La crise est l’occasion d’en finir avec la retraite par capitalisation

La crise est l’occasion d’en finir avec la retraite par capitalisation



Le référendum
impulsé notamment par UNIA contre la baisse des rentes LPP sera
déposé à Berne le 8 avril. Avec plus du double des
signatures nécessaires, soit 110 000 paraphes ou plus! Mais ce
combat défensif ne doit pas conduire à émousser
notre critique de fond du système de retraites «par
capitalisation» dont la crise éclaire l’impasse.
L’article de Pierre Eyben que nous publions ici est une
contribution dans ce sens.*

S’agissant de la dimension financière de la crise
actuelle, les médias ont principalement mis en lumière
ces dernières semaines la débâcle des petits
actionnaires. Outre qu’il conviendrait de questionner ce concept
de « petit » actionnaire – certains
brassant plusieurs millions d’euros – ces derniers ne
représentent qu’une infime partie de celles et ceux qui
sont touchés, et notamment toutes les personnes qui ont
été embrigadées, de gré ou de force, dans
le système des pensions par capitalisation.

Négation de la solidarité

Alors que les marchés s’effondrent littéralement,
le moment est propice pour regarder en face cette solution
ultralibérale qui bat en brèche la notion même de
solidarité, et a fortiori de solidarité
intergénérationnelle.

    Dès le lendemain de la Seconde guerre
mondiale, on constate un allongement de la durée de vie partout
en Europe. Pendant de nombreuses années, on a augmenté en
conséquence la part du PIB allouée aux retraites par
répartition sans que cela pose de problème. En France,
par exemple, les retraites sont passées de 5,4 % à
12,6 % du PIB en 40 ans. Il faut dire que ces sept points
supplémentaires ont permis de faire reculer massivement la
pauvreté chez les retraité·e·s et
d’abaisser l’âge de la retraite de cinq ans.

    Et aujourd’hui ? Les démographes
nous annoncent un gain de 5,5 années d’espérance de
vie d’ici 60 ans, chiffre qui au regard de certaines
études récentes pourrait décroître en raison
de l’impact croissant des grandes pollutions (sols, air, eau…)
sur notre santé1. Bref, rien de spectaculaire […].
En Belgique, le coût budgétaire du vieillissement est
estimé à 6.3 % d’ici 2050, soit bien moins
que de l’augmentation conjecturée de la
productivité sur la même période.

    Le grand changement n’est donc pas
démographique, il est idéologique. Depuis une vingtaine
d’années, la fièvre ultralibérale
s’est répandue, contaminant jusqu’aux élus
sociaux-démocrates. Dans le cadre d’un corsetage
budgétaire touchant diverses fonctions sociales de l’Etat,
on a progressivement cessé de dégager les moyens
suffisants pour assurer des pensions décentes. […]

A la base : un mythe pervers…

Force est de constater, de la part des politiques de droite comme
(malheureusement) de gauche, l’absence d’une volonté
politique suffisante afin d’aller chercher ailleurs, et notamment
dans les revenus du capital qui ont explosé ces dernières
années, les moyens nécessaires à un refinancement
substantiel des retraites par répartition. En
conséquence, la population a été invitée
– notamment via des incitants fiscaux – à fabriquer
sa pension elle-même et à mettre son argent en Bourse par
le biais des deuxième et troisième piliers.

    Le problème c’est que cette retraite
par capitalisation (ou « fonds de pension »,
selon le terme anglo-saxon qui, fait symptomatique, a fini par
s’imposer) repose sur un mythe, selon lequel la Bourse pourrait
augmenter plus vite que l’économie réelle et ce de
manière durable. Cependant, il n’y a pas de solution
miracle en dehors de l’économie réelle permettant
d’éviter le prélèvement dans les richesses
produites pour financer les pensions. L’unique solution est bien
d’affecter une part croissante de la production annuelle aux
retraité·e·s, à mesure que la population
vieillit. C’est possible. Il s’agit d’un choix de
société.

    Outre que leur concept repose sur un mythe, les
systèmes de retraite par capitalisation sont en fait très
coûteux. Il faut (grassement) rémunérer les
courtiers et autres intermédiaires qui s’occupent sur les
marchés financiers d’acheter et de vendre les titres. Ces
coûts ont été estimés à 20 %
du montant de la retraite alors que dans un système par
répartition, géré via l’administration
publique, les coûts de gestion sont minimes, de l’ordre de
2 % 2. Voilà donc un système public et
centralisé dix fois plus efficace qu’un système
privé !

Une conséquence odieuse

Mais la plus odieuse des conséquences du système par
capitalisation est qu’elle nous transforme de facto en adversaire
des travailleurs-euses et du progrès social. Lorsque, faute
d’alternative, nous plaçons notre argent en Bourse pour
améliorer notre retraite, nous nous retrouvons du
côté des fonds de pension qui mettent une pression
terrible sur les entreprises pour qu’elles leur versent toujours
plus de dividendes, notamment en licenciant et en n’augmentant
pas les salaires. Lutter contre les retraites par capitalisation,
c’est donc se battre également pour la solidarité
entre les travailleurs, une condition de base du progrès social.

    Reste à acter que la retraite par
répartition est une condition nécessaire mais pas
suffisante pour plus d’équité sociale. En effet,
les inégalités chez les retraité·e·s
sont aujourd’hui du même ordre que chez les actifs-ives.
[…]

    La crise actuelle est un moment propice afin de
repenser en profondeur la logique initiée en matière de
retraites. A l’heure où beaucoup parlent de contrer la
prédominance de la finance sur l’économie
réelle, en revenir à un système de retraite
exclusivement basé sur la répartition serait un acte
concret permettant de faire reculer sérieusement la logique
ultralibérale.

Pierre Eyben*


* L’auteur est Docteur en sciences appliquées et
porte-parole du PC Wallonie-Bruxelles. Cet article a été
mis en ligne à mi-janvier sur le site http://contreinfo.info.
Publ. originale dans Le Soir. Intertitres et coupes de notre
rédaction.

1    Rapport de l’ International Institute for Applied Systems Analysis de 2005.
2    Gilles Raveaud, Vous vous souvenez de la retraite
par capitalisation ? , dispo. en ligne sur Alternatives
Economiques.