Sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ?
Sortir de la crise du capitalisme ou sortir du capitalisme en crise ?
Le principe de laccumulation
sans fin qui définit le capitalisme est synonyme de croissance
exponentielle, et celle-ci, comme le cancer, conduit à la mort.
(
) Laccumulation, synonyme également de
paupérisation, dessine le cadre objectif des luttes contre le
capitalisme. Celle-ci sexprime principalement par le contraste
grandissant entre lopulence des sociétés du
centre, bénéficiaires de la rente impérialiste et
la misère de celles des périphéries
dominées. Ce conflit devient de ce fait laxe central de
lalternative « socialisme ou barbarie ».
Le capitalisme historique « réellement
existant » est associé à des formes
successives daccumulation par dépossession, non pas
seulement à lorigine (« laccumulation
primitive »), mais à toutes les étapes de
son déploiement. Une fois constitué, ce capitalisme
« atlantique » est parti à la
conquête du monde et la refaçonné sur la
base de la permanence de la dépossession des régions
conquises, devenant de ce fait les périphéries
dominées du système. (
)
Laccumulation par dépossession se
poursuit sous nos yeux dans le capitalisme tardif des oligopoles
contemporains. Dans les centres, la rente de monopole dont
bénéficient les ploutocraties oligopolistiques est
synonyme de dépossession de lensemble de la base
productive de la société. Dans les
périphéries, cette dépossession
paupérisante se manifeste par lexpropriation des
paysanneries et par le pillage des ressources naturelles des
régions concernées. Lune et lautre
constituent les piliers essentiels des stratégies
dexpansion du capitalisme tardif des oligopoles
Centralité des luttes rurales du Sud
Je place la « nouvelle question agraire » au
cur du défi pour le 21e siècle. La
dépossession des paysanneries (dAsie, dAfrique et
dAmérique latine) constitue la forme majeure
contemporaine de la tendance à la paupérisation
associée à laccumulation. Sa mise en uvre
est indissociable des stratégies de captation de la rente
impérialiste par les oligopoles. Ainsi, le développement
des luttes sur ce terrain, les réponses qui seront
données à travers elles à lavenir des
sociétés paysannes du Sud (presque la moitié de
lhumanité), commanderont largement la capacité ou
non des travailleurs et des peuples à produire des
avancées vers la construction dune civilisation
authentique, libérée de la domination du capital, pour
laquelle je ne vois pas dautre nom que celui de socialisme.
Le pillage des ressources naturelles du Sud,
quexige la poursuite du modèle de consommation
gaspilleuse au bénéfice exclusif des
sociétés opulentes du Nord, annihile toute perspective de
développement digne de ce nom pour les peuples concernés
(
). [Mais] la « crise de
lénergie » nest pas le produit de la
raréfaction de certaines des ressources nécessaires
à sa production (le pétrole bien entendu), ni davantage
le produit des effets destructeurs des formes
énergétivores de production et de consommation en
vigueur. (
) Cette crise est le produit de la volonté des
oligopoles de limpérialisme collectif de sassurer
le monopole de laccès aux ressources naturelles de la
planète, que celles-ci soient rares ou pas, de manière
à sapproprier la rente impérialiste, que
lutilisation de ces ressources demeure ce quelle est
(gaspilleuse, énergétivore) ou soit soumise à des
politiques « écologistes » correctives
nouvelles. Cest pourquoi la poursuite de la stratégie
dexpansion du capitalisme tardif des oligopoles se heurtera
nécessairement à la résistance grandissante des
nations du Sud.
La crise actuelle nest donc ni une crise
financière, ni la somme de crises systémiques multiples,
mais la crise du capitalisme impérialiste des oligopoles, dont
le pouvoir exclusif et suprême risque dêtre remis en
question, cette fois encore, par les luttes de lensemble des
classes populaires et par celles des peuples et nations des
périphéries dominées, fussent elles en apparence
« émergentes ». Elle est
simultanément une crise de lhégémonie des
Etats-Unis : capitalisme des oligopoles, pouvoir politique des
oligarchies, mondialisation barbare, financiarisation,
hégémonie des Etats-Unis, militarisation de la gestion de
la mondialisation au service des oligopoles, déclin de la
démocratie, pillage des ressources de la planète, abandon
de la perspective du développement du Sud sont indissociables.
