Apartheid anti-immigrés aux Etats-Unis

Apartheid anti-immigrés aux Etats-Unis: Faudra-t-il lutter pour abolir l'esclavage une seconde fois?

Les vents d’une colère digne, voire d’un espoir sans crainte, soufflent depuis le cœur des Etats-Unis. Ils partent des peuples immigrés, principalement de ceux du Mexique et du reste de l’Amérique latine – « la moisson de l’Empire » – dont le travail est à ce point essentiel à l’économie des Etats-Unis. James D. Cockcroft envisage ici la répression qu’ils subissent, les luttes qu’ils ont mené au cours de ces dernières années, et la solidarité qu’elles ont suscitée au sein du mouvement ouvrier nord-américain. Des similitudes et des différences à méditer avec la situation actuelle en Europe.

Par James D. Cockcroft

Cahier émacipationS du journal solidaritéS numéro 190. Version pdf (4 pages, 550 ko) à télécharger en cliquant sur le lien suivant: cahiers émancipationS

Tandis que l’ALENA et les autres accords de libre-échange continuent de chasser les travailleurs du Sud, en raison de l’effondrement de l’agriculture et de l’industrie locales sous le choc de l’importation en franchise de taxes de marchandises du Nord, produites en masse, les immigrants latino-américains aux Etats-Unis, femmes et hommes, offrent leur travail sous-payé au capitalisme US, contribuant à alimenter le budget toujours plus maigre de son système de sécurité sociale de leurs impôts et prélèvements sur salaires.

    Comme l’un d’eux l’a écrit peu avant la grande marche du 1er mai 2006 : « Nous contribuons à hauteur de 25 milliards de dollars à la sécurité sociale et produisons quelque 2000 milliards de dollars de richesses pour l’économie US. Sans l’argent généré par ce géant formé de 12 millions de travailleurs taxés d’illégaux, auxquels il faut ajouter 36 millions d’Hispano-Américains légaux, trois secteurs importants de cette économie seraient ruinés : les services, la construction et l’industrie […]. Les mobilisations massives des immigrés contre les politiques actuelles de l’immigration […] ne constituent qu’un avertissement du fait que le géant endormi s’est réveillé. » (1)

Crise économique et montée du racisme

Avec l’adoption par le Sénat d’Arizona de la loi (Senate Bill, SB) 1070?(2), en avril 2010, suivie de propositions d’interdire les programmes d’« ethnic studies » et l’éducation donnée par des enseignant·e·s dotés d’un fort accent étranger dans les écoles publiques de l’Etat, ce n’est pas la première fois que la peur est exploitée pour persécuter les immigré·e·s et diviser les classes travailleuse et intermédiaire. Historiquement, il en a toujours été ainsi. Chaque fois qu’une récession économique frappe les Etats-Unis, les capitalistes et leurs moyens de communication de masse essaient de blâmer les immigré·e·s pour le chômage, faisant d’eux le bouc émissaire : ils « prendraient leur travail aux Américains », alors qu’ils·elles ne « prennent » en réalité que peu d’emplois, puisqu’ils·elles sont en passe de perdre le leur ou de se voir emprisonnés et expulsés par centaines de milliers.

    Chaque récession économique génère une menace d’extrême droite (« browm scare »). De surcroît, les politicien·ne·s US sont maintenant habitués à utiliser ces vagues de repli identitaire pour gagner des voix en lançant des avertissements contre « une invasion d’étrangers illégaux ». Sous le prétexte de combattre le trafic de drogues et le « terrorisme », mais aussi de contenir l’afflux d’immigré·e·s clandestins, le gouvernement militarise la frontière, comme le Président Obama continue à le faire en déployant 1200 membres de la Garde Nationale sur la frontière du Sud-Ouest à la mi-2010.

    La loi (SB) 1070 viole la constitution US, le Traité de Guadalupe Hidalgo (US-Mexique 1848), ainsi que la Déclaration universelle des droits humains et la Déclaration des droits des peuples indigènes de l’ONU. Elle divise la société US. Cette loi a été dénoncée par de nombreux conseils municipaux, de San Francisco à Boston, par d’innombrables autorités de police et autres organisations, par une série de politiciens, d’équipes de sport, etc. Mais en même temps, elle a été plebiscitée par d’autres membres des mêmes groupes. Les sondages d’opinion indiquent une faible majorité en faveur de la loi (SB) 1070, mais aussi en faveur de la possibilité de légaliser les « clandestins ». Les mêmes sondages suggèrent que les sentiments anti-immigrés sont les plus forts parmi les salariés masculins blancs affectés par la récession économique et parmi les chômeurs·euses.

