Affaire Tarnac: «Extension insidieuse et infinie de la notion de terrorisme...»
Affaire Tarnac: «Extension insidieuse et infinie de la notion de terrorisme…»
Entretien avec lavocate de Julien Coupat.
Dernier détenu dans
laffaire des « sabotages de la SNCF »,
dite affaire Tarnac, Julien Coupat est en prison depuis quatre mois.
Son avocate, Me Irène Terrel, dénonce un acharnement du
pouvoir et sinquiète de létat des
libertés publiques en France. *
Vous parlez dun « acharnement »
contre Julien Coupat. En quoi cette détention vous semble-t-elle
abusive ?
Irène Terrel : La
présomption dinnocence a été bafouée
depuis le début de cette affaire et continue de
lêtre. Linstruction telle quelle sest
déroulée depuis le mois de novembre 2008 confirme la
fragilité du dossier : au niveau des expertises, aucune
empreinte digitale ni génétique. Tous les mis en examen
interrogés ont démenti que Julien Coupat était
chef dune quelconque structure : cette notion de
direction a été une pure construction intellectuelle et
policière à charge. Le témoin sous X a
été qualifié de mythomane. Julien Coupat a
été entendu trois fois, il sest expliqué.
Et pourtant, tous ces éléments à décharge
ne sont pas pris en compte. On le maintient en prison. Le principe de
linstruction à charge et à décharge
nest pas appliqué. On part dun postulat de
culpabilité pour ne pas désavouer politiquement
lopération qui a été menée.
Jusquoù êtes-vous prête à entretenir un rapport de force avec le parquet ?
La stratégie de défense ne peut quêtre plus
offensive maintenant. Un juge des libertés avait
décidé de libérer Julien Coupat le 19
décembre 2008. Curieusement, ce même juge, qui avait
pourtant suivi toute lenquête pendant la garde à
vue, a disparu de la procédure; il sest
opportunément évaporé ! Les autres juges
rejettent la demande de liberté. On voit bien que
laffaire est politique.
Le juge qui soccupe de laffaire parle dune
« enquête impartiale ». Ça vous
paraît crédible?
Je lui ai demandé quil interroge Julien Coupat de
nouveau. Si lon se retranche derrière le fait, ou
lalibi ?, quil faut linterroger, sans quoi
on ne peut pas le libérer, il faut alors linterroger
très vite. On demande la déqualification de
« terrorisme ». Tout le monde le sent bien,
il ne sagit pas de terrorisme; cest une construction
voulue et orchestrée politiquement. Juridiquement, ça ne
tient pas, dautant quil nexiste pas de
définition objective du terrorisme dommage, car on voit
à quels abus cela peut mener. Ce flou juridique entraîne
ce à quoi lon assiste : lextension
insidieuse et à linfini de la notion de terrorisme.
Quels rôles ont joué les ministres de la Justice et de lIntérieur ?
La circulaire du mois de juin de la ministre de la Justice, Rachida
Dati, demandant au parquet antiterroriste de porter une attention
particulière aux violences qui seraient commises par ce
quelle appelle « la mouvance anarcho-autonome, ou encore
lultra gauche » pose les prémices de cette
affaire, et elle a été relayée par les
déclarations de Michèle Alliot-Marie au moment des
interpellations. Cest extrêmement grave quun
ministre de lIntérieur sexprime au moment
même où on interpelle des gens, avec 150 hommes en armes,
en gilets pare-balles, avec des hélicoptères qui tournent
au dessus dun petit village et les journalistes derrière.
Quand on fait une telle mise en scène, la présomption
dinnocence est demblée bafouée. Ils sont
présentés non seulement comme coupables
dentrée de jeu, mais aussi comme dangereux. Cest
une violation des droits. Julien Coupat na pas de casier
judicaire. En termes de « terrorisme », son
dossier est vide, et pourtant, il est détenu depuis plus de
quatre mois, il a été interrogé trois fois. Si on
était dans une affaire « normale », il
devrait être libéré.
Comment se sent Julien Coupat?
Les soutiens divers quil reçoit lui permettent de
supporter tout cela. Il découvre les conditions de
détention déplorables dans les prisons françaises
et je pense quil sera amené à écrire sur ce
thème. Il subit cet acharnement avec calme et
sérénité en essayant de lanalyser et de
comprendre les enjeux. Cest un intellectuel, ce nest pas
en le détenant quil renoncera à ses idées.
Cette affaire symbolise aussi létat des libertés publiques en France
Quand vous voyez le sort réservé aux sans-papiers, les
détentions provisoires qui se multiplient, ce ne sont pas
uniquement les procédures antiterroristes qui sont
visées, cest un climat général
datteintes aux libertés. Au coeur de cela, il y a cette
procédure qui est une sorte de traque à lopposant
politique, à la pensée critique. La jeunesse est devenue
une classe dangereuse: on voit ça dans les manifestations, les
quartiers, les arrestations préventives, les gardes à vue
abusives. Les peines-plancher aux audiences, absolument
déraisonnables, profondément injustes et
évidemment porteuses, ce qui est le comble, des récidives
à venir
Tout cela participe dun climat
datteintes graves aux libertés. […]
Quelles sont les étapes à venir de sa défense ?
La demande de déqualification de terrorisme et de
laccusation de chef qui ne repose sur rien, une prochaine
demande de liberté, et enfin un commentaire public et à
décharge de ce dossier. Cette extension de la notion de
terrorisme est grave. Une avocate a été
interpellée une nuit parce quelle avait un tract sur
Coupat dans la poche, elle a fait une garde à vue
antiterroriste; bientôt un tag politique pourrait être
qualifié de terroriste ! Ce qui est insupportable aussi,
cest lincrimination de la pensée : un
livre, Linsurrection qui vient, écrit par un collectif
dauteurs, et jamais poursuivi et encore moins interdit, est
devenu une charge. Ce livre, cest une pensée critique; or
il est versé au dossier de linstruction. Cest une
première ! Ce sont des faits inquiétants.