Conférence d’examen de Durban: boycotter le combat
Conférence dexamen de Durban: boycotter le combat
antiraciste au nom de la lutte contre
lantisémitisme ?
Une propagande efficace
présente lEurope comme une adversaire résolue
dun antisémitisme, que beaucoup auraient voulu imposer
lors de la Conférence dexamen de Durban à
Genève. Les champs de bataille afghan, irakien et palestinien
sont lointains. La même propagande justifie les guerres qui
sy mènent par la lutte contre lislam terroriste.
De qui se moque-t-on?
Les médias dominants sont libres dignorer que le
journaliste israélien Uri Blau dénonce dans le journal
israélien Haaretz 1 le t-shirt des soldats du
bataillon 890 de Tsahal à leur retour de
lopération « Plomb Durci » à
Gaza, qui montre un soldat israélien dessiné en King Kong
dans une ville détruite disant : « Si tu crois
quon peut réparer, crois bien quon peut
démolir ». Ou le t-shirt du bataillon Shaked, de la
Brigade Givati : il montre le ventre dune Palestinienne
enceinte dans la ligne de mire dun fusil avec
linscription « 1 shot 2 kills ». Ou
celui du soldat du bataillon Lavie montrant une jeune fille battue et
le texte « Evidemment on ta
violée ! ». Ou du bataillon Harouv, le texte
« putains » accompagne une jeune fille
appuyée sur une arme évoquant un membre viril.
Aux racines de la « question juive »
Avec leffondrement de lAncien Régime, entre 1789
et 1917, sont tombés les pouvoirs théocratiques et la
malédiction millénaire des Juifs.
Lémancipation de ces derniers était enfin à
lordre du jour.
La Suisse sera parmi les derniers pays
européens à laccorder et lun des premiers
à la mettre en cause. Deux ans après
lintroduction, en 1891, du droit dinitiative, la
première initiative fédérale imposera, en 1893,
linterdiction de labattage rituel. La question de
labattage rituel a récemment suscité de nouvelles
tensions avec la croissance de la minorité musulmane qui elle
aussi respecte de strictes règles dabattage et qui
sajoute aujourdhui à la minorité juive.
Avec linstitution des Etats bourgeois (des
Etats-nations), les nationalismes qui les légitiment
créent limage du Juif rapace, apatride et antinational.
Apparaît alors la « question juive »,
cest-à-dire lantisémitisme moderne. En ce
temps-là, les sionistes étaient rares à penser
comme Theodor Herzl « (
) que lon ne nous laissera
pas vivre en paix (…) Lantisémitisme éclatera
avec dautant plus de violence quil se sera fait attendre.
Linfiltration des Juifs attirés par lapparente
sécurité ainsi que lascension sociale des Juifs
autochtones se conjuguent en un phénomène dune
extrême violence et provoque la catastrophe » 2.
Un combat véritable contre lantisémitisme ne
peut pas être séparé du combat contre toutes les
formes du racisme
Quelques dizaines dannées séparent les slogans du
massacre. Prise en étau, la communauté juive nourrit le
socialisme internationaliste, auquel les nationalismes européens
casseront les reins, et le nationalisme sionisme qui apparaît au
déclin des empires coloniaux.
Héritière de deux mille ans
dempires, lEurope multinationale représente
aujourdhui Israël comme son horizon héroïque:
de lautre côté du mur, les barbares. Elle fait
dIsraël le paradigme de lEtat-nation au moment
où celui-ci décline à son tour. La nouvelle
organisation du marché mondial bouscule lEtat-nation, et
tant pis pour les peuples dominés ou colonisés, pour les
migrant·e·s, les minorités privées de
représentation politique et exclues de la démocratie.
Quel malheur que le monde juif dans sa très
grande majorité croie devoir identifier la lutte contre
lantisémitisme à linacceptable
adhésion au colonialisme israélien et à
limpérialisme occidental. En réalité, la
lutte contre lantisémitisme ne fait sens que dans le
combat contre toutes les formes du racisme.
