L’histoire c’est nous…

L’histoire c’est nous…

Le 27 janvier dernier,
l’historien états-unien Howard Zinn est mort d’une
crise cardiaque. Ce militant libertaire, engagé pour les droits
civiques et contre la guerre, a toujours défendu une idée
fondamentale : ce sont les travailleur-euses, les
opprimé·e·s qui sont le seul moteur de
l’émancipation humaine. Quoi de plus naturel alors, que
les femmes y jouent un rôle essentiel. Ainsi, le spectacle
« The People Speak ! », inspiré
par deux de ses livres – Une histoire populaire des
Etats-Unis ; Voices of a People’s History of the United
States – montre magnifiquement la bataille menée pas les
femmes opprimées. Produit par Matt Damon et Howard Zinn, cette
mise en scène a soulevé un vif intérêt aux
Etats-Unis. Nous retranscrivons ci-après l’entretien que
l’auteur a donné dans ce cadre au journaliste Bill Moyers
pour son émission hebdomadaire phare « Bill Moyers
Journal ». Entrecoupée d’extraits du
spectacle « The People Speak ! »,
l’interview nous montre nombre de femmes en lutte…

Bill Moyers : Est-ce qu’Hollywood est le commencement pour vous d’une nouvelle carrière ?

Howard Zinn :
J’espère que non ! Mais je suis content.
C’est un moyen d’atteindre un public plus large pour
défendre l’idée fondamentale qu’il faut
parler des gens ordinaires, car ils sont partie prenante de
l’histoire. Ils font l’histoire en manifestant, en
s’organisant et en poussant les leaders du pays à des
changements pour lesquels ces derniers n’ont aucune inclination.

L’œuvre des travailleurs eux-mêmes

BM : A votre avis, ces personnages du passé que
l’on voit sur scène, qu’ont-ils à nous dire
aujourd’hui ?

HZ : Je pense que ce
qu’ils ont à nous dire est : pense par
toi-même ! ne crois pas ce que les gens qui sont au-dessus
de toi te disent ! vis ta propre vie ! pense tes propres
idées, et ne dépend pas de sauveurs ou de pères
fondateurs quels qu’ils soient (Andrew Jackson, Théodore
Roosevelt ou Barack Obama) pour faire ce qui doit être fait.
Parce qu’à chaque fois que le gouvernement a
apporté des améliorations, il y a été
poussé par les mouvements sociaux, par des gens ordinaires qui
se sont organisés. Lincoln a été porté par
le mouvement anti-esclavagiste, Andrew Johnson par les
Afro-américains du Sud, et peut-être, avec un peu de
chance, Obama aujourd’hui sera stimulé par toutes celles
et ceux qui ont eu tant d’espoirs en lui et qui veulent le voir
les réaliser. L’histoire traditionnelle suscite la
passivité, parce qu’elle laisse croire, en ne donnant
à voir que ceux d’en haut, qu’il suffit de se
référer aux sondages et de voter tous les quatre ans pour
que le travail soit fait. Or, nous voulons que la population comprenne
que les changements n’arrivent pas comme cela, qu’il faut
les provoquer. C’est pour cela qu’à mon avis, ces
discours peuvent les inspirer.

BM : L’une de mes scènes
préférées est celle où l’on rencontre
Genora Dollinger. Pouvez-vous nous en dire plus ?

HZ : Cette jeune femme
s’est engagée, dans les années 1930, lors de 
l’occupation de General Motors. Il s’agit là de
l’un des moments phares d’une période marquée
par des grèves et des occupations à
répétition qui galvanisaient les luttes dans tout le
pays. Les ouvrier·e·s refusaient de quitter les
usines ! Ce sont ces mouvements qui ont impulsé les
réformes du New Deal [nom donné à la politique
interventionniste du gouvernement de Franklin D. Roosevelt pour lutter
contre la grande crise des années 1930, NDT]. La figure de
Genora Dollinger incarne le rôle cardinal, et si souvent
négligé, des femmes dans des batailles qu’elles ont
contribué à créer.

BM : A quoi pensez-vous lorsque vous entendez ces mots ?

HZ : Lorsque ma fille a
vu cette scène et qu’elle a entendu Marisa Tomei crier
à la police « Lâches,
lâches », elle en a eu la chaire de poule. A chaque
fois que je vois cette scène, et je l’ai vue souvent, je
suis profondément ému, parce que cela me confirme dans
l’idée que si des gens ordinaires se rassemblent,
s’ils persistent, s’ils défient les
autorités, ils peuvent mettre en déroute la plus grande
compagnie du monde.

