Israël-Palestine: après le «choc et l’effroi»
Israël-Palestine: après le «choc et leffroi»
Choc et effroi ou Shock and Awe, tel est le nom dune doctrine
militaire américaine récente qui préconise
lécrasement de ladversaire par le recours à
une très grande puissance de feu et des démonstrations de
force spectaculaires.
Choc et effroi : cest bien le premier sentiment que
lon ressent après le départ des chars
israéliens de la bande de Gaza, lorsque lampleur des
destructions apparaît et que la souffrance terrible de la
population civile sincruste comme en filigrane sur ces images de
bâtiments détruits, décoles
effondrées, dhôpitaux saccagés et de
quartiers dévastés. Au palmarès de
lhorreur, lopération « Plomb
durci » rejoint, voire dépasse sans doute, le
massacre de Sabra et Chatila (1982). A tel point que circule
déjà sur le Net une longue série comparative de
photos : dun côté des images
représentant laction des SS ou de la Wehrmacht contre les
civils juifs durant la Deuxième Guerre mondiale, de
lautre, répliquant les mêmes situations, les
mêmes gestes ou les mêmes postures, des photos de soldats
de Tsahal réprimant la population palestinienne. Glaçant.
Toutefois, comparaison nest pas raison et lamalgame est
mystifiant, le glissement dangereux. Le choc et leffroi qui les
ont produits sont, eux, bien réels. Par la brutalité de
son attaque, le cynisme de son discours, lEtat
dIsraël a pris le risque de nourrir régionalement et
internationalement une haine inextinguible, qui menace constamment de
basculer en judéophobie voire, ici et là, en
antisémitisme ouvert. Un péril sans cesse
renouvelé, tant que dureront le sentiment
dimpunité totale de lEtat sioniste et la
perspective dun cycle sans fin de violences exercées
contre la population palestinienne.
Selon ses concepteurs, lusage
approprié du Shock and Awe doit provoquer un sentiment de menace
et de peur dagir, pouvant abattre la société
adverse, ou réduire considérablement ses capacités
de combattre. De ce point de vue, la longue opération militaire
israélienne naura pas atteint son objectif. Certes, des
centaines de combattants du Hamas ont péri. 500 environ, selon
Tsahal, qui estime elle-même que lorganisation islamique
est capable de mobiliser 12 000 hommes. Nous sommes donc loin
dun affaiblissement durable du Hamas : son organisation
militaire subsiste, son encadrement aussi, comme la discipline au feu
de ses troupes. Sans parler du regain de légitimité
politique que toute attaque sioniste apporte à sa victime dans
la région. En fait, certains militaires israéliens
ladmettent, mettre à genou le Hamas aurait exigé
doccuper une année au moins la bande de Gaza et dy
combattre quasi quotidiennement. Un objectif politiquement difficile
sinon impossible à atteindre. Les prétextes
avancés comme raisons de loffensive
israélienne : faire cesser les tirs de roquette ou
libérer le soldat Gilad Shalit, détenu depuis plus de
deux ans, nont pas non plus été atteints. Une
certaine amertume à ce propos semble régner parmi les
hommes de troupe, qui ont pris la propagande de leur Etat-major pour
argent comptant. Le boulot naurait pas été fait
jusquau bout.
Si le gouvernement
« centriste » de Kadima cherchait par cette
guerre à obtenir une avance décisive dans la course
électorale, le coup est raté, lui aussi. Cest la
fraction la plus belliqueuse de la droite électorale, le Likoud
de Benyamin Netanyahou, qui se trouve toujours en tête des
sondages. Une situation qui, comme le soutien massif de la population
à lopération militaire, renvoie à
lune des faiblesses majeures de la stratégie des
directions palestiniennes actuelles : leur incapacité
à avancer des perspectives susceptibles de disloquer
lunion sacrée israélienne, de saper la
légitimité du sionisme et de bouleverser cette
société. Sous cet aspect, la surenchère
guerrière nest pas une solution.
Cela dit, la solidarité internationale avec
le peuple palestinien ne doit pas faiblir. Elle doit devenir capable de
peser plus fortement sur les choix politiques de ses gouvernements
respectifs, en particulier en Europe. LUnion Européenne,
qui a sa part de responsabilités directes dans le blocus de la
bande de Gaza, na jamais pu, ni voulu, amener Israël
à un cessez-le-feu qui ne respecte pas le calendrier
préalablement défini par lEtat-major de Tsahal.
Quant à la Suisse, officiellement
« impuissante » (au point de ne pas pouvoir
rappeler, même symboliquement, son ambassadeur à
Tel-Aviv ?), la poursuite de ses relations avec
lindustrie de larmement israélienne, comme sa
collaboration militaire, doivent être dénoncées
vigoureusement.
Cette solidarité doit aussi prendre en compte
un autre aspect de la politique sioniste, qui ne concerne pas seulement
le versant palestinien du problème, mais plus largement la paix
dans le monde : Israël estime que la défense de son
hégémonie militaire régionale et sa lutte contre
le terrorisme impliquent dinfliger aussi « une
leçon » à lIran. La dernière
tentation belliqueuse de ce genre a été rejetée
par les Etats-Unis lan passé, qui ont refusé
à la fois de livrer les bombes à haute
pénétration nécessaires pour détruire des
bunkers, ainsi que lautorisation de survol du territoire
irakien. Lobjectif dEhud Olmert était le complexe
denrichissement iranien de Natanz. Dans cette dimension aussi,
stopper le bras criminel dIsraël est une
nécessité. Sans quoi le choc et leffroi ne seront
pas réservés à la seule population palestinienne
de Gaza.