Ces luttes parviendront-elles à converger pour ouvrir la voie
ou des voies à la longue route de la transition
au socialisme mondial ? Ou demeureront-elles
séparées les unes des autres, voire entreront-elles en
conflit les unes contre les autres (
), laissant
linitiative au capital des oligopoles ?
Dune longue crise à lautre
Leffondrement financier de septembre 2008 (
)
sinscrivait dans le développement de la longue crise du
capitalisme vieillissant, amorcée dans les années 1970.
Il est bon de revenir sur la première longue crise du
capitalisme qui a façonné le 20e siècle, tant le
parallèle entre les étapes du développement de ces
deux crises est saisissant. Le capitalisme industriel triomphant du 19e
siècle entre en crise à partir de 1873 : les taux
de profits seffondrent (
). Le capital réagit par
un double mouvement de concentration et dexpansion
mondialisée. Les nouveaux monopoles confisquent à leur
profit une rente prélevée sur la masse de la plus-value
générée par lexploitation du travail. Ils
accélèrent la conquête coloniale de la
planète. Ces transformations structurelles permettent un nouvel
envol des profits. Elles ouvrent la « belle
époque » 1890/1914 qui est celle
dune domination mondialisée du capital des monopoles
financiarisés. Les discours dominants de lépoque
font léloge de la colonisation (« mission
civilisatrice »), qualifient la mondialisation de synonyme
de paix, et la social-démocratie ouvrière
européenne se rallie à ce discours.
Pourtant la « belle
époque », annoncée comme la
« fin de lhistoire » par les
idéologues en vue de lépoque, se termine par la
guerre mondiale (…). Et la période qui suit, jusquaux
lendemains de la Seconde guerre mondiale, sera celle des
« guerres et révolutions ». En 1920,
la révolution russe (le « maillon
faible » du système) ayant été
isolée, après la défaite des révolutions en
Europe centrale, le capital des monopoles financiarisés restaure
contre vents et marées le système de la
« belle époque ». Une restauration
(
) qui est à lorigine de leffondrement
financier de 1929 et de la dépression quelle va
entraîner jusquà la Seconde guerre mondiale.
Le « long 20e
siècle » 1873/1990 est à la
fois celui du déploiement de la première crise
systémique profonde du capitalisme vieillissant, et celui
dune première vague triomphante de révolutions
anticapitalistes (Russie, Chine) et de mouvements
anti-impérialistes des peuples dAsie et dAfrique.
La seconde crise systémique du capitalisme souvre en
1971, avec labandon de la convertibilité-or du dollar,
presquexactement un siècle après le début
de la première : les taux de profit,
dinvestissement, et de croissance seffondrent. Le capital
répond à ce défi, comme dans la crise
précédente, par un double mouvement de concentration et
de mondialisation. Il met ainsi en place des structures qui
définiront la seconde « belle
époque » (1990/2008) de mondialisation
financiarisée, permettant aux groupes oligopolistiques de
prélever leur rente de monopole. Mêmes discours :
le « marché » garantit la
prospérité, la démocratie et la paix; cest
la « fin de lhistoire ». Mêmes
ralliements des socialistes européens (
). Et pourtant
cette nouvelle « belle époque » est
accompagnée dès le début de la guerre, celle du
Nord contre le Sud, amorcée dès 1990. Et tout comme la
première mondialisation financiarisée avait donné
1929, la seconde a produit 2008. (
)
Lanalogie entre les développements de
ces deux crises systémiques longues du capitalisme vieillissant
est frappante. Il y a néanmoins des différences dont la
portée politique est importante.
Sortir du capitalisme
Le capitalisme contemporain est dabord et avant tout un
capitalisme doligopoles : ceux-ci commandent seuls la
reproduction du système productif dans son ensemble; ils sont
« financiarisés » dans le sens
queux seuls ont accès au marché des capitaux.
