Equateur: un vrai coup d’État avorté

Equateur: un vrai coup d’État avorté



Que s’est-il passé il y a
quelques jours en Equateur ? Une tentative de coup d’Etat.
Non pas une « crise institutionnelle », mais
une révolte ouverte d’une branche de la police nationale
(une petite armée de 40 000 hommes) contre le commandant
en chef des forces armées du pays, qui n’est autre que son
président élu.

Ce n’a pas été non plus « un acte
d’indiscipline de la police », comme l’a
affirmé le sous-secrétaire d’Etat aux affaires
interaméricaines. Ferait-il le même diagnostic si
l’équivalent américain de la police nationale
équatorienne avait conspué et agressé physiquement
Barak Obama, le blessant et le retenant prisonnier pendant douze heures
dans un hôpital de la police, jusqu’à ce qu’un
commando spécial de l’Armée de terre vienne le
libérer, après d’intenses échanges de
tirs ? Probablement non. Mais, puisqu’il s’agit
d’un président latino-américain, ce n’est
qu’une faribole.

Une conspiration

Le vendredi 1er octobre, au cours de la matinée, le
président Rafael Correa a pourtant caractérisé ces
événements de conspiration, « parce que
d’autres acteurs ont apporté leur soutien au coup
d’État en marche, même s’il n’a pas
été efficace ». N’est-ce pas
l’Armée de l’air qui a paralysé
l’aéroport international de Quito et le petit
aérodrome utilisé pour les vols
intérieurs ? Des groupes politiques ne sont-ils pas
venus appuyer les putschistes dans les rues et sur les places
publiques ? L’avocat de l’ancien président
Lucio Gutiérrez n’était-il pas lui-même
présent, essayant de pénétrer de force dans les
locaux de la télévision nationale
équatorienne ? N’est-ce pas Jaime Nebot, maire de
Guayaquil et adversaire déclaré de Rafael Correa, qui a
parlé d’un conflit entre le caractère autoritaire
et despotique de Correa et un secteur de la police, qui a certes
employé des méthodes inadaptées, mais dont les
revendications étaient justifiées ?

    Ce coup d’Etat a bien été
conduit par un ensemble d’acteurs sociaux et de politiciens au
service de l’oligarchie locale et de l’impérialisme,
qui ne pardonnera jamais à Correa d’avoir
décidé l’évacuation de la base
états-unienne de Manta, un audit de la dette extérieure
et l’adhésion à l’ALBA (Alliance bolivarienne
des peuples de Notre Amérique). De plus, depuis plusieurs
années, la police équatorienne, comme d’autres de
la région, a été éduquée et
formée par son homologue états-unienne. Pour cela, il
apparaît donc indispensable de mettre sans tarder un terme
à la « coopération » entre les
forces de sécurité de la plupart des pays
d’Amérique latine et celles des Etats-Unis.

Pourquoi l’opération a-t-elle échoué ?

Essentiellement pour trois raisons : premièrement, la
mobilisation rapide et efficace de larges secteurs de la population
équatorienne qui, en dépit du danger, ont occupé
les rues et les places pour exprimer leur soutien au président
Correa. Seule la présence active, militante, de la rue a pu
contrarier les plans des « golpistes ».

    Deuxièmement, la conspiration a pu être
arrêtée, car la mobilisation populaire a été
doublée d’une solidarité internationale forte et
rapide, dès les premières nouvelles du coup d’Etat.
Elle s’est traduite par la convocation d’une réunion
extraordinaire de l’UNASUR (Union des nations
sud-américaines) à Buenos Aires. Avec le soutien de
certains gouvernements européens, elle a montré
qu’un coup d’Etat, s’il réussissait,
conduirait à l’ostracisme et à l’isolement
politique, économique et international du pays. La crise a ainsi
été résolue, comme en Bolivie en 2008, sans
l’intervention d’intérêts extérieurs
à l’Amérique du Sud.

    Troisième facteur : le courage dont a
fait preuve le président Correa, qui ne s’est pas
laissé intimider et a résisté fermement au
harcèlement et à la séquestration, alors
qu’il était plus qu’évident que sa vie
était en danger et que, jusqu’à la dernière
minute, quand il a quitté l’hôpital, sa voiture a
essuyé des tirs dans l’intention de l’assassiner. Si
Correa avait fléchi ou laissé penser qu’il
était prêt à se soumettre aux desiderata des
policiers insurgés, le résultat aurait été
tout autre.

    La combinaison des ces trois facteurs a fini par
produire l’isolement des factieux et leur affaiblissement,
facilitant l’opération de
« sauvetage » menée à bien par
l’armée équatorienne.

Ce coup d’Etat peut-il se reproduire ?

Oui, parce qu’il a des racines profondes dans les
sociétés latino-américaines et dans la politique
extérieure des Etats-Unis dans cette partie du monde.

    En observant l’histoire récente de nos
pays, on voit que des tentatives de coup d’Etat ont eu lieu au
Venezuela (2002), en Bolivie (2008), au Honduras (2009) et en
Équateur (2010), soit dans quatre pays membres de l’ALBA,
où se déroulent d’importantes transformations
économiques et sociales.

    Parmi les quatre tentatives de coup d’Etat
depuis 2002, trois ont échoué et une seule, contre Manuel
Zelaya au Honduras, a été couronnée de
succès. De manière significative, ce forfait a
été perpétré au milieu de la nuit, ce qui a
empêché que la nouvelle ne soit connue avant le lendemain
matin et que le peuple ait le temps de se rassembler dans les rues.
Quand il l’a fait, il était trop tard : Zelaya
avait déjà été exfiltré. En outre,
dans ce cas, la réponse internationale a été lente
et tiède.

    Mais il ne faut pas se faire
d’illusions : l’oligarchie et
l’impérialisme, peut-être par d’autres moyens,
tenteront à nouveau de renverser des gouvernements qui ne se
soumettent pas à leurs intérêts. 

Atilio Boron
Professeur, responsable du Programme latino-américain
d’éducation à distance en sciences sociales
(Argentine). Traduction et adaptation de notre rédaction
à partir du site http://alainet.org.