« Le miracle économique » américain et ses véritables héros

BM : La dernière fois que je me suis rendu à
la « National Portrait Gallery » à
Londres, j’ai été frappé par le fait que
tous les portraits qui s’y trouvaient ne représentaient
que des gens riches. C’est comme lorsque vous allez en Egypte
pour voir les pyramides et vous réalisez alors que seuls les
riches avaient le loisir de penser à leur héritage,
à ce qu’ils allaient laisser derrière eux. Or, nous
ne savons presque rien du peuple de l’ancienne Egypte.

HZ : Ça me fait
penser à cette histoire passionnante, qu’on me racontait
lorsque j’étais au collège, sur la première
ligne de chemin de fer transcontinental et sur la ruée vers
l’or. Jamais personne ne m’avait dit que ce chemin de fer
avait été construit par des ouvriers chinois et irlandais
qui travaillaient de longues heures au soleil et que nombre
d’entre eux étaient morts de maladie et
d’épuisement. Personne ne m’avait parlé de
ces travailleurs. Et c’est précisément ce que nous
essayons de faire dans ce spectacle, c’est ce que j’ai
cherché à faire dans Une histoire populaire des
Etats-Unis ; c’est-à-dire ramener sur le devant de
la scène celles et ceux qui ont effectivement été
à la base de ce qu’on a appelé « le
miracle économique » américain.

BM : Matt Damon est l’un des producteurs de ce
spectacle. J’ai cru comprendre que, lorsqu’il était
à l’école, il avait brandi sous le nez de son
professeur un exemplaire de votre livre et il lui avait dit :
« Qu’est-ce que cela veut dire ? Nous
célébrons aujourd’hui la découverte de
l’Amérique mais, selon Howard Zinn, deux ans après
que Colomb ait mis les pieds ici, 100 000 Indiens étaient
morts. Alors qu’est-ce que cela veut
dire ? » Cette histoire est-elle vraie?

HZ : Oui ; toutes
les histoires ne sont pas vraies, mais celle-ci l’est. Lorsque
Matt Damon avait dix ans, sa mère lui avait donné un
exemplaire de mon livre. Ils habitaient à côté de
chez nous dans les environs de Boston. Et Matt et son frère se
réveillaient certaines fois au milieu de la nuit et me voyaient
écrire. Ils étaient partie prenante de cette aventure
depuis le début.

BM : Aujourd’hui, les gens sont inspirés par
des célébrités de la télévision, des
acteur·trice·s, des athlètes, des politicien-nes
célèbres ; est-ce qu’à votre avis,
ils font ce que Genora Dollinger et d’autres avec elle ont fait
par le passé ?

HZ : Je pense
qu’il y a des personnes comme cela aujourd’hui, mais
qu’elles sont le plus souvent ignorés par les
médias. Elles apparaissent un jour dans les pages du Times ou du
Post et puis disparaissent. Pensons par exemple au sit-in
organisé récemment à Chicago devant une usine qui
devait être fermée par la Bank of America. Toutes celles
et ceux qui y ont participé ont refusé de quitter les
lieux. C’était une incarnation moderne de ce
qu’avaient été les occupations d’usine dans
les années 1930. Beaucoup combattent aujourd’hui contre
les expulsions, les fermetures d’établissement. Et
pourtant le discours superficiel définissant la
citoyenneté comme essentiellement passive tient le haut du
pavé. Or ce n’est pas vrai. De nombreuses personnes
à travers le pays sont véritablement conscientes de ce
qui est en train de se passer et agissent en fonction, mais les
médias ne couvrent pas bien ce genre d’information.
Résister à la tyrannie

BM : Est-ce que vous pouvez nous aider à mieux
comprendre le mot et la tradition du populisme
états-unien ? Qu’était en définitive
l’essence de ce populisme particulier ?

HZ : Aux Etats-Unis, le
terme populisme a été forgé à la toute fin
du 19e siècle, lorsque les grandes compagnies, les chemins de
fer et les banques dominaient le pays, et que les
paysan·ne·s étaient leurs principales victimes.
Ces derniers se sont rassemblés et se sont organisés au
Nord comme au Sud et ils ont formé le Mouvement Populiste, un
important mouvement social. Des artistes ont été
envoyés à travers le pays et des centaines de pamphlets
ont été publiés. C’était, je dirais,
un moment cardinal pour la démocratie américaine.  