La Conférence dexamen de Durban sous fortes pressions
Vendredi 27 février 2009, le Département dEtat
américain annonçait que les Etats-Unis sopposaient
au projet de déclaration et ne participeraient pas à la
conférence. Mardi 3 mars, le Congrès juif européen
demandait aux pays de lUnion européenne de boycotter la
Conférence 3.Jeudi 5 mars, le ministre des affaires
étrangères italien Franco Frattini décidait le
retrait de la délégation italienne en raison du projet de
déclaration qui contient « des phrases inacceptables,
agressives et antisémites »4. Et
vendredi 6 mars, cétait le Royaume-Uni qui conditionnait
sa participation. Pour le ministre britannique Mark Malloch-Brown, le
document « doit se concentrer sur les formes actuelles de
racisme », en référence à des
passages du texte qui demandent des réparations pour
lesclavage pratiqué dans le passé. « Nous ne
pouvons soutenir un processus biaisé, que ce soit contre
lOccident ou contre des pays en particulier »,
a-t-il poursuivi, en faisant allusion aux critiques contre Israël
que les pays occidentaux veulent voir retirées du document 5.
Le 8 mars, un communiqué de la LICRA
demandait que la France suive lexemple de lItalie. Il
estimait que linitiative prise par le gouvernement italien
« doit entraîner un retrait massif des Etats membres
de lUnion Européenne de cette mascarade » et
ne semblait pas gêné du fait que cette initiative soit
celle de lItalie de Berlusconi, où sévit une vague
de racisme inquiétante quattisent les partis de la
majorité gouvernementale 6. Mardi 10 mars, le
quotidien catholique La Croix informait que le député UMP
de Paris, Claude Goasguen, invitait « les
députés à se mobiliser pour obtenir une
décision claire et publique du gouvernement français, en
rejoignant lappel parlementaire pour le retrait de la France des
travaux de Durban II »7. La Croix rappelle que
lItalie a annoncé vendredi 6 mars quelle ne
participerait pas à la conférence en invoquant des
« phrases inacceptables, agressives et
antisémites » et que « la
conférence de 2001 sétait terminée dans la
confusion, certains participants lui reprochant une connotation
antisémite ».
Le mercredi 11 mars, cest le maire PS de
Paris, Bertrand Delanoë, qui suit le mouvement en estimant, dans
un communiqué, que la France devait refuser de participer
à la conférence « Durban II » de
lONU contre le racisme car, selon lui, elle serait
« une mascarade » et lEtat
dIsraël y est accusé dêtre par essence
raciste 8. Ce même jour, lAssociation
Suisse-Israël (ASI), la Fédération suisse des
communautés israélites (FSCI) et la plate-forme des juifs
libéraux de Suisse (PJLS), expriment leur crainte que la
Conférence ne soit instrumentalisée comme une nouvelle
tribune antisémite et anti-israélienne et soutient que sa
position est aussi celle de lUnion Européenne. 9
Enfin, le 12 mars, lATS communique que le Conseil
fédéral décidera « en temps
utile » de la participation de la Suisse, suite à
lappel de plusieurs organisations juives de Suisse exigeant que
Berne boycotte la Conférence contre le racisme si lactuel
projet de résolution nest pas modifié car, selon
elles, il « instrumentalise » la
conférence en une « tribune
antisémite »10. Le 16 mars enfin,
lAFP informe que lUE menace de se retirer en bloc de la
conférence de Durban II si ses documents préparatoires ne
sont pas modifiés. Elle rappelle que le Congrès juif
européen avait appelé début mars les pays de
lUE à boycotter une conférence qualifiée de
« tribunal anti-israélien ». Enfin,
lAllemagne sest clairement prononcée pour un
retrait de lUE de cette conférence, à
défaut de modification substantielle des documents
préparatoires, qui suggèrent « que la
conférence pourrait être détournée, avec des
prises de position partiales sur le conflit au
Proche-Orient »11.
