Turquie/Kurdistan: liquidation ou « ouverture démocratique » ?

Turquie/Kurdistan: liquidation ou « ouverture démocratique » ?

Depuis le mois de juin 2009, l’actualité en Turquie est en
grande partie occupée par le projet du gouvernement du Parti de
la Justice et du Développement (AKP), nommé
successivement « ouverture kurde », puis
« ouverture démocratique » et enfin
« projet d’union nationale ». Dans un
Etat connu pour avoir mené l’épuration et
l’assimilation de ses minorités sur la base de politiques
racistes, la recherche d’une solution se fait de façon
paradoxale.

Le projet d’une « ouverture
démocratique » intervient dans le cadre de
l’intervention américaine en Irak. Le retrait prévu
des troupes US en 2011 et le projet de les remplacer essentiellement
par l’armée turque obligent le régime
d’Ankara à nouer de bons rapports avec les Kurdes irakiens
et à placer sous contrôle la question kurde dans son pays.
L’établissement de rapports politiques et
économiques avec le Kurdistan autonome n’a pas
d’impact positif sur la politique du régime à
l’égard des Kurdes de Turquie. L’encerclement de
l’Iran nécessite également une Turquie forte dans
la région, une Turquie qui contrôle ses minorités.

La question kurde et le PKK

La question kurde perdure depuis plusieurs siècles, après
plusieurs révoltes réprimées durant les 40
premières années du XXe siècle. La dernière
réaction significative des Kurdes a trouvé son expression
dans le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK), qui a pris le
socialisme scientifique comme référence de son action et
a pu organiser la jeunesse et la paysannerie kurdes pour lutter contre
les politiques assimilationnistes et répressives du
régime turc.

    Dans les années 1980, dans le contexte et
sous l’influence de la guerre froide, le PKK défendait la
fondation d’un État nation regroupant les quatre parties
du Kurdistan. Or dans les années 1990, il a changé de
position en prônant la solution de la question kurde dans le
cadre des frontières existantes, en exigeant la reconnaissance
des droits collectifs et démocratiques du peuple kurde. Le
programme politique du PKK, sa structure et ses cadres se sont
adaptés à ce changement. Bien que le PKK soit surtout
connu comme un mouvement de guérilla, l’essentiel de ses
activités, peu ou pas connues en Europe, se déroule
depuis une vingtaine d’années dans le cadre politique et
légal. A partir des années 90, malgré la
rigidité et l’étroitesse du cadre offert par les
lois du régime turc, le PKK a encouragé la fondation de
partis politiques, d’associations, la participation aux
syndicats, aux organisations de défense des droits humains, etc.
Après sa capture, son dirigeant A. Öcalan a
demandé, dans ce sens, à la guérilla de se retirer
des frontières de la Turquie pour se réfugier au nord de
l’Irak et en Iran. L’armée turque a profité
de cet appel pour intensifier ses opérations à la
frontière et plus de 500 guérilleros ont
été tués lors du retrait.

    Les cessez-le-feu déclarés par le PKK
sont perçus par le régime comme un aveu de faiblesse et
les opérations contre la guérilla et les organisations
sociales et politiques légales vont s’intensifiant.
L’intervention policière lancée au mois
d’avril 2009, paradoxalement avant le lancement du projet
« d’ouverture démocratique »,
l’interdiction du 5e parti kurde, le Parti démocratique du
Peuple (DTP), sont les dernières expressions marquantes de la
politique tendant à exclure les Kurdes du champ politique.

L’« ouverture démocratique » en actes

Le dernier cessez-le-feu déclaré le 13 avril 2009 par le
PKK précède le lancement du projet
d’« ouverture démocratique ».
Durant cette période marquée par la
« tentative » de trouver une solution
à la question kurde, l’armée turque a mené
plus de 270 opérations, quant au PKK il a riposté 7 fois.
Dans le cadre des opérations policières, plus de 1500
personnes ont été mises en garde à vue ; 750 
environ ont été arrêtées, parmi lesquelles
plus de 120 enfants âgés de 12 à 18 ans
(d’après une loi votée en 2005 par l’AKP, les
enfants peuvent être jugés et condamnés comme les
adultes en vertu de la Loi anti­terroriste). Parmi toutes ces
personnes arrêtées, il y a de nombreux municipaux
élus dans les régions kurdes, des cadres clés du
DTP, défendant une position proche des revendications du PKK qui
exige une solution juste et équitable à la question
kurde. Dans le cadre des élections municipales, la plupart des
personnes arrêtées avaient joué un rôle
important dans la campagne. L’arrestation de ces militants et
élus kurdes, l’interdiction du DTP, les opérations
contre les mouvements révolutionnaires proches des Kurdes,
l’accusation de terrorisme à l’égard des
syndicalistes, des défenseurs de droits humains montrent les
intentions réelles du régime turc : la liquidation
des structures politiques et associatives défendant les droits
du peuple kurde, l’encerclement des syndicats et mouvements
révolutionnaires.

    Dans ce contexte répressif, les heurts ont
repris dans les villes kurdes et dans certaines métropoles
turques, faisant plusieurs morts, les arrestations se multiplient.

    Cette politique d’oppression visant la
liquidation des Kurdes du champ politique ne peut aboutir sans une
intervention armée dans les bases de la guérilla. La
deuxième phase sera probablement une incursion terrestre
d’envergure de l’armée turque au nord de
l’Irak. Pourtant, cette politique de répression et
d’encerclement des organisations politiques kurdes est
répercutée dans la presse mondiale comme s’il y
avait un réel projet d’« ouverture
démocratique » du gouvernement de l’AKP.

    Qui dit problème dit protagonistes du
problème, or le projet du régime est
l’extermination du protagoniste principal et de tous ceux qui
peuvent lui être proches. Cette politique de négation,
d’exclusion et de destruction du protagoniste voue à
l’échec tout espoir d’une solution
démocratique juste et équitable à la question
kurde.


Veli Ay et Hiznî Girgimî

(intertitres de la rédaction)