Cette financiarisation donne au marché monétaire et
financier leur marché le statut de marché
dominant, qui façonne et commande à son tour les
marchés du travail et déchange de produits. Cette
financiarisation mondialisée sexprime par une
transformation de la classe bourgeoise dirigeante en ploutocratie
rentière. Les oligarques ne sont pas russes seulement, comme on
le dit trop souvent, mais bien davantage états-uniens,
européens et japonais. Le déclin de la démocratie
est le produit inévitable de cette concentration du pouvoir au
bénéfice exclusif des oligopoles.
La forme nouvelle de la mondialisation capitaliste (
), [marque]
le passage de limpérialisme conjugué au pluriel
(celui des puissances impérialistes en conflit permanent entre
elles) à limpérialisme collectif de la triade
(Etats Unis, Europe, Japon). (
) La domination des centres ne
sexerce plus par le monopole de la production industrielle, mais
par dautres moyens le contrôle des technologies,
des marchés financiers, de laccès aux ressources
naturelles de la planète, de linformation et des
communications, des armements de destruction massive. (
)
Aujourdhui], leffondrement financier
est en passe de produire, non pas une
« récession », mais une
véritable dépression profonde. Dautres dimensions
de la crise du système ont émergé à la
conscience publique avant leffondrement financier. On en
connaît les grands titres : crise
énergétique, crise alimentaire, crise écologique,
changements climatiques (
). Je redéfinis ces
« crises » diverses comme les facettes du
même défi de la mondialisation capitaliste contemporaine
(libérale ou pas), fondée sur la ponction que la rente
impérialiste opère à léchelle
mondiale au profit de la ploutocratie des oligopoles de
limpérialisme collectif de la triade. (
)
Sortir de la crise du capitalisme ou sortir du
capitalisme en crise ? La formule avait été
proposée par Gunder Frank et moi même en 1974. (
)
Jai poursuivi cette ligne danalyse (
) [en
proposant] une conceptualisation des formes nouvelles de domination des
centres impérialistes fondée sur des modes nouveaux de
contrôle se substituant au monopole ancien de lexclusive
industrielle (
). Jai qualifié cette nouvelle
mondialisation en construction « dapartheid
à léchelle mondiale », appelant la
gestion militarisée de la planète, perpétuant dans
des conditions nouvelles la polarisation indissociable de
lexpansion du « capitalisme réellement
existant ».
Lhégémonie en crise des Etats-Unis
Le monde contemporain est gouverné par des oligarchies :
oligarchies financières aux Etats-Unis, en Europe et au Japon,
qui dominent non seulement la vie économique, mais tout autant
la politique et la vie quotidienne; oligarchies russes à leur
image, que lEtat tente de contrôler; statocratie en Chine.
(
) La gestion de la mondialisation contemporaine par ces
oligarchies est en crise. Les oligarchies du Nord comptent bien rester
au pouvoir, le temps de la crise passé; elles ne se sentent pas
menacées. Par contre la fragilité des autocraties du Sud
est bien visible. La mondialisation en place est de ce fait fragile.
Sera-t-elle remise en question par la révolte du Sud, comme ce
fut le cas au siècle passé ? Probable. Mais
triste. Car lhumanité ne sengagera sur la voie du
socialisme, seule alternative humaine au chaos, que lorsque les
pouvoirs des oligarchies, de leurs alliés et de leurs
serviteurs, seront mis en déroute à la fois dans les pays
du Nord et du Sud. Vive linternationalisme des peuples face au
cosmopolitisme des oligarchies !
Le capitalisme est
« libéral » par nature, si lon
entend par « libéralisme » (
)
lexercice plein et entier de la domination du capital non pas
seulement sur le travail et léconomie, mais sur tous les
aspects de la vie sociale. Il ny a pas
« déconomie de marché »
(expression vulgaire pour dire capitalisme) sans
« société de marché ».