    La loi (SB) 1070 rappelle d’autres tentatives faites par des politiciens d’exploiter la problématique de l’immigration comme tremplin électoral. Cela a été le cas en 1994, du gouverneur de Californie, Peter Wilson, réélu en faisant campagne pour la « Proposition 187 », une loi proposée par voie de référendum visant à interdire la scolarisation des enfants d’immigrés sans statut légal. « Prop 187 » a recueilli une écrasante majorité des voix. Même si elle a été déclarée par la suite inconstitutionnelle, comme bien d’autres lois locales dans d’autres parties du pays, les effets de cette propagande sont restés gravés dans la conscience collective ; la perception de l’immigré·e comme un envahisseur hostile a perduré. En 2006, la Chambre des représentants a approuvé la loi Sensenbrenner (HR4437) qui criminalisait non seulement les immigré·e·s sans statut légal, mais quiconque leur offrait un soutien moral ou matériel – médecins, ecclésiastiques, travailleurs sociaux, défenseurs des droits humains, etc. Un mouvement social massif, militant et vigoureux d’immigré·e·s et de leurs alliés au plan national, a finalement battu la loi HR4437 au Sénat.

    Malheureusement, dans tous les débats sur l’immigration, les termes « illégaux » et « sans papiers » sont utilisés pour qualifier des êtres humains d’une façon péjorative, plutôt que de les considérer comme des personnes comme les autres, qui ont le droit d’avoir des droits. La vérité, c’est qu’aujourd’hui comme hier, aux Etats-Unis, les immigrés, femmes et hommes, sont utilisés d’abord comme « force de travail bon marché », et qu’à ce titre, ils ont un impact négatif sur le niveau général des salaires. C’est la raison pour laquelle les capitalistes et d’autres employeurs veulent les faire venir et les exploiter de toutes les façons possibles, légalement ou illégalement, parfois humainement, souvent cruellement.

Bill Clinton et la criminalisation de l’immigration

En 1996, le président Bill Clinton a signé la Réforme de l’immigration illégale et la Loi sur la responsabilité de l’immigré (IIRIRA). Cette loi draconienne prive les immigré·e·s de nombreuses possibilités d’appel devant la juridiction fédérale, abandonnant les décisions d’expulsion à la discrétion de l’Immigration and Naturalization Service (INS) et des agents de Patrouille Frontière. Elle a effectivement mis fin aux procédures régulières en exemptant de nouveaux domaines de l’action gouvernementale de tout contrôle judiciaire, en particulier les « ordres définitifs de renvoi/expulsion », dont les décisions sont désormais sans appel. Il s’agit d’une violation des traités internationaux régissant les droits humains et les réfugié·e·s politiques. Cette loi prévoit que les étranger·e·s restés aux Etats-Unis sans autorisation, de 180 jours à un an ou plus, doivent être punis par des périodes d’attente de 3 à 10 ans. De plus, elle prive les immigré·e·s en situation régulière de presque toutes les prestations de la sécurité sociale pendant cinq ans, et exclut définitivement les familles d’immigrés sans statut légal de tous les programmes sociaux, en dépit des taxes qu’elles ont versées en leur faveur.

    Cette loi a transformé des « infractions » en « crimes », conduisant ainsi à la constitution de « fichiers criminels », dont la conséquence pratique au quotidien est de nier le droit sollicité par de nombreuses personnes d’être autorisé à résider et à travailler aux Etats-Unis. Un tel précédent « criminel » suffit pour justifier le refus d’entrer en matière sur une demande d’« ajustement de statut » concernant un conjoint, des parents ou des enfants de citoyens US qui, à leur arrivée, sont surpris d’apprendre, à l’occasion de leur entretien d’immigration, qu’ils ont un « casier judiciaire » qui empêche leur légalisation et les soumet à une procédure sommaire d’exclusion-expulsion. Le même dispositif affecte de façon similaire les résident·e·s permanents (« Green Card holders »), parmi lesquels des milliers de vétérans de l’armée US, connus aujourd’hui sous le nom de « vétérans bannis ».

