Battu·e·s, mais pas défait·e·s

Battu·e·s, mais pas défait·e·s

C’est peu dire que le résultat de la votation
fédérale du 26 novembre sur l’initiative de
l’UDC « pour le renvoi des criminels
étrangers » était attendu. Nombreux
étaient même ceux et celles qui, dans les rangs
antiracistes et antixénophobes, prévoyaient le
pire : un carton au-delà des deux tiers des suffrages.

    Cela ne fut pas le cas, et c’est tant mieux.
Surtout, par leur rejet — marqué dans les cantons de Vaud
et du Jura (58,2 % et 57,3 %), net dans ceux de
Neuchâtel et de Genève (56 % et 55,7 %) et
plus hésitant dans celui de Fribourg (51,4 %) — les
cantons romands, à l’exception de la terre
d’élection d’Oskar F., ont fait obstacle au triomphe
du parti de l’ultradroite. On aurait tort d’y voir un
creusement encore plus profond du
« Röstigraben », puisque les grandes
villes alémaniques ont, elles aussi, fait un sort au texte de
l’UDC, avec même des scores sans appel pour les aboyeurs
blochériens : 70 % de non à Berne,
65 % de non à Zurich, 58 % à Bâle;
des chefs-lieux réputés moins progressistes, comme
Lucerne (57,1 %), Aarau (56,7 %) et Saint-Gall
(56 %) se rangent également dans le camp du rejet. Si
fossé il y a, c’est bien plus entre les centres urbains et
les arrières-pays, renouvelant ainsi le clivage
déjà apparu lors du vote de l’initiative sur les
minarets. Le fait que l’initiative fasse ses meilleurs
résultats dans des régions où la
criminalité attribuée aux étrangers n’est
qu’un épiphénomène montre bien le
caractère proprement idéologique du vote. Un aspect que
ne nie pas le vice-président de l’UDC, Yvan Perrin, en
expliquant : « nous sommes bien le parti
crédible sur les étrangers » (Le Temps,
29.11.2010). Nota bene : sur les étrangers, pas sur la
criminalité. Cette réalité apporte aussi un
démenti à ceux qui, comme Fulvio Pelli, président
d’un Parti libéral-radical qui court après un
électorat perdu, estiment que « l’UDC est
spécialiste pour poser les bonnes questions de manière
simple. Elle est moins bonne quand il s’agit d’apporter les
bonnes réponses ». Cette posture des partisans du
contre-projet ne tient pas la route à la lecture des
résultats du vote. La question n’était tout
simplement pas « bonne », au sens où
elle aurait mis le doigt sur un problème réel; en le
faisant croire, la droite traditionnelle n’a fait que conforter
l’idéologie xénophobe de l’UDC. C’est
cet aspect que nient les réalistes à la petite semaine,
comme Pierre Veya, éditorialiste contorsionniste du Temps, qui
arrive à affirmer dans la même phrase que le contre-projet
devait nous protéger de l’arbitraire, mais qu’il
était considéré par beaucoup comme une mauvaise
copie de l’initiative et qu’il a finalement
été torpillé par l’absolutisme rose-vert.

    Simonetta Sommaruga, en bonne
sociale-libérale, s’est empressée de
déclarer qu’elle irait vite dans
l’élaboration d’une loi d’application. Tout en
fustigeant le « silence de
l’économie » sur cette question,
c’est-à-dire en regrettant son manque de soutien,
financier surtout, au contre-projet. Même gémissement de
l’éditorialiste de 24 Heures, Thierry Meyer, qui juge
qu’un « désintérêt
prononcé de l’économie aurait de lourdes
conséquences pour l’avenir du pays ». A
croire qu’il ne lit pas vraiment le journal dont il est pourtant
le rédacteur en chef. Quelques pages plus loin, Christophe
Reymond, directeur du Centre patronal, rejette toute mesure
légale d’intégration au profit d’un
assimilationnisme sans fard et d’un refus de tout droit de vote
en dehors de la naturalisation. En plein accord avec les politiques de
division, de répression et d’écrémage
hypersélectif de l’UDC.

    Pas fou, sachant tout le profit qu’il peut
tirer — au sens très matériel de l’expression
— de salarié·e·s mis au pas par le discours
autoritaire et répressif de l’UDC, le patronat suisse a
préféré réserver ses moyens et sa
combativité à l’initiative fiscale du Part
socialiste qui n’a obtenu qu’un accessit honorable
(41,52 % de oui). A cette occasion, promettant un enfer fiscal
à tous les contribuables, il a démontré être
aussi menteur que le parti d’Oskar F. En Suisse
alémanique, la virulence du débat a même
amené Alfred Schindler, le patron de la fabrique
d’ascenseurs du même nom, à menacer ouvertement de
délocaliser au cas où l’initiative passerait. Nul
doute que l’UDC fustigera comme il se doit ce
« traître à la patrie »…

    Que ce soit en matière de justice fiscale ou
encore de lutte contre la xénophobie, l’échec de ce
dimanche 28 novembre ne peut que nous inciter à redoubler
d’ardeur dans un combat le plus large et le plus
décidé possible. Battu·e·s, certes, mais
pas défait·e·s !


Daniel Süri