Le combat antinucléaire est-il dépassé ?

Le combat antinucléaire est-il dépassé ?



Question provocatrice pour entamer un
entretien avec Anne-Cécile Reimann, présidente et
militante connue de l’association genevoise ContrAtom…

Anne-Cécile: Allez dire ça aux 50 000
manifestant·e·s antinucléaires à Berlin ce
7 septembre ! Si seulement notre combat était
dépassé… Mais, c’est le contraire !
L’actualité de la lutte antinucléaire est vive. On
est à un moment où des centrales nucléaires
vieillies et très dangereuses risquent de voir leur autorisation
renouvelée, alors que le risque qu’elles
représentent croit chaque année avec leur vieillissement
et leur fragilisation… Objectivement, le risque d’un
nouveau Tchernobyl s’accroît, comme la masse de ces
déchets radioactifs, pour lesquels il n’y a, tout
simplement, pas de « bonne solution ».

    En Suisse, on a le réacteur fissuré de
Mühleberg qui devrait être fermé et qui risque de
faire l’objet d’une autorisation d’exploitation
illimitée. Nous avons participé le 26 avril dernier
à une manif à Berne à ce sujet… et les
Vaudois·e·s donneront leur préavis sous peu,
à l’occasion d’un vote populaire, dont leur
gouvernement cantonal a cherché abusivement à les priver.

    En France, il y a la centrale de Fessenheim, en bout
de course – la plus vieille du pays – qui va être
arrêtée pour sa troisième visite décennale.
Cette inspection décidera de sa mise à
l’arrêt ou de sa survie, pour un nouveau bail de 10 ans.
Les militant-e-s de ContrAtom iront à Colmar, samedi 3 octobre,
pour une grande manifestation exigeant la fermeture définitive
des réacteurs de cette centrale. (Pour venir : contactez
ContrAtom au 022 740 46 12. On prend le train à Cornavin
à 9 h 10, retour le soir…)

Mais Mühleberg, Fessenheim… n’est ce pas de l’histoire ancienne ?

Ce sont en effet des réacteurs très anciens… et
dangereux. Il faut les arrêter avant qu’ils ne rentrent
dans l’Histoire, par la même porte que Tchernobyl. Le pire
c’est que – parallèlement à la volonté
de continuer à exploiter ces antiquités – on cherche
à nous imposer de nouveaux réacteurs, comme l’EPR,
dont Sarkozy fait la promotion, ou comme les trois nouvelles centrales
que le lobby électronucléaire suisse a sur ses planches
à dessin!

    Or ces « nouveaux »
réacteurs sont un danger. Parce que, sous des emballages
renouvelés, ils reposent sur les mêmes principes, avec les
mêmes problèmes, dangers et risques, que leurs
prédécesseurs… Risque d’un accident majeur,
pollution radioactive tout le long de la chaîne du combustible,
des mines d’uranium jusqu’au casse-tête des
déchets… Production de plutonium, ingrédient essentiel
d’armes potentiellement génocidaires… Exigences de
flicage, de contrôle et de répression liberticides sous
prétexte de
« sécurité ».  Mais encore
et surtout, risque que le mirage de ces installations projetées
serve de « béquille » à un mode
de consommation effréné de l’énergie, avec
lequel nous devons rompre, radicalement et rapidement, si nous voulons
que l’humanité survive!

    Ces « nouveaux »
réacteurs sont vendus comme une des clés de la
réponse à la catastrophe climatique, sous prétexte
qu’ils ne produiraient pas de CO2. C’est faux ! Non
seulement l’industrie nucléaire est bien
génératrice de CO2, mais les milliards de francs investis
dans une nouvelle centrale c’est de l’argent public
détourné de l’urgence qu’il y a à
investir dans le développement de l’utilisation
rationnelle de l’énergie, dans la réduction des
consommations et la production d’énergie renouvelable…

Ainsi la lutte antinucléaire s’inscrit dans un combat plus général ?

Bien sûr, ça a toujours été le cas. Dans ce
sens, nous participons à Genève à la Coordination
« Climat et Justice sociale », qui mobilise
en vue de l’échéance de la Conférence de
Copenhague sur le climat en décembre. Ce qui ne signifie pas que
la lutte antinucléaire, en tant que telle, doive être
délaissée. Nous allons en effet au devant d’une
grosse confrontation d’ici deux ou trois ans, avec le
référendum sur la première des nouvelles centrales
atomiques helvétiques projetées. Les arguments
antinucléaires doivent être affûtés,
réactualisés et largement diffusés en vue de cette
échéance déterminante pour la politique
énergétique du pays. Or, faute de mobilisations massives
– comme celles que nous avions menées à Genève
contre le surgénérateur Superphénix – la
« culture antinucléaire » risque de
s’émousser…

    C’est donc un défi et une urgence pour
ContrAtom de souffler sur ce feu et de transmettre notre
héritage d’expériences et de mobilisations. A
Genève, nous venons d’intervenir en direction de la
nouvelle Assemblée constituante pour exiger qu’elle se
déclare pour le maintien de l’article antinucléaire
de la Constitution genevoise (art. 160e).

    Au quotidien, nous nous battons aussi pour le
respect de ces droits démocratiques qui sont la condition de nos
luttes. Comme le simple droit à l’affichage, support de la
liberté d’expression, qui est menacé… Les
services municipaux du radical Pierre Maudet ont par exemple osé
soutenir que ContrAtom était interdit d’affichage
« libre » quand il s’agissait
d’appeler à une manif antinucléaire à Berne,
parce que celle-ci n’était « pas sur le
territoire du canton » et autres bêtises… Quelques
semaines plus tard, le lobby électronucléaire se payait
une campagne massive et insidieuse de dénigrement des
énergies renouvelables et de promotion du
nucléaire… Ceci sur les panneaux payants de la SGA, sans
que ce magistrat ne pipe mot. De quoi enrager et réagir –
comme nous l’avons fait en caviardant ces pubs!

Anne-Cécile Reimann

(Interviewée par Pierre Vanek)