BM : Mais aujourd’hui, si l’on peut parler de
populisme florissant, c’est plutôt à droite ;
je pense notamment à Sarah Palin ou au Tea Party [mouvement
ultra-conservateur états-unien qui a pris son envol après
l’élection de Barack Obama ; sa devise est
« moins de taxe et moins de
gouvernement » ; ses cibles sont
l’immigration et la « dictature rouge »
d’Obama NDT]. Un article paru récemment dans le Weekly
Standard a même comparé Sarah Palin à William
Jennings Bryan [avocat, populiste, né en 1860 et mort en 1925.
Pacifiste convaincu, il s’est battu notamment pour
l’impôt sur le revenu et le suffrage féminin, NDT],
parce qu’elle semble incarner la colère de millions de
personnes contre le gouvernement, et contre ce qu’ils
perçoivent comme une emprise sur leur manière de vivre.
Que pensez-vous de cette idée ?

HZ : Je pense tout
d’abord que William Jennings Bryan doit se retourner dans sa
tombe. Il était pacifiste ; elle ne l’est
pas ; elle est très militariste. Mais il est vrai
qu’elle représente une certaine colère. En fait,
lorsque les gens n’ont plus de repères, qu’ils se
sentent négligés, ils s’orientent vers tout ce qui
leur semble incarner ces sentiments ; certains vont se tourner
vers elle ; d’autres vont se diriger vers la droite
conservatrice. J’aurais tendance à dire que c’est
ainsi que le fascisme s’est développé, en jouant
sur les colères et les frustrations. Cependant, cette
colère, cette frustration, peut aussi conduire à
s’engager dans des mouvements populaires et progressistes, comme
le montrent la tradition populiste, le mouvement ouvrier des
années 1930, les rassemblements pour les droits civiques ou les
regroupements féministes qui ont amené, chacun à
leur manière, des changements dans ce pays.

Désobéir et changer de système

BM : A propos de mouvement féministe ; il y a
un autre moment remarquable dans votre film. Celui qui met en
scène Susan B. Anthony au procès qui lui est
intenté pour avoir tenté de voter alors qu’elle,
comme bien d’autres femmes, n’en avait pas le droit. (cf.
encart page précédente)

HZ : Christina Kirk est
une actrice merveilleuse ; elle redonne vie à Susan B.
Anthony. Ce que cela nous dit aujourd’hui, c’est
qu’il faut s’en tenir à nos principes, même
si, pour cela, il est nécessaire d’enfreindre la loi.
Henry David Thoreau [philosophe et essayiste états-unien,
né en 1817 et mort en 1862, qui a forgé la notion de
désobéissance civile NDT] et Martin Luther King Jr
n’ont rien fait d’autre que d’exhorter à la
désobéissance civile, une forme de lutte mise en pratique
dans le mouvement pour les droits civiques et contre la guerre du
Vietnam. Oui, on doit défier la loi, si on pense que l’on
est en train de faire une chose juste.

BM : Vous avez dit que si le président Obama avait
écouté Martin Luther King Jr, il aurait pris
d’autres décisions. Que vouliez-vous dire par
là ?

HZ : Et bien, avant
toute chose, il aurait retiré ses troupes d’Irak et
d’Afghanistan et il aurait dit : « Nous
n’allons plus jamais être un pays qui fait la
guerre ; nous allons utiliser nos immenses ressources pour le
bien commun », tout comme le soutenait Martin Luther King
Jr lors de sa campagne pour les pauvres, juste avant d’être
assassiné. Si Obama faisait attention aux personnes qui
travaillent dans ce pays, alors il ferait nettement plus que ce
qu’il est en train de faire.

BM : Je me rappelle, en fait chacun d’entre nous se
souvient, du discours que Martin Luther King Jr. a tenu à New
York en 1967, un an avant son assassinat. Il y défendait
notamment cette idée : « La vraie
compassion, c’est beaucoup plus que de jeter une pièce
à un mendiant. Il apparaît clairement qu’un
édifice qui produit des mendiants doit être
restructuré ». Voilà quelque chose de
fondamental : il s’agit de changer le système.

HZ : King formulait des
critiques radicales à notre système économique et
certainement plus que celles qu’Obama a jamais
énoncées, puisqu’elles ne peuvent se résumer
à donner des centaines de milliards de dollars aux banques et
quelques pièces à la population. Un changement
fondamental de notre système créerait une
véritable répartition des richesses, nous donnerait, je
pense, des soins médicaux gratuits, et non cette demi
réforme qui est aujourd’hui débattue au
Congrès.

