L.A. Music

L.A. Music

California waiting, bruit, fureur, et beaucoup de musique au cœur de l’ouragan Los Angeles

Los Angeles, car city, ville du balancement permanent entre triomphe et
échec du capitalisme. L’impression d’être
parfois dans un livre de Ballard. Entre une chaine d’hamburger,
une station service et un restau mexicain, il se peut que l’on
tombe sur une bonne salle de concerts, même si on redoute
d’y tomber sur la légendaire inattention californienne
face à tout ce qui arrive : je gare ma voiture, je
souris, je parle fort, je n’écoute la musique que comme
une distraction pour le chemin qui me mène aux toilettes et une
fois la dernière note sortie des baffles, je reprends ma bagnole
et je rentre. Si ce délicieux cliché se vérifie
parfois dans les quartiers plus friqués de l’ouest de la
ville, à l’est on trouve de nombreuses salles avec un
public plus épars mais aussi plus attentif et plus
passionné.

Echo Park
Epicentre officiel, donc un peu convenu, de cette effervescence
musicale, The Echo réunit dans deux salles la crème de la
scène californienne et américaine dans une ambiance
proche de la boîte de nuit de province avec son sol sale et son
obscurité que seuls les lumières des bars viennent
troubler. Tout ce qui se fait de bon sur le continent et qui se
commercialise vaguement, passe par ici. Des sons au fort taux
d’excitation de Dan Deacon au psychédélisme de
Ganglians et Wavves.
 
The Smell
Mais tout ce bon son paraît bien banal quand des pas avertis se
trainent jusqu’au saint des saints, The Smell. Toi qui recherches
la surprise, qui attends d’un groupe inconnu une claque venue de
nulle part, qui préfères entendre une mélodie
lorsqu’elle sort à peine du vacarme, reconnais tes pareils
et prépare ta quête. Au milieu de la nuit, prends tes
clefs, monte dans ta voiture, enclenche ta radio, descends le serpent
des autoroutes urbaines jusqu’au downtown. Une fois tes pieds sur
le trottoir, contemple cet aperçu de fin du monde que seul
l’ultralibéralisme a su concevoir. Au milieu de
gigantesques immeubles, dont les sommets se perdent dans la brume et la
pollution, tu es bien seul. Les seules autres personnes que tu pourrais
voir, ce sont les membres de gang, qui ont fait du downtown leur
territoire. Sinon, à peine plus au sud, s’étendent
les rues où toutes les places de voitures sont libres, comme un
avertissement, comme une menace, et où à la nuit
tombée viennent les dizaines de milliers de sans abris, tels des
cauchemars, seules formes qu’ils leur restent dans une
société qui leur refuse toute considération. Oui
c’est bien ici que dans une arrière rue, tu trouveras The
Smell. Pour y rentrer, tu devras faire deux sacrifices : tes
oreilles, qui ne sortiront pas indemnes de la pluie de décibels
qui les attend, et ton alcoolisme.
    En effet, The Smell est une salle de concert,
gérée par une association dont l’un des premiers
buts est de rendre accessible à tous des concerts de
qualité. Ainsi le prix d’entrée oscille entre 5 et
10 CHF. Et les salles qui servent de l’alcool étant
souvent interdites aux moins de 18 ans voire au moins de 21 ans, les
membres de cette association ont décidé de ne pas vendre
d’alcool au sein du Smell.  Wahoo, un vrai geste
révolutionnaire dans le monde ultranormé de la salle
rock. Cette salle sert de tour d’essai aux jeunes groupes de la
ville, de la Californie mais aussi des différentes parties des
États-Unis. Les groupes plus aguerris y viennent, eux, pour se
faire plaisir, la promotion du dernier album n’étant pas
à l’ordre du jour. Le bénéfice obtenu par la
vente des billets suffit à garantir le fonctionnement de la
salle, et lorsqu’un investissement est nécessaire, les
groupes plus connus viennent donner un concert de soutien, ainsi a eu
lieu récemment une soirée pour l’achat d’un
nouveau système de climatisation.

    Presque chaque soir, ce sont ainsi 4 groupes qui se
succèdent pour des sets d’une demi-heure. La salle est
étroite, les murs couverts de dessins et de graffiti chaque soir
étoffés. Des canapés défoncés par-ci
par-là, c’est parfois carrément sur des ressorts
nus que l’on s’assoit. Dans une première salle, se
trouvent le bar et des meubles contenant journaux, livres et fanzines,
que les gens lisent pour de vrai. Parmi eux de nombreux textes
politiques. Dans la seconde salle se trouve une scène
légèrement surélevée. Mais un des plaisirs
que procure une soirée au Smell réside dans le fait que
les groupes jouent souvent à des endroits différents. Si
certains montent bien sur scène, ils sont encore plus nombreux
à poser leur amplis juste devant afin d’être au
même niveau que le public. D’autres encore se placent dans
le coin opposé, renforçant la concentration du son.
D’autres encore colonisent la première salle près
des livres pour produire une ambiance plus intime. Entre chaque
concert, résonnent les basses de la boite latino
d’à côté, qui évidemment ne passe que
du reggae­ton et du Morrisey.
    Voilà donc un énième
paradoxe : une des meilleures salles autogérées et
alternatives du monde se trouve dans la ville connue pour être un
des symboles même de l’ultralibéralisme. Mais ceci
s’explique avant tout par la richesse de la scène musicale
locale et par l’appauvrissement de nombreux lieux urbains, les
riches délaissant la ville pour s’installer dans les
collines du nord de la ville ou dans la municipalité de Beverly
Hills ou encore sur les côtes de l’océan,
appauvrissement qui rend accessible les loyers des zones
délaissées.

Pierre Raboud


Voici une liste des groupes habitués du Smell pour les lectrices
et les lecteurs intéressé·e·s :

No Age (myspace.com/nonoage)

Abe Vigoda (myspace.com/abevigoda)

Sun Araw (myspace.com/sunaraw)

Fuckeande (myspace.com/fuckeande)

Mi Ami (myspace.com/miamiamiami)

Wet Hair (myspace.com/wethairgoldsounds)

Ariel Pink (myspace.com/arielpink)