Le capital poursuit obstinément cet objectif unique :
largent, laccumulation pour elle-même. (
)
Seule la triple victoire de la démocratie, du socialisme et de
la libération nationale des peuples avait permis, de 1945
à 1980, la substitution à ce modèle permanent de
lidéal capitaliste, de la coexistence conflictuelle des
trois modèles sociaux régulés quont
été le Welfare State de la social-démocratie
à lOuest, les socialismes réellement existants
à lEst et les nationalismes populaires au Sud.
Lessoufflement puis leffondrement de ces trois
modèles a par la suite rendu possible un retour à la
domination exclusive du capital, qualifiée de
néolibérale. (
)
Aujourdhui les pouvoirs en place semploient à
restaurer ce même système. Leur succès
éventuel, comme celui des conservateurs des années 1920,
ne pourra quaggraver lampleur des contradictions qui sont
à lorigine de leffondrement financier de 2008.
(
) La récente réunion du G20 (Londres, avril
2009) namorce en rien une « reconstruction du
monde ». (
) Plus intéressant est le fait
que les leaders des « pays émergents »
invités ont gardé le silence. Une seule phrase
intelligente a été prononcée par le
président chinois Hu Jintao, qui a fait observer
« en passant », avec le sourire
(narquois ?), quil faudra bien finir par envisager la
mise en place dun système financier mondial qui ne soit
pas fondé sur le dollar.
Cette « remarque » nous
rappelle à la réalité : la crise du
capitalisme des oligopoles est indissociable de celle de
lhégémonie des Etats Unis à bout de
souffle. Mais qui prendra la relève ? Certainement pas
« lEurope » qui nexiste pas en
dehors de latlantisme et ne nourrit aucune ambition
dindépendance. La Chine ? Cette
« menace », que les médias invoquent
à satiété, sans doute pour légitimer
lalignement atlantiste, est sans fondement. Les dirigeants
chinois savent que leur pays nen a pas les moyens et ils
nen ont pas la volonté. La stratégie de la Chine
se contente duvrer pour la promotion dune nouvelle
mondialisation sans hégémonie. (
) Elle a
amorcé la construction progressive et
maîtrisée de systèmes financiers
régionaux alternatifs, débarrassés du dollar. Des
initiatives qui complètent au plan économique la
promotion des alliances politiques du « groupe de
Shanghai », lobstacle majeur au bellicisme de
lOtan. Les chances dun développement dans ce sens
reposent intégralement sur les pays du Sud. (
)
Lassemblée de lOtan,
réunie dans la foulée [du G20] a entériné
la décision de Washington, non pas damorcer son
désengagement militaire, mais au contraire den accentuer
lampleur, toujours sous le prétexte fallacieux de la
lutte contre le « terrorisme ». Le
Président Obama emploie tout son talent pour tenter de sauver le
programme de Clinton puis de Bush de contrôle militaire de la
planète, seul moyen de prolonger les jours de
lhégémonie américaine menacée. Obama
a marqué des points et obtenu la capitulation sans condition de
la France de Sarkozy qui a réintégré le
commandement militaire de lOtan, ce qui demeurait difficile tant
que Washington parlait par la voix de Bush (
).
Vers une seconde vague de luttes victorieuses ?
De nouvelles avancées dans les luttes
démancipation des peuples sont elles possibles ?
La gestion politique de la domination mondiale du capital des
oligopoles est nécessairement dune violence
extrême. Car, pour conserver leurs positions de
sociétés opulentes, les pays de la triade
impérialiste sont désormais contraints de réserver
à leur bénéfice exclusif laccès aux
ressources naturelles de la planète. Cette exigence nouvelle est
à lorigine de la militarisation de la mondialisation que
jai qualifiée « dempire du
chaos » (2001) (
).
Parallèlement le pouvoir absolu des nouvelles
ploutocraties oligarchiques a vidé de son contenu la pratique de
la démocratie bourgeoise. Alors que la gestion des temps anciens
exigeait la négociation politique entre les différentes
composantes sociales du bloc hégémonique
nécessaire à la reproduction du pouvoir du capital, la
nouvelle gestion politique de la société du capitalisme
des oligopoles, mise en uvre par les moyens dune
dépolitisation systématique, fonde une culture politique
nouvelle « du consensus » (sur le
modèle des Etats Unis), qui substitue le consommateur et le
spectateur politique au citoyen actif, condition dune
démocratie authentique. Ce « virus
libéral » (2005) abolit louverture sur des
choix alternatifs possibles et lui substitue le consensus autour du
seul respect de la démocratie électorale
procédurale.