    Selon l’IIRIRA, sont considérés comme un « crime » : l’expulsion, le séjour excédant la durée du visa, la conduite sans permis, le fait d’uriner derrière un arbre dans un parc public, toute bagarre de rue ou dans un lieu public, même mineure, etc., qui s’ajoutent à un vaste catalogue de « crimes migratoires ». Ses effets induits ont eu un impact dévastateur sur la population immigrée des Etats-Unis, en particulier mexicaine, qui traverse une véritable crise humanitaire caractérisée par l’incarcération ou l’expulsion d’un nombre croissant de ses membres, la séparation des familles, la détention d’enfants abandonnés à la solidarité communautaire ou aux services sociaux publics, sans compter la terreur causée par la multiplication des descentes de police sur les lieux de travail, dans les transports publics, les quartiers latino-américains, etc.

    De surcroît, l’IIRIRA a autorisé différentes agences à échanger leurs informations et à mettre en œuvre des programmes pilotes pour vérifier l’employabilité des requérants (« e-verify »). Elle autorise l’Attorney General [Procureur général et Ministre de la Justice, lié au sommet de l’exécutif, NDT] à déléguer par écrit à des agences locales ou étatiques des fonctions précédemment réservées exclusivement aux fonctionnaires fédéraux de l’immigration, encourageant par-là un activisme législatif décentralisé qui débouche sur la promulgation de diverses dispositions anticonstitutionnelles locales ou étatiques visant les immigré·e·s. De tels accords (section 287g de l’IIRIRA) constituent le précédent et le fondement de mesures comme la loi (SB) 1070 d’Arizona.

Un système d’apartheid légal

Tout cela résulte d’un ensemble d’initiatives du Département de la sécurité intérieure (DHS) et de son antenne migratoire, le Contrôle de l’immigration et des douanes (ICE), fondées sur les dispositions légales de 1996, renforcées par les mesures ultérieures concernant la « sécurité nationale » et la « guerre contre le terrorisme ». Les immigrés mexicains ne sont pas des terroristes – ils n’ont jamais fait sauter un pont, un immeuble ou une maison, mais les ont au contraire construits. En revanche le « terrorisme d’Etat » a soumis les Latino-Américain·e·s aux pires tourments, jusqu’à constituer une menace pour leur vie. La grande majorité des expulsé·e·s sont des gens prévenus d’infractions de peu d’importance, sans parler des nombreux cas de citoyens US expulsés en raison de leur ressemblance avec des « clandestins » ou de leur peau basanée. Voilà tout un système extrêmement coûteux de « protection » antiterroriste pour incarcérer des « criminels » accusés de ne pas s’arrêter au « Stop » !

    Le plan d’action stratégique du DHS-ICE, mis en musique par l’Office des opérations de détention et renvoi (DRO), s’appelle « Operation Endgame » (« Opération fin de partie ») 2003-2012. Il « met en œuvre un programme d’action cohérent sur dix ans qui va permettre de renvoyer tous les étrangers passibles de renvoi »(3). Un aspect clé de ce plan consiste dans une « stratégie d’usure » qui criminalise et incarcère un nombre tel d’immigrant·e·s, que le reste de la communauté devrait saisir le message en quittant le pays ou, avant tout, en ne cherchant plus à y entrer. Les opérations « rues sûres», « bouclier communautaire », « contrôle » et « communautés  sécurisées », sont quelques éléments de la stratégie employée par le DHS-ICE, et qui font partie « de plans exhaustifs pour identifier et renvoyer les criminels étrangers »(4). Le but visé est de « maximiser le retour sur investissement à long terme, l’efficacité de la dissuasion et la réduction de la récidive »(5).