BM : C’est l’une des raisons pour lesquelles
vous êtes vu comme un véritable danger par ceux d’en
haut, parce que votre message, comme celui de King, vise à un
changement radical de pouvoir.

HZ : Oui c’est un
vrai problème pour les gens qui sont au pouvoir. Ils veulent que
la population ne pense qu’à la possibilité de
réformes douces et graduelles, de petits changements, mais ils
ne veulent pas qu’elle puisse réellement envisager de
transformer ce pays en un pays de paix, où il n’y aurait
plus besoin d’avoir une superpuissance militaire. Ils ne le
veulent pas, parce que c’est nettement plus profitable à
certains intérêts dans ce pays de poursuivre la guerre,
d’avoir des bases militaires dans plus de cent pays, de
bénéficier de 600 milliards de dollars de budgets
militaire, ce qui fait beaucoup d’argents pour certaines
personnes mais laisse de côté tout le reste de la
population.

Non à la guerre !

HZ : Pour illustrer cela
on peut reprendre le discours d’un travailleur de l’IWW qui
explique pourquoi il refuse de soutenir la Première guerre
mondiale (cf. encart ci-contre). De fait il est en train de parler aux
pauvres de toutes les guerres. « Cette guerre est une
affaire de gros sous » dit-il et toutes les guerres sont
des affaires de gros sous. Les gens ordinaires que Viggo Mortensen
incarne ici n’ont rien à y gagner.

BM : Alors comment expliquez-vous l’absence de
manifestation d’opposition dans les rues aujourd’hui, la
passivité, alors que l’administration Obama a
doublé le nombre de troupes en Afghanistan par rapport à
celle de Georges W. Bush ? Comment expliquer
l’apathie ?

HZ : Je ne pense pas
qu’il s’agisse d’apathie ; la grande
majorité de la population ne veut pas de notre présence
en Afghanistan, mais, il est vrai, personne ne fait rien contre cela.
On ne voit pas de manifestation dans les rues. La responsabilité
en incombe notamment aux plus importants médias
(télévision et presse confondue) qui ne jouent pas le
rôle d’informer les gens sur ce qui est effectivement en
train de se passer.

BM : Oui mais un sondage a montré ce week-end que la
quasi majorité de la population soutient l’envoi de
troupes supplémentaires en Afghanistan. Comment analysez-vous
cela ?

HZ : Vous devez garder
à l’esprit qu’il n’est pas simple de
s’opposer, en particulier au moment où les troupes ont
déjà été envoyées, alors que la
décision a été prise. Il n’est pas
aisé de contester ce que le président et les
médias disent à propos de cela, ce pour quoi les deux
partis politiques gouvernementaux travaillent. Et donc le fait
qu’une faible majorité de citoyen·ne·s
soutienne l’envoi de troupes en Afghanistan me laisse entendre
que beaucoup plus de gens y sont opposés. J’ai une foi
radicale dans l’honnêteté de fond et la sagesse de
la population, une fois qu’elle a dépassé les
mensonges qu’on lui sert. On le voit historiquement, les gens
apprennent.

Opprimés de tous les pays unissez-vous !

BM : J’ai
été frappé, dans votre spectacle, par le
discours  prônant l’organisation des ouvriers
agricoles tenus par le leader César Chávez [syndicaliste
mexicain né en 1927 et mort en 1993 ; il a
créé en 1962 l’Association Nationale des Ouvriers
Agricoles (NFWA : National Farm Workers Association) qui est
devenue, quelques années plus tard, l’Organisation
unitaire des travailleurs de la terre (UFWOC : United Farm
Workers Organizing Committee). Militant infatigable, il prônait
la lutte non-violente et la désobéissance civile. NDT].

HZ : Un bien grand poète que ce César Chávez.

BM : Croyez-vous que ce jour tant attendu par César
Chávez va venir ? (cf. encart précédent)

HZ : Oui je le
pense ; je ne peux pas vous donner la date… Mais
j’ai confiance dans le futur. Vous savez pourquoi ? En
fait, les ouvrier·e·s agricoles étaient alors dans
une situation aussi désespérée que le mouvement
ouvrier aujourd’hui. Mais comme César Chávez
l’a dit, nous avons appris que nous devions nous organiser et que
cela prend du temps et réclame de la patience et de la
persévérance. N’avez-vous jamais pensé au
nombre d’années que les noirs américains ont
dû attendre ?