(
) La page de la première vague de
luttes pour lémancipation est tournée, celle de la
seconde vague nest pas encore ouverte. Dans la pénombre
qui les sépare se « dessinent des
monstres », comme lécrit Gramsci. Au Nord,
ces évolutions sont à lorigine de la perte de sens
de la pratique démocratique. Ce recul est masqué par les
prétentions du discours dit
« postmoderniste », pour qui nations et
classes auraient déjà évacué la
scène pour laisser la place à
« lindividu », devenu le sujet actif
de la transformation sociale. Au Sud, dautres illusions occupent
désormais le devant de la scène. Quil
sagisse de celles dun développement capitaliste
national autonome sinscrivant dans la mondialisation, (
)
ou des illusions passéistes (para-ethniques ou para-religieuses)
dans les pays laissés pour compte.
Plus grave est le fait que ces évolutions
confortent ladhésion générale à
« lidéologie de la
consommation », à lidée que le
progrès se mesure à la croissance quantitative de celle
ci. (
) La perspective dune rationalité humaniste
supérieure, fondement du projet socialiste, est alors perdue de
vue. Le potentiel gigantesque que lapplication de la science et
de la technologie offre à lhumanité
entière, qui devrait permettre lépanouissement
réel des individus et des sociétés, au Nord comme
au Sud, est gaspillé par sa soumission aux logiques de la
poursuite indéfinie de laccumulation du capital. Plus
grave encore, les progrès continus de la productivité
sociale du travail sont associés à un déploiement
vertigineux des mécanismes de la paupérisation (
).
Laliénation idéologique
produite par le capitalisme ne frappe pas seulement les
sociétés opulentes des centres impérialistes. Les
peuples des périphéries, il est vrai dans leurs
majorités largement privés de laccès
à des niveaux de consommation acceptables, aveuglés par
des aspirations à la consommation analogues à celle du
Nord, perdent la conscience que la logique du déploiement du
capitalisme historique rend impossible la généralisation
du modèle en question à la planète entière.
(
) Or, seule lintervention de forces porteuses
dune alternative positive permet dimaginer une sortie du
simple chaos produit par laiguisement des contradictions
internes du système (
). Et, dans létat
actuel des choses, les mouvements de protestation sociale, en
dépit de leur montée visible, demeurent dans
lensemble incapables de remettre en cause lordre social
associé au capitalisme des oligopoles, faute de projet politique
cohérent à la hauteur des défis.
De ce point de vue la situation actuelle est fort
différente de celle qui prévalait dans les années
1930, alors que saffrontaient des forces porteuses
doptions socialistes dune part et de partis fascistes
dautre part (
). Lapprofondissement de la crise ne
sera pas évité, même dans lhypothèse
du succès dune remise en selle du système de
domination du capital des oligopoles. [Et] la radicalisation possible
des luttes nest pas une hypothèse impossible (
).
Dans les pays de la triade, cette radicalisation impliquerait que soit
mise à lordre du jour lexpropriation des
oligopoles, ce qui paraît bien exclu pour lavenir visible.
Donc lhypothèse, quen dépit des turbulences
provoquées par la crise, la stabilité des
sociétés de la triade ne soit pas remise en cause
nest pas davantage à écarter. Le risque dun
« remake » de la vague des luttes
démancipation du siècle dernier, cest
à dire dune remise en cause du système
exclusivement à partir de certaines de ses
périphéries, est sérieux.