    La logique de tout cela, bien entendu au mépris des droits humains et du travail des immigrants « de couleur » (« brown »), conduit à la mise en place d’un système d’apartheid légal qui se substitue au système actuel d’apartheid de fait. Il renvoie à un combat politique intérieur aux Etats-Unis, où le slogan et la stratégie politico-électorale du Parti républicain pour reconquérir la Maison Blanche en 2012 est simple : l’immigré illégal est un criminel et doit être puni, c’est « la Loi » et elle doit être respectée par chaque « Américain ». Le message, c’est que les Etats-Unis sont en passe de perdre leur identité et leur culture (exclusivement anglo-saxonne) en raison de l’invasion étrangère, que les immigré·e·s vont élever leurs enfants pour obtenir leur légalisation (« Anchor Babies »(6)), que le prochain président des Etats-Unis sera un immigré, et que les blancs deviendront une minorité si l’immigration n’est pas immédiatement stoppée. En Arizona et dans d’autres Etats, les législateurs républicains proposent des lois qui priveraient les immigré·e·s des prestations de sécurité sociale, de l’école publique et du logement social, et aboliraient les dispositions qui exigent des hôpitaux qu’ils prodiguent des soins aux sans papiers. Ils voudraient retirer les aides fédérales aux villes qui s’érigent en « sanctuaires ». Chaque personne « de couleur » (« brown ») serait sujette à la détention et à la déportation?(7).

    Dans une perspective historique, cette tactique systématique, tout à fait au goût du Ku Klux Lan, des Minutemen et des Chasseurs de sans papiers, peut se comparer à ce qui s’est produit en 1850, lorsque le Fugitive Slave Act a été promulgué, à la différence que sur la scène de l’immigration actuelle, que l’on peut considérer comme une forme moderne d’esclavage, les « abolitionnistes » qui défendent les droits humains fondamentaux ne sont pas encore très nombreux?(8). Elle s’inscrit dans la tradition des lois de type Jim Crow, en vigueur de 1876 à 1965, contre la communauté afro-américaine, visant à garantir les droits supérieurs et exclusifs des blancs par le biais de la ségrégation raciale. Les conséquences de la loi (SB) 1070 en Arizona et de la propagande qui l’accompagne ne disparaîtront pas de la conscience collective et ont déjà stimulé l’activité des identitaires et des néo-nazis au sein des nouvelles organisations de droite comme l’influent « Tea Party ».
Démocrates et Républicains font la guerre à l’immigration

Pour sa part, en juin 2010, le Parti démocrate a ajusté sa stratégie politique relative à l’immigration pour la faire sonner plus républicaine. Obama, qui parlait des immigré·e·s sans papiers durant la campagne présidentielle, les traite maintenant d’illégaux, en particulier lorsqu’il se réfère à ceux qui ne seront pas couverts par la « réforme » de la santé récemment approuvée, qui profite aux grandes compagnies d’assurance et aux géants pharmaceutiques et exclut les sans papiers. En dépit de ses promesses réitérées de campagne, il n’a pas respecté son engagement à mettre un terme aux expulsions en masse et à la séparation des familles. Tous les jours, son administration expulse mille personnes, offrant le spectacle d’un père ou d’une mère emmené par des hommes armés à mille ou deux mille enfants de citoyens US. Il a échoué à inspirer et à diriger la construction d’une large réforme humanitaire de l’immigration?(9).

    Le système politique réellement existant du capitalisme US, néolibéral et impérial, est uniforme, au-dessus des partis, et dans ce sens, c’est un serpent à deux têtes (Démocrates et Républicains), dont la seule véritable dispute consiste en une compétition pour le pouvoir politique tous les quatre ans. Pendant ce temps, sa Patrouille Frontière tue de jeunes Mexicain·e·s, même sur le territoire mexicain, comme dans le cas de Sergio Adrián Hernández, en juin 2010?(10). (…)

    La frontière entre le Mexique et les Etats-Unis continue à être une zone de guerre contre les peuples mexicain et latino-américains, et non contre le terrorisme, encore moins contre les narcotrafiquants qui préfèrent utiliser des avions, des bateaux et des banques. L’agression US contre les immigrant·e·s, l’envoi de renforts de troupes et la construction d’un mur plus grand et pire que tous les murs de l’histoire humaine représentent un aspect clé de la quatrième tentative de conquérir le Mexique, une conquête économique et culturelle imposée au nom du néolibéralisme et du racisme (la seconde conquête programmée à été l’invasion US de 1846-1848, et la troisième, l’occupation française conduite peu de temps après).

Quelles réponses ?