BM : Cent ans après la fin de la guerre civile …

HZ : Je ne pense pas que nous attendrons aussi longtemps

BM : Le populisme est-il vraiment dans les mains des
gens ? est-il vraiment une solution de gauche ou de
droite ? Ne fonctionne-t-il pas plus du haut vers le bas que du
bas vers le haut ?

HZ : La
démocratie ne vient pas du haut, elle vient du bas. La
démocratie, ce n’est pas ce que fait le gouvernement,
c’est ce que les gens font. Trop souvent, au collège, on
nous enseigne que la démocratie est représentée
par trois branches inscrites sur du papier jauni. Mais ce n’est
pas ça.

BM : J’aimerai terminer cet excursus dans votre
spectacle par une femme, née esclave et largement
analphabète, qui a démontré le pouvoir que pouvait
avoir une seule voix pour la démocratie. Sojourner Truth a pris
fait et cause  pour les droits de toutes celles et ceux qui
n’en avaient pas. Elle a été une diseuse
inoubliable de vérité. Pourquoi avoir introduit cette voix dans le spectacle ?

HZ : Je l’ai
inclus parce qu’elle donne tant de forces. Cette femme est une
esclave, opprimée de tous côtés, mais elle
s’insurge ! Elle symbolise toutes celles et ceux qui ont
été méprisés ; elle incarne toutes
les voix rebelles qui, jusqu’à aujourd’hui, irritent
et exaspèrent les pouvoirs en place. 

* Transcription, traduction, titre et intertitres de
Stéfanie Prezioso, d’après le document vidéo
disponible sur http ://video.pbs.org/video/1356508776/ et
réalisé le 12 novembre 2009. Le DVD du spectacle The
People Speak ! peut être commandé directement sur
le site http://www.howardzinn.org/


Genora Johnson Dollinger

(interprétée par Marisa Tomei)
« Les travailleurs ont renversé les voitures de
police pour construire leurs barricades. Ils sont allés
récupérer les lances à incendie que la police
utilisait contre eux. Les hommes voulaient que je
dégage ; vous savez la vieille histoire de
protéger la femme et l’enfant. Et je leur ai dit :
« Laissez-moi tranquille ! » Et puis,
une idée m’est venue. J’ai pensé : je
n’ai jamais utilisé de mégaphone pour
m’adresser à une foule, mais je dois leur dire qu’il
y a des femmes ici. Et je leur ai crié
« Lâches, lâches ; vous qui tirez dans
le ventre d’hommes désarmés et sur des mères
d’enfants ». Et puis tout est devenu
silencieux ; et j’ai pensé : les femmes
peuvent mettre un terme à cela. Alors j’ai fait appel aux
femmes dans la foule. « Traversez les lignes de police,
venez ici et tenez-vous aux côtés de vos maris, de vos
frères, de vos oncles et de vos amoureux ».
J’ai pu voir un instant une femme luttant pour traverser les
lignes, retenue par un flic par un pan de son manteau. Elle se
dégageait et commençait à marcher où la
bataille faisait rage. Dès que cela s’est produit,
d’autres femmes et d’autres hommes ont suivi.
C’était la fin de la bataille. Et dès que les
spectateur·trice·s nous ont rejoint et que la police
s’est retirée, un grand cri de victoire a
retenti. »

Procès de Susan B. Anthony

Le juge Ward Hunt (interprété par Josh Brolin) :
La sentence de la cour vous condamne à payer une amende de 1000
dollars et le coût du procès.
Susan B. Anthony (interprétée par Christina
Kirk) : Votre honneur, je ne paierai jamais un dollar pour cette
sanction injuste. Tout ce que je possède est une dette de
10 000 dollars que j’ai contractée pour pouvoir
publier mon journal « The Revolution », qui
n’avait d’autre objectif que d’éduquer les
femmes à faire ce que j’ai fait : se rebeller
contre les hommes et leurs lois injustes et anticonstitutionnelles qui
taxent, emprisonnent et pendent les femmes, alors qu’aucune
d’entre elles n’a le droit de se faire représenter
au gouvernement. Je vais travailler avec vigueur à payer chaque
dollar de cette dette honnête, mais je ne donnerai pas un penny
pour votre injuste créance. Parce que je dois continuer à
exhorter toutes les femmes, avec force et sincérité,
à mettre en pratique cette vieille maxime
révolutionnaire : « Résister à
la tyrannie, c’est obéir à
Dieu ». 

