Colombie
Colombie : L'émergence de la marche patriotique
Notre bimensuel s’est entretenu avec Carlos Arturo García Marulanda, membre de la direction nationale du mouvement colombien de la Marche patriotique, qui a réuni quelque 80 000 personnes dans les rues de Bogotá, le 21 avril dernier. Il était de passage en Suisse dans le cadre d’une tournée d’information européenne, et a été l’invité de la commission internationale de solidaritéS, le 8 mai dernier, à Genève.
Qu’est-ce que le Mouvement de la Marche patriotique? Comment et quand est-il apparu ?
CGM: le Mouvement de la Marche patriotique (MMP) pour la seconde et définitive Indépendance est né comme une nouvelle alternative qui rassemble les mouvements sociaux et populaires, ainsi que les secteurs démocratiques et de la gauche en Colombie. Ses origines se situent dans le cadre des grandes mobilisations populaires qui ont eu lieu lors de la commémoration du 200e anniversaire de l’Indépendance. Il a émergé comme une proposition d’unité qui a permis de faire converger de multiples initiatives issues de différents secteurs au niveau national. Du 21 au 23 avril dernier, ce mouvement s’est incarné en un large front politico-social permanent, dont la perspective est de créer un pouvoir populaire. Il rassemble à ce jour 1 700 organisations.
Quels sont les mécanismes de cohésion et d’articulation au sein du MMP ?
le MMP se conçoit lui même comme un espace d’action et de conjonction entre le social et le politique. Il défend une nouvelle façon de faire de la politique en Colombie. Il est dépositaire d’une longue tradition de luttes populaires. Au-delà des mobilisations sociales urbaines, rurales, syndicales, étudiantes, etc., il doit surgir de ces expériences une convergence d’intérêts pour construire ensemble un nouveau référent politique national.
Pouvez-vous nous présenter les objectifs du MMP ?
Il faut tout d’abord donner priorité à la résolution du conflit social armé qui affecte la Colombie depuis 1948. Il nous faut donc avancer sur le chemin d’une véritable paix garantie par une véritable justice sociale. Deuxièmement, nous défendons le droit des victimes de la violence étatique à une réparation intégrale, car elles ont été l’objet de multiples violations de leurs droits fondamentaux. La vérité des faits doit être établie pour rendre la justice, et surtout pour garantir la punition des coupables afin que de telles violences inacceptables ne se répètent plus jamais. Troisièmement, il faut aussi ouvrir sans délai le débat sur le problème de la propriété de la terre: ce point est très sensible puisque la question de la réforme agraire, une réforme agraire intégrale, est au cœur du conflit colombien. Quatrièmement, nous revendiquons l’amélioration des droits sociaux de toutes et tous à la santé, à l’éducation, à l’emploi, au logement digne, aux loisirs, etc. Enfin, nous défendons une réforme urbaine pour répondre effectivement aux besoins de logement de la population.
Comment l’État colombien a-t-il réagi à l’émergence du MMP ?
Les médias proches du gouvernement (presque tous!) ont déclenché une virulente campagne de stigmatisation des militants du MMP. Sans aucune preuve à l’appui, ils ont affirmé que notre mouvement serait infiltré par les mouvements de l’insurrection armée. Tout cela, bien entendu, dans le but de nous intimider et de nous isoler, mais surtout de mettre en danger la vie des militant·e·s et dirigeant·e·s du MMP.
En particulier, nous avons dénoncé ici, à Genève, mais aussi dans le reste de l’Europe, la disparition forcée de l’un de nos responsables des départements de Caquetá et de Putumayo, au sud de la Colombie, Omar-Enrique Díaz. Nous dénonçons aussi les assassinats de notre responsable de la région de Remolinos del Caguán et de Mao Enrique Rodríguez, responsable de la sécurité du dirigeant national du MMP, Carlos Lozano, à Bogotá. Cela nous rappelle ce qui est arrivé à l’Union Patriotique dans les années 80, lorsque plus de 5000 militant·e·s et dirigeant·e·s populaires, syndicaux et de gauche en général, ont été assassinés pendant une décennie.
Pour que ce drame ne se répète pas, nous développons activement un processus de dénonciation et de mise en alerte, tant au niveau national qu’international. Nous saurons mettre en œuvre rapidement des réponses combatives par la voie des mobilisations sociales à tous les niveaux : marches de protestation, occupations de places et de rues, grèves, blocages, et toute autre forme ouverte et massive, susceptible de faire face à ces exactions et de mettre en échec la répression étatique. Il est essentiel que l’on fasse entendre la voix et les revendications de notre peuple, tout en évitant de devenir la cible facile des assassins au service de l’État colombien.
Quelle solidarité avec le MMP pourrait-on développer en Europe ?
Nous vous demandons de nous aider à exister aussi au niveau international afin de vaincre le blocus de l’information imposé par l’État colombien. Aidez-nous à faire connaître le programme, les objectifs et les actions du MMP en Europe. Plus concrètement, nous appelons celles et ceux qui s’identifient à nos luttes et à nos valeurs à s’organiser et à entrer en contact avec nous pour constituer des groupes d’accompagnement et d’observation internationaux sur place afin de renforcer la sécurité de nos militant·e·s, un objectif vital pour la continuité de notre action politique.
* Entretien recueilli et traduit par Septimus et Octavia pour solidaritéS.