Industrie graphique: un CCT médiocre, massivement soutenu par très peu de votant·e·s

Industrie graphique: un CCT médiocre, massivement soutenu par très peu de votant·e·s



De prime abord, le résultat de
la votation générale, début mars, des membres de
comedia dans l’imprimerie est sans appel : 80 % de
oui pour le nouveau contrat collectif. Sauf que la participation ne
s’est élevée qu’à 24 % et que
personne n’a osé présenter le nouveau CCT comme un
contrat propre à soulever l’enthousiasme des foules.

La situation se brouille encore plus si l’on sait que tout en
acceptant le résultat des négociations, les 24 %
de votant·e·s ont aussi dit oui, à 63 %,
à des mesures de lutte en cas de non au nouveau CCT ! La
Conférence des branches de l’industrie graphique du 24
janvier avait déjà montré quels seraient les
enjeux de la votation générale : était-il
possible d’obtenir mieux en recourant à des mesures de
lutte ? Car sur le résultat lui-même, il n’y
avait pas photo : « de l’avis quasi unanime,
l’accord est mauvais » (Yves Sancey, comedia
magazine, n° 2, février 2009). Pour Pierre
Djongandeke, membre de la délégation de
négociation et travailleur dans une imprimerie :
« Par rapport à nos objectifs d’avant les
négociations, nous n’avons rien obtenu. »
    Des concessions ont certes été faites
par l’organisation patronale Viscom en matière de salaires
minimums, mais les plus bas d’entre eux se situent tout juste au
niveau de ceux de la vente (3’500 francs brut) et les
non-qualifiés ont perdu les paliers d’ancienneté.
Pour le reste, les négociateurs de comedia ont surtout
réussi à résister — assez bien — en
matière d’annualisation du temps de travail, surtout
lorsque l’on sait que Viscom voulait initialement obtenir un
volant de flexibilité permettant de faire varier la durée
de la journée de travail entre trois et quatorze heures !
Les suppléments pour le travail de nuit seront réduits
à des rythmes différenciés dans les imprimeries du
labeur et dans celles de la presse, mais le niveau de départ de
ces indemnités était, il est vrai, assez haut
(100 %) comparativement à d’autres branches et des
compensations sont prévues pour les personnes déjà
engagées.

La bataille perdue de la déclaration de force obligatoire

Une loi fédérale permet, à certaines conditions,
d’étendre le champ d’application d’une
convention collective, lorsque les partenaires sociaux le demandent. La
convention collective ou le contrat collectif voit alors une partie de
ses clauses, principalement celles concernant les conditions de
travail, s’appliquer à l’ensemble des entreprises de
la branche. On parle alors d’extension du champ
d’application ou encore de déclaration de force
obligatoire.
    Comedia avait beaucoup misé sur cette
revendication. A juste titre, puisque, selon certaines sources, seuls
30 % de ses membres en Suisse romande travailleraient dans des
entreprises conventionnées. Or la syndicalisation ne se fait pas
d’abord sur des bases idéologiques, mais bien en
démontrant pratiquement la capacité de défense des
conditions de travail par l’organisation syndicale. Pour un
travailleur ou une travailleuse œuvrant dans une entreprise non
signataire du CCT, ce dernier ne signifie pas grand’ chose et,
par contrecoup, le syndicat non plus.
    Force est de reconnaître que sur ce point,
Viscom a réussi à mener en bateau la
délégation syndicale. Après avoir fait semblant de
reculer sur ce point, la délégation patronale a ensuite
déclaré qu’elle refusait d’entrer en
matière, le CCT étant à ses yeux
« trop cher et trop com-plexe » pour
être étendu. Autrement dit, seul un CCT vidé de
tout contenu mérite d’être déclaré de
force obligatoire ! La Conférence d’industrie avait
bien tenté de contraindre Viscom à entrer rapidement en
discussion sur la force obligatoire, cette proposition recueillant 40
voix contre 28. Malheureusement, cette proposition a été
« oubliée » ensuite par la direction
syndicale… Pourtant, comme elle le reconnaîtra
elle-même dans son Infolettre n° 13
« Dans la base du syndicat un grand mécontentement
est répandu face au refus incompréhensible de Viscom
à déclarer le nouveau contrat comme force
obligatoire ». Ce grand mécontentement explique
sans aucun doute le 63 % d’appui à des mesures de
lutte en cas de rejet du résultat des négociations. Alors
que l’approbation du nouveau CCT traduit, elle, le sentiment
d’impuissance ressenti par de nombreux membres dans le climat de
peur régnant généralement dans les entreprises.
Peur du pouvoir patronal, peur de perdre son emploi dans une branche
où les licenciements n’ont cessé depuis des
années (plus de 50 % des emplois de l’imprimerie
ont disparu à Genève en 20 ans), peur aussi de la crise
qui vient. Et la mobilisation préalable à la
négociation contractuelle n’avait trouvé un
écho effectif qu’en Suisse alémanique. Viscom en
avait évidemment tiré la conclusion idoine.

Une votation quelque peu singulière

Bien que l’opposition au résultat des négociations
ait été forte (44 oui contre 34 non et 4 abstentions)
lors de la Conférence d’industrie de fin janvier —
et portée surtout par les sans-grade (les cadres étaient
tous favorables à l’accord, sauf un secrétaire
régional romand) —, le matériel pour la votation
générale ne comportait que le point de vue majoritaire,
la minorité étant ainsi privée du droit
d’expression. Même si, d’après la direction
syndicale, c’est une tradition à comedia, c’est une
très mauvaise tradition, bien peu favorable au débat et
à l’implication des membres ! Par ailleurs, le
résultat réel de la négociation avait
été notablement enjolivé dans la
présentation envoyée aux membres.
    Reste que le CCT accepté entérine la
tendance à la dégradation de son contenu, manifeste
depuis plusieurs années, et que le travail de reconstruction de
la capacité de mobilisation du syndicat sera une tâche
extrêmement ardue dans les temps de crise qui viennent.

Daniel Süri