Actuellement, dans les nouvelles constitutions de l’Amérique latine comme celle de l’Equateur, il y a trois articles qui reconnaissent « le droit des personnes à migrer. Aucun être humain ne sera identifié ou considéré comme illégal de par son statut migratoire » (art. 40). En revanche, le Mexique continue à maltraiter les migrants centroaméricains qui le traversent, tandis que les Etats-Unis renforcent le harcèlement des Mexicains et des Centroaméricains, ainsi que la violation de leurs droits humains.

    De leur côté, les organisations de défense des immigrés continuent à développer des mobilisations pour la réforme de la loi sur l’immigration aux Etats-Unis, parfois associées à des actions de désobéissance civile et à des grèves de la faim qui font écho aux méthodes de Martin Luther King et de César Chávez?(11) pendant les mouvements des droits civiques des années 1950 et 1960. Des appels ont été lancés au niveau national et international pour le boycott de l’Etat d’Arizona.

    Les activistes débattent pour savoir s’ils soutiendront la réélection potentielle d’Obama. En même temps, ils discutent pour déterminer s’il convient d’opter pour lutter en faveur d’avancées partielles, comme le « Dream Act » et les « AgJobs Acts » (des variantes du « Guest Worker Program » des années 1942-1965, décrit par ses principaux administrateurs comme de l’« esclavage »). Peut-on les considérer comme une sorte de prix de consolation, étant donné qu’il n’existait apparemment pas d’autres options législatives possibles à la veille des élections de mi-mandat de novembre 2010 ?

    Plusieurs organisations concentrent leur énergie sur le combat pour un moratoire sur les rafles massives et sur le maintien de l’unité des millions de familles « mixtes », formées de citoyens et de sans papiers. Elles appellent aussi à la réduction et à l’annulation de la section 287g de l’IIRIRA (voir plus haut).

    La majorité des militant·e·s, y compris la plupart des églises et des groupes religieux, font pression sur les législateurs et sur les membres de l’administration Obama et contribuent au développement de mobilisations de masse. Ils ont obtenu une victoire partielle, à la fin juillet 2010, lorsque qu’un juge de Phoenix a pris une décision bloquant la mise en œuvre de certaines dispositions clés de la loi (SB) 1070 d’Arizona comme les contrôles systématiques au faciès (« racial profiling »), sans pourtant mettre en question la poursuite d’autres « crimes » comme l’hébergement d’immigré·e·s sans statut légal ou l’entrave au trafic routier occasionné par la prise en charge de travailleurs·euses journaliers sur le bord de la route.

    De nombreux groupes travaillent à une mobilisation permanente et à une organisation en profondeur de la base – par des manifestations et des grandes marches – en visant une meilleure coordination entre diverses organisations ethniques (afro-Américaines, arabes, asiatiques, latino-Américaines, amérindiennes, irlandaises, européennes de l’Est, etc.) qui s’opposent déjà à la loi (SB) 1070, et avec les nombreux mouvements sociaux sympathisants à l’échelle internationale. Les revendications comprennent la dénonciation de l’ALENA, la démilitarisation de la frontière et la réforme des lois sur l’immigration dans le sens de la justice et du respect des droits civiques et des droits du travail de tous (dans le sens de la « Citoyenneté Universelle »). Les communautés amérindiennes de la frontière continuent à jouer un rôle de premier plan en se mobilisant pour la défense des droits des immigrés et de leurs propres droits ancestraux. C’est d’eux que vient le mot d’ordre repris dans les manifestations : « Nous ne sommes pas illégaux, nous ne sommes pas criminels, nous sommes les peuples indigènes ».

    La « Déclaration des droits du travailleur sans statut légal », promulguée à Mexico en avril 1980, à l’occasion de la Première conférence internationale pour les pleins droits des travailleurs sans statut légal, est encore valide aujourd’hui?(12). Elle répond à des questions communément posées sur ce que veulent les travailleurs sans statut légal. La réponse est simple, permanente et toujours la même : pleins droits pour tous ! Chaque être humain a le droit d’avoir des droits. Le premier des treize articles de la Déclaration revendique le droit à une résidence légale en prouvant simplement son statut de salarié et de contribuable. Les articles 2 à 11 recensent les droits reconnus à des citoyen-nes en emploi, comme les droits socioéconomiques et les droits du travail, aux services de santé et d’éducation, ainsi que le droit de pratiquer la culture de son pays d’origine. Les articles 12 et 13 sur les droits politiques de voter et d’être élu aux scrutins fédéraux de son pays d’origine et aux élections locales et des Etats US, se fondent à nouveau sur la double participation des migrant·e·s à la vie des deux pays comme travailleurs-euses et contribuables, ainsi que sur leur double nationalité.

