indépendance face aux institutions
étatiques bourgeoises varie. Là où les
révolutionnaires disposent de forces réduites et
où des courants en rupture partielle avec les partis politiques
traditionnels ont préservé un enracinement
institutionnel, ces partis restent tributaires de leur
institutionnalisation, comme ce fut le cas du Parti de refondation
communiste (PRC) en Italie – qui a sombré après son
intégration dans le gouvernement de Romano Prodi – et comme
c’est le cas de Die Linke en Allemagne, dont la majorité
de la direction aspire à intégrer un gouvernement
même en position soumise aux forces social-libérales. De
tels partis ont un caractère transitoire: ils éclateront
(ou sombreront) s’ils déçoivent les aspirations
populaires placées en eux en entrant dans des gouvernements de
gestion de la crise capitaliste.

D’autres nouveaux partis sont en voie de constitution, qui au
contraire se donnent une perspective de rupture avec le capitalisme, de
défense jusqu’au bout des intérêts des
travailleurs. C’est le cas en France avec la construction du
Nouveau parti anticapitaliste (NPA) à l’initiative de la
LCR, section française de la IVe Internationale, en Pologne avec
celle – à l’initiative des syndicalistes radicaux du
syndicat libre «Août 80» – du Parti polonais du
travail (PPP), au Pakistan avec le Parti travailliste du Pakistan (LPP)
; en Italie, à la suite de la clarification fondée sur
l’expérience pratique du PRC, une nouvelle Gauche critique
a vu le jour, au Brésil, à la suite de
l’expérience désastreuse du gouvernement Lula, un
nouveau parti – le Parti Socialisme et Liberté (PSoL) – est
apparu… Les militants de la IVe Internationale participent
à la construction de ces nouveaux partis. […]

Depuis 1933 le courant de la IVe Internationale s’est
donné pour but la construction d’une Internationale
révolutionnaire de masse. Trois quarts de siècle plus
tard, la IVe Internationale, produit d’une période
marquée à la fois par la force propulsive de la
révolution russe et par le poids de sa longue défaite
sous les coups de la contre-révolution stalinienne, n’a
toujours pas réussi à réaliser cet objectif
historique. La nouvelle époque ouverte par la fin du
«court XXe siècle», permettant de
«féconder d’un contenu révolutionnaire»
les processus de réorganisation en cours du mouvement ouvrier,
remet aujourd’hui à l’ordre du jour cet objectif,
comme en témoigne la naissance de nouveaux partis
anticapitalistes. Le programme et la réalité militante de
la IVe Internationale vont au-delà de son histoire tumultueuse
et lui permettent de s’engager dans la construction d’une
nouvelle Internationale. Celle-ci ne se décrète pas. Les
processus de construction de nouveaux partis dans chaque pays sont
tributaires des histoires discordantes de la lutte des classes à
l’échelle nationale. Les rythmes seront inégaux.
Les expériences d’une nouvelle gauche seront diverses. A
l’échelle internationale, cela passera par des
regroupements spécifiques autour des débats et des
actions communes d’organisations diverses. Mais les succès
dans la construction de nouveaux partis anticapitalistes des uns
enrichiront aussi la pratique des autres. Cependant la IVe
Internationale fera tout son possible pour qu’une «nouvelle
Internationale anticapitaliste/anti-impérialiste» voie le
jour

Jan Malewski

Paris, septembre 2008.
Coupes hb & pr. Version complète:  http://orta.dynalias.org/
inprecor?id=599