Droits de l’homme en Colombie… Les profits des multinationales suisses d’abord !

Droits de l’homme en Colombie… Les profits des multinationales suisses d’abord !

Le résultat du premier vote du Conseil National, ce 25 mai, sur
la ratification de l’accord bilatéral de
libre-échange entre les pays de l’AELE et la Colombie,
ainsi que de l’accord agricole entre la Suisse et la Colombie,
vient de tomber. Pas de surprise : c’est OUI par 113 voix
contre 63. La droite pratiquement unanime a plébiscité
ces textes. Quelques remarques au fil des débats en laissent
deviner les raisons : « Le Seco considère la
Colombie comme un pays prioritaire pour le développement
économique » (A. Raymond, UDC, GE);
« c’est notre troisième plus important
marché d’exportation d’Amérique du Sud
après le Brésil et l’Argentine » (W.
Müller, PRD, St-Gall); « les entrepreneurs suisses
ont investi plus de 1,2 milliard de francs pour l’année
2007 en Colombie » (U. Haller, PBD, BE – parti issu
de la récente rupture au sein de l’UDC).

    Mais il faut savoir regarder derrière le
théâtre d’ombre des débats parlementaires. En
octobre dernier, un sommet économique suisso-colombien avait
minutieusement préparé le terrain. Les véritables
décideurs s’étaient ainsi donné rendez-vous
à Zurich, en présence d’une centaine de grands
patrons emmenés par Steffen Raffé, vice-président
de Nestlé pour les Amériques, et Beat Paoletto, directeur
des nouvelles affaires latino-américaines de l’UBS.
L’économie suisse dispose en effet de solides
intérêts en Colombie : dans la banque (UBS,
Crédit Suisse) et les assurances (Suisse Re), les transports
(Danzas, Panalpina, Swiss Worldcargo), le ciment (Holcim), les
industries pharmaceutique (Novartis, Roche), des machines (ABB,
Electrowatt) et alimentaire (Nestlé) De surcroît, les
investisseurs helvétiques ont opéré
récemment une percée spectaculaire dans
l’exploitation du charbon à ciel ouvert –
extrêmement polluante – (Xstrata plc), le raffinage du
pétrole (Glencore) et les infrastructures aéroportuaires
(Flughafen Zürich A.G.).

    Leurs exigences portent donc avant tout sur la
sécurité de leurs capitaux. En marge du conclave de
Zurich, le Ministre colombien du commerce, de l’industrie et du
tourisme, L. G. Plata, a ainsi pris l’engagement auprès de
la Conseillère fédérale Doris Leuthard de
garantir, de concert avec le Ministre de la défense, une
meilleure protection militaire de l’usine Nestlé de
Caquetá. Le 1er août dernier, à l’occasion de
la Fête nationale, le vice-président Santos faisait
d’ailleurs observer « que la Suisse, non seulement
son gouvernement, mais aussi ses entreprises, sont partie prenante de
notre projet de Sécurité
Démocratique » (N24, 1er août 2008). De quoi
s’agit-il ? « D’un réseau
d’un million d’informateurs dans les campagnes; des
« zones de réhabilitation » où
l’armée se substitue aux autorités locales, avec
droits d’établissement, de circulation et de manifestation
restreints, couvre-feu et permis spéciaux pour les journalistes,
etc. » (M. Lemoine, solidaritéS, 11 juillet 2007).

    Mais revenons au Conseil National. Pressés
par une trentaine d’ONG et les principaux syndicats, le PSS et
les Verts se sont battus pour le renvoi de ces accords au Conseil
fédéral avec, en préalable à toute
signature, certaines exigences en matière de droits humains, de
droits syndicaux et de protection de l’environnement. Ils ont
également revendiqué une action concertée avec la
Norvège et les Etats-Unis afin de combiner aux objectifs
économiques des traités en cours de ratification des
standards minimaux en matière de protection des
travailleurs·euses et de la nature.

    A aucun moment, la
« gauche » minoritaire ne s’est
cependant autorisé la moindre critique à
l’égard de l’empire suisse, de ses surprofits, de
son mépris des droits des travailleurs-euses, des populations
indigènes ou de l’environnement, voire de sa
complicité avec la répression : membres du
syndicat Sinaltrainal de Nestlé assassinés, indiens
Wayú chassés de leur terre par les mines de charbon de
Xstrata plc, etc. Elle n’a jamais remis en question le pillage
des ressources naturelles (l’or, le pétrole et ses
dérivés représentent 92% des importations suisses
de Colombie) et des savoirs traditionnels, ainsi que les
mécanismes de l’échange inégal, que la
signature d’accords bilatéraux de libre-échange
avec les pays du Sud ne peut qu’aggraver. Au contraire, Carlo
Sommaruga (PSS, GE) s’est déclaré partisan
d’un accord de libre-échange avec le Brésil, ceci
lui valant cette réplique cinglante de D. Leuthard :
« Le Brésil est économiquement
intéressant, il est démocratique, il offre certes de
meilleurs droits sociaux, mais de nombreux travailleurs y sont aussi
exploités. J’ai moi-même vu dans les plantations de
canne à sucre comment les travailleurs itinérants vivent
et ce qu’ils gagnent ». Un comble !

    Pour dépasser ce type de joutes
parlementaires aux résultats connus d’avance, la gauche
helvétique doit (re)découvrir la dimension
anti-impérialiste de son combat. Elle doit commencer par refuser
tout soutien à « notre » industrie
d’exportation ou à « nos »
investisseurs et critiquer sans concession les
« bienfaits » du libre-échange, en
particulier entre pays du Nord et pays du Sud. Cela implique bien
sûr le développement d’autres formes de mobilisation
et d’autres moyens de lutte : un engagement syndical
massif dans une perspective internationaliste et un appel à la
solidarité directe de la société civile. Rien de
moins qu’une rupture radicale avec la servilité et
l’impuissance des discours actuels.


Jean Batou