    La mobilité humaine est inhérente au développement de la « mondialisation » néolibérale. Divers acteurs et groupes sociaux reproduisent des inégalités, ou font de bonnes affaires, dans ce contexte d’injustices croissantes et de discriminations raciales à l’échelle planétaire, mais aussi de relations systémiques entre politiques économiques et détérioration des conditions de la vie quotidienne. Sociétés et gouvernements doivent reconnaître que les peuples ont un droit à migrer et que leurs droits fondamentaux doivent migrer avec eux. Aucun être humain ne devrait être identifié ou reconnu comme « illégal » en raison de son statut migratoire – cela doit être une loi universelle.

James D. Cockcroft

Extrait du livre Révolution et contre révolution au Mexique (1910-1920), Paris, Syllepse, 2011, pp. 113-123. Titre, intertitres et coupures de notre rédaction.


(1) Vicky Peláez (2006), « Despierta Inmigrante : ¡ Llegó tu hora ! », 7 avril (http://ecuador.indymedia.org). Les PME fournissent 80 % de l’emploi au Mexique. Des centaines de milliers d’entre elles ont péri en raison de la concurrence du Nord, tandis que 6000 Mexicain·e·s perdent leur emploi chaque jour, selon le dernier livre d’Andrés Manuel López Obrador (2010).
(2) La loi (SB) 1070 d’Arizona impose aux policiers de cet Etat frontalier du Mexique de vérifier les conditions de séjour de toute personne au sujet de laquelle ils auraient un « soupçon raisonnable » (NDT).
(3) www.ice.gov
(4)    Ibid.
(5) Vaughan Jessica, « Attrition Through Enforcement : A Cost-Effective Strategy to Shrink the Illegal Population », Center for Immigration Studies, avril 2006 (http://www.cis.org/).
(6) « Anchor baby » est une expression utilisée aux Etats-Unis pour qualifier un enfant né de parents étrangers sans statut légal, qui acquiert la nationalité US en raison du principe du jus soli, et peut ainsi permettre la légalisation du séjour de ses parents au nom de la réunification familiale (NDT).
(7) Cf. Justin Akers Chacón (2010), « Who’s behind the Anti-Immigrant Crusade ? », Socialist Worker, 11 juin (http://socialistworker.org). Chacón est co-auteur, avec Mike Davis (2006), de No One Is Illegal : Fighting Racism and State Violence on the U.S.-Mexico Border. Il faut noter que les projections du Bureau du recensement US indiquent que, même sans la poursuite de l’immigration de « gens de couleur », les blancs devraient se trouver en minorité dès le milieu du 21e siècle.
(8) Dès 1850, le Fugitive Slave Act contraignait les autorités de tout le pays à remettre les esclaves fugitifs à leurs maîtres. Il allait provoquer une montée de la mobilisation abolitionniste dans les Etats du Nord (NDT).
(9) Carrie Budoff Brown (2010), « Dems’ Tough New Immigration Pitch », Político, 10 juin (www.politico.com) ; National Immigrant Solidarity Network, 10 août 2010, (www.ImmigrantSolidarity.org).
(10) Selon le Ministre des affaires étrangères du Mexique (Secrétariat des Relations Extérieures, communiqué 174, 8 juin 2010 (www.sre.gob.mx), 17 Mexicains ont été assassinés ou blessés dans la première moitié de l’année 2010 au cours d’actions qui ont impliqué l’usage de la force de la part d’agents US de la Patrouille Frontière. Après chaque nouvel incident, des déclarations comparent cette situation à celle de la frontière militarisée de la Palestine occupée.
(11)Syndicaliste paysan de Californie, né de parents originaires du Mexique, César Chávez (1927–1993) est partisan de l’action directe (sit-ins, boycotts, marches, piquets de grève, etc.). Il se bat pour les conditions de logement, les assurances sociales, les salaires et la liberté syndicale des ouvriers agricoles (NDE).
(12)Le texte de cette Décaration est reproduit en anglais et en espagnol dans J. D. Cockcroft, Outlaws in the Promised Land, 2e éd., New York, 1988, pp. 279-282.