Grèce

Grèce : La rupture est nécessaire

La pression des « institutions » sur la Grèce ne cesse de monter. A chaque recul de Syriza, ce sont de nouveaux coups; à chaque concession, de nouvelles exigences… Les faux « alliés » sur lesquels Syriza espérait miser pour contrer Schäuble n’hésitent pas à lui tourner le dos. Hollande, Lagarde, Junker font ainsi front commun avec le ministre allemand pour envoyer un message clair: pas de quartier!

Ils demandent que Syriza applique un programme d’austérité plus sévère que celui qui avait été imposé par le 2e mémorandum, appliqué par le gouvernement de droite. Et ils semblent avoir tous les outils pour y parvenir.

Ils veulent discréditer la gauche

Mais qu’est-ce qui a changé depuis juillet 2014 – lorsque la BCE avait ouvert beaucoup plus facilement le robinet des liquidités pour le gouvernement Samaras – et qui puisse justifier une férocité pareille de leur part? La dette n’a pas bougé, les excédents primaires sont là et les paiements ont été faits plus au moins régulièrement. En réalité, la seule chose qui ne soit plus la même, c’est que le gouvernement n’a plus les faveurs de la bourgeoisie, parce qu’il se réclame de la gauche.

Il s’agit de démontrer que la gauche ne dispose d’aucune solution politique, et que l’austérité et le néolibéralisme sont une voie obligée pour tous les peuples. Mais cela ne leur suffit pas. Ils veulent aussi indiquer que Syriza ne peut pas être un interlocuteur pour le « plan de sauvetage » en cours, et qu’il serait nécessaire de former un gouvernement ouvertement favorable à leur projet et à leur modèle. Bref, ils aimeraient fermer la parenthèse de gauche.

Face à cette offensive, Syriza semble avoir pris l’option de jouer la carte du bon élève. Sauf que, pour ce faire, il devrait abandonner son propre programme électoral, mais aussi les espoirs de millions de Grecs qui ont voté pour lui. Afin de justifier de tels choix, plusieurs motifs sont évoqués.

Des concessions pour quoi faire?

D’abord, il serait nécessaire de trouver des alliés, de chercher de bonnes connexions au sein des « institutions » (UE, BCE, FMI), mais aussi parmi les capitalistes grecs. Cette logique n’est pas seulement aveugle, parce qu’elle ne voit pas que depuis cinq mois, ces connexions n’ont jamais existé, mais surtout parce qu’elle ne comprend pas quels sont les véritables alliés du peuple grec. En Allemagne, ce sont les sa­la­rié·e·s qui mènent des luttes obligeant le Guardian à titrer: «Les grèves qui balayent l’Allemagne sont là pour durer». En Espagne, ce sont les mi­li­tant·e·s de base qui se trouvent aux commandes des grandes agglomérations. En Irlande, pays dominé par le catholicisme, c’est le monde du travail qui vote pour les droits des homosexuel·le·s.

Ainsi, il ne suffit pas de dire que les travailleurs et travailleuses européens n’ont pas une conscience de classe assez développée. En effet, le rôle des partis de la gauche n’est pas de mesurer les niveaux de conscience, mais de stimuler les luttes, de créer des liens entre les mouvements, et d’accentuer la crise du système pour faire émerger une résistance sociale au niveau international. Malheureusement, Syriza ne suit pas cette orientation-là.

Selon le gouvernement, la Grèce devrait profiter de son rôle de stabilisateur régional, voire le revitaliser. Ainsi, 500 millions sont dépensés aujourd’hui pour des avions de combat, des exercices navals sont arrangés avec Israël et les Etats-Unis, et une rencontre au sommet est organisée entre Tsipras et al-­Sissi, le dictateur égyptien, pour affirmer un nouvel « axe de stabilité » en Méditerranée. La décision de collaborer directement avec ceux qui viennent de bombarder Gaza, qui répriment la révolution en Egypte et emprisonnent notre camarade, l’avocate Mahienour el-Massry, est pourtant inacceptable.

Refusons de faire une séparation arbitraire entre politique et économie: notre confrontation avec les institutions européennes ne porte pas seulement sur la dette, mais aussi sur d’autres objets. Le gouvernement oublie en effet que les occupations des « Indigné·e·s » de Syntagma, qui ont propulsé Syriza au pouvoir, ont été inspirées par les révolutions arabes. Or, les choix politiques d’Athènes ont aussi des conséquences pratiques inacceptables: afin de jouer un rôle de « médiation » en Méditerranée orientale, la Grèce va devoir dépenser des milliards pour de nouveaux armements, et apprendre à jongler avec les foyers de tension politiques régionaux et avec les conflits interimpérialistes. Les travailleurs et travailleuses n’ont rien à gagner à de tels engagements. Au contraire, ils ont beaucoup à y perdre: des ressources financières avant tout, qui pourraient profiter aux hôpitaux, aux retraites et à aux assurances sociales.

Rompre avec l’euro et nationaliser les banques

Les illusions selon lesquelles il serait possible de rompre avec les aspects du capitalisme qui nous déplaisent, tout en gardant ceux avec lesquels on peut vivre, essayant d’améliorer progressivement la situation, ne peuvent pas être un guide pratique pour le mouvement grec. Le rôle de la gauche ne devrait-il pas être de les dissiper? C’est pourquoi présenter des options pragmatiques comme un programme qui permette de rejeter les diktats capitalistes est une fraude. Dans la période de crise que nous vivons, un tel programme devrait avoir comme but essentiel de faire avancer la conscience de classe par l’expérience, en faisant le lien entre la lutte pour nos besoins quotidiens et notre projet socialiste.

Rompre avec l’UE, sortir de l’euro et nationaliser les banques sous le contrôle des salarié·e·s, telles sont les seules solutions viables pour le peuple grec, mais aussi la base minimale d’un programme politique qui pose les bases nécessaires à l’émancipation de la classe ouvrière en Grèce.

Dimitris Daskalakis