Un internationalisme à reconstruire
Une seconde étape de « léveil du
Sud » (2007) est à lordre du jour. Dans la
meilleure des hypothèses, [elle pourrait] contraindre
limpérialisme à reculer, à renoncer
à son projet démentiel et criminel de contrôle
militaire de la planète. Et le mouvement démocratique
dans les pays du centre pourrait contribuer au succès de cette
neutralisation. De surcroît, le recul de la rente
impérialiste dont bénéficient les
sociétés concernées, produit de la
réorganisation des équilibres internationaux en faveur du
Sud (en particulier de la Chine), pourrait parfaitement aider au
réveil dune conscience socialiste. Mais dun autre
côté, les sociétés du Sud resteraient
confrontées aux mêmes défis que par le
passé, produisant les mêmes limites à leurs
avancées.
Le capitalisme historique (
) nest
quune parenthèse brève dans lhistoire. Sa
remise en cause fondamentale est (
) la condition incontournable
de lémancipation des travailleurs et des peuples
dominés. Et les deux dimensions du défi sont
indissociables. Il ny aura pas de sortie du capitalisme par le
moyen de la seule lutte des peuples du Nord, ou par la seule lutte des
peuples dominés du Sud. Il ny aura de sortie du
capitalisme que lorsque et dans la mesure où ces
deux dimensions du même défi sarticuleront
lune avec lautre. Il nest pas
« certain » que cela arrive, auquel cas le
capitalisme sera « dépassé »
par la destruction de la civilisation (
). Le scénario
dun « remake » possible du 20e
siècle restera donc en deçà des exigences
dun engagement de lhumanité sur la longue route de
la transition au socialisme mondial.
Le désastre libéral impose un
renouveau de la critique radicale du capitalisme. Le défi est
celui auquel est confrontée la construction/reconstruction
permanente de linternationalisme des travailleurs et des peuples
face au cosmopolitisme du capital oligarchique. La construction de cet
internationalisme ne peut être envisagée que par le
succès davancées révolutionnaires nouvelles
(comme celles amorcées en Amérique latine et au
Népal) ouvrant la perspective dun dépassement du
capitalisme.
Dans les pays du Sud, le combat des Etats et des
nations pour une mondialisation négociée sans
hégémonies forme contemporaine de la
déconnexion , soutenu par lorganisation des
revendications des classes populaires, peut circonscrire et limiter les
pouvoirs des oligopoles de la triade impérialiste. Les forces
démocratiques des pays du Nord doivent soutenir ce combat. Le
discours « démocratique »
proposé et accepté par la majorité des gauches
telles quelles sont, les interventions
« humanitaires » conduites en son nom, comme
les pratiques misérables de
« laide » [les] écartent de ce
défi.
Dans les pays du Nord, les oligopoles sont
déjà visiblement des « biens
communs » dont la gestion ne peut être
confiée aux seuls intérêts particuliers (la crise
en a démontré les résultats catastrophiques). Une
gauche authentique doit avoir laudace den envisager la
nationalisation, étape première incontournable dans la
perspective de leur socialisation par lapprofondissement de la
pratique démocratique. La crise en cours permet de concevoir la
cristallisation possible dun front des forces sociales et
politiques rassemblant toutes les victimes du pouvoir exclusif des
oligarchies en place.
Il ny aura pas de socialisme sans
démocratie, mais également aucune avancée
démocratique hors de la perspective socialiste. Ces objectifs
stratégiques invitent à penser la construction de
« convergences dans la diversité »
(pour reprendre lexpression retenue par le Forum Mondial des
Alternatives) des formes dorganisation et de luttes des classes
dominées et exploitées. (
) Dans cette perspective
il me paraît nécessaire de penser le renouveau dun
marxisme créateur. Marx na jamais été aussi
utile pour comprendre et transformer le monde. (
) Le marxisme
créateur doit poursuivre lobjectif denrichir sans
hésitation cette pensée critique par excellence. Il ne
doit pas craindre dy intégrer tous les apports de la
réflexion, dans tous les domaines, y compris ceux qui ont
été considérés à tort comme
« étrangers » par les dogmatiques des
marxismes historiques du passé.
Samir Amin*
* Paru sur le site www.zmag.org/znet (juillet 2009), cet article
résume les thèses du dernier livre de
lauteur : La crise, sortir de la crise du capitalisme ou
sortir du capitalisme en crise, Paris, Le Temps des Cerises, 2009.
Coupures, titre et intertitres de notre rédaction.