Compromis diplomatique et poursuite du bras de fer
Mardi 17 mars 2009, dans lespoir de couper court aux menaces de
boycott des pays occidentaux, le groupe de travail préparant la
conférence a diffusé un projet de déclaration
finale consensuel et nettoyé des points de discorde 12.
Les quatre conditions que les Etats-Unis avaient fixées le 27
février 2009 semblent aujourdhui satisfaites.
Lundi 30 mars, le Congrès Juif
Européen et le Comité de coordination des organisations
juives de Belgique (CCOJB) organisaient au Parlement européen le
symposium « Construire ensemble lavenir de lEurope.
Le combat contre lantisémitisme, la défense des
valeurs européennes et de la coexistence ».
Lévénement était placé sous le
patronage de la présidence tchèque de lUnion
européenne, du Parlement européen et de son
président Hans-Gert Pöttering et était assuré
de la participation de la Commission européenne et de son
vice-président Jacques Barrot 13.
Aux côtés des communautés
juives, de nombreux intellectuels dénoncent la menace islamiste
contre les femmes et la laïcité,
lantisémitisme musulman. Leurs prises de position
samoncellent. Le 3 mars 2009, Bernard-Henri Lévy note que
la conférence de Genève « laisse
présager le pire. Israël plus que jamais mis en accusation
car fondé, dit-on, sur un
apartheid ». Le 30 mars 2009,
Michel Danthe fait dire à Mireille Vallette que
« non seulement (les) leaders musulmans ne peuvent
sadapter à notre démocratie, mais (qu)ils
tentent de la pervertir »14. Selon Denis
Etienne, cette dernière nexclurait pas de
sabstenir de voter à linitiative anti-minarets
« sil ny a pas un réel débat
(
) entre autres sur les conséquences qua
engendré lintégrisme sur nos libertés et
sur la condition féminine musulmane » 15.
ACOR SOS Racisme
1
21.03.09 Haaretz, Uri Blau, « Victimes de la mode :
T-shirts imprimés pour des unités de larmée
israélienne », Traduction par Michel Ghys
2 Theodor Herzl, LEtat des Juifs, La Découverte, Paris 1990. 1re édition, 1896, Vienne.
3 Cicad Nº 874, 4 mars 2009,
« Le Congrès juif européen demande aux pays
de lUE de boycotter Durban II ».
4 Cicad Nº 876, 9 mars 2009,
« LItalie ne participera pas à la
conférence Durban II ».
5 Cicad Nº 876, 6 mars 2009,
« Conférence contre le racisme à
Genève : le Royaume-uni conditionne son
soutien ».
6 Cicad Nº 878, 10 mars 2009,
« Conférence Durban II : la LICRA souhaite
que la France boycotte comme lItalie ».
7 Cicad Nº 879, 11 mars 2009,
« Durban II: un député UMP demande le
retrait de la France ».
8 Cicad Nº 880, jeudi 12 mars 2009,
« La France doit refuser de participer à la
conférence Durban II, déclare le maire de
Paris ».
9 Cicad Nº 879, 11 mars 2009,
« La Suisse ne doit pas donner son appui à une
conférence Durban II manipulée ».
10 Cicad Nº 880, 12 mars 2009,
« Durban II : le Conseil fédéral
décidera « en temps utile » de la
participation de la Suisse ».
11 Cicad Nº 883, 17 mars 2009,
« LUE menace de se retirer en bloc de la
conférence de Durban II ».
12 Cicad Nº 884, 18 mars 2009,
« Durban II : le groupe de travail propose un
nouveau texte très consensuel ».
13 Cicad Nº 893, 31 mars 2009, Jacques
Barrot : « Pas de compromis à
nimporte quel prix à Durban II ».
14 Le Matin Dimanche, 28 mars 2009. La CICAD
recense son interview dans sa newsletter 892 du 30 mars 2009.
15 La Tribune de Genève, 6 avril 2009. La
CICAD recense son interview dans sa Newsletter 894 du 7 avril 2009.