Un militant des Industrial Workers of the World (IWW)

(interprété par Viggo Mortensen)
« Quand vous êtes un clochard sans même une
couverture ; quand vous avez dû quitter femmes et enfants
pour aller chercher du travail dans l’Ouest, et que vous ne savez
plus depuis, où ils se trouvent ; quand vous n’avez
jamais pu conserver un travail assez longtemps pour obtenir le droit de
vote ; quand vous êtes obligés de dormir dans un
dortoir crasseux et sombre et que vous devez vous satisfaire de la
nourriture pourrie qu’on peut vous y donner ; quand les
policiers trouent vos gamelles en tirant dessus et renversent votre
brouet par terre ; quand votre salaire est amputé chaque
fois que le patron estime qu’il doit le faire ; quand il y
a une loi pour les riches et une autre pour les pauvres ; quand
tous ceux qui représentent la loi, l’ordre et la nation
vous oppriment en permanence et vous envoient en prison sous les
applaudissements et les encouragements de tous les bons
chrétiens ; comment pouvez-vous espérer que
l’on soit patriote ? Cette guerre est une affaire de gros
sous et nous ne voyons pas pourquoi nous devrions y aller et nous faire
tuer pour défendre la merveilleuse situation dont nous jouissons
de nos jours. » (Une histoire populaire, Marseille, Agone,
2002, p. 423) 7

César Chávez

(interprété par Martin Espada)
« Je ne suis pas vraiment différent de toutes
celles et ceux qui ont essayé d’accomplir quelque chose
dans leur vie. Mes motivations découlent de ce que mon
père et ma mère ont traversé alors que
j’étais enfant et de ce que nous avons vécu en tant
qu’ouvrier·e·s agricoles en Californie. Elles se
sont construites à partir de la colère et de la rage,
émotions que j’ai éprouvées pour la
première fois il y a 40 ans, alors qu’on interdisait aux
gens de ma couleur d’entrer dans les cinémas et les
restaurants de plusieurs régions de Californie. Elles se sont
nourries de la frustration et de l’humiliation que j’ai
ressenties en tant qu’enfant, un enfant qui ne pouvait comprendre
pourquoi des producteur·trice·s abusaient des
ouvrier·e·s agricoles et les exploitaient alors que nous
étions si nombreux et qu’ils étaient si peu.
J’ai commencé à réaliser ce que
d’autres minorités avaient découvert : la
seule réponse, le seul espoir, c’était de
s’organiser, comme tous les autres groupes
d’immigré·e·s. Le jour viendra où
nous aurons les rétributions économiques et politiques
qui correspondent à notre nombre dans la société.
Le jour viendra où les politicien-nes feront la chose juste pour
notre peuple par nécessité politique et non par
charité ou idéalisme. Ce jour ne viendra peut-être
pas cette année, ce jour ne viendra peut-être pas dans les
dix années à venir, mais ce jour viendra. 

Sojourner Truth

(incarnée par Kerry Washington)
« Cet homme là-bas dit que les femmes ont besoin
qu’on les aide à monter dans leurs attelages, qu’on
leur évite de marcher dans les saletés et qu’elles
aient partout les meilleures places. Moi, personne ne m’aide
jamais à monter dans un attelage, ni n’essaie de
m’éviter de marcher dans la boue, ni ne me donne la
meilleure place. Pourtant, ne suis-je pas une femme ? Regardez
mon bras ! J’ai labouré, planté et
engrangé et aucun homme ne me surpasse en cela !
Pourtant, ne suis-je pas une femme ? Je peux travailler et
manger autant qu’un homme, quand c’est possible, et porter
le fouet aussi bien que lui. Pourtant, ne suis-je pas une
femme ? J’ai eu treize enfants dont la plupart ont
été vendus comme esclaves, et lorsque je
m’effondrais en larmes en pensant à eux, personne,
excepté Jésus, ne m’entendait ! Pourtant, ne
suis-je pas une femme ? Cet homme là-bas a dit que les
femmes ne pouvaient avoir les mêmes droits que les hommes parce
que Jésus n’était pas une femme, mais
d’où vient votre Jésus ? D’où
vient votre Jésus ? Il vient de Dieu et d’une
femme, les hommes n’ont rien à voir là-dedans. Si
la première femme que Dieu ait faite était assez forte
pour renverser toute seule le monde, les femmes réunies ici ne
seraient-elles pas capables de le remettre à sa place ?
Et si elles demandent à le faire, les hommes ont meilleur temps
de les laisser faire » (une partie de ce discours est reproduit
dans Une histoire populaire des Etats-Unis, pp. 146-147)