Le dogme ébranlé de l'austérité
Ce traité met en pilotage automatique la politique budgétaire des Etats, qui doit se conformer désormais à la triple règle d’une dette inférieure à 60 % du PIB, d’un déficit courant maximum de 3 % et d’un déficit structurel de 0,5 % du même PIB. Tout vrai débat démocratique sur les choix budgétaires est ainsi évacué. Le Traité sur la stabilité est un corset autocratique fabriqué par la Commission européenne. Combiné avec un autre instrument, tout aussi dictatorial, le Mécanisme européen de stabilité (MES), il devient un garrot. Celui-là même qui étrangle le peuple grec, lui faisant subir la plus gigantesque régression sociale de son histoire. Aujourd’hui, des enfants grecs s’évanouissent en classe parce qu’ils ne mangent plus assez. Il faut tout le cynisme des marchés pour ensuite s’étonner que la Grèce ne connaisse pas de relance économique…
Il n’y a pas que l’élection de Hollande pour témoigner que le dogme de l’austérité et des réajustements structurels façon Merkozy est ébranlé. Les élections régionales de Rhénanie-du-Nord-Westphalie ont été un soufflet pour Merkel. Les communales italiennes ont montré que l’électorat cherchait clairement une autre voie que celle d’un bipartisme qui avait accueilli Mario Monti comme un sauveur. Les élections andalouses ont aussi fait trébucher Mariano Rajoy. Et les élections grecques ont assez dit que les partis de l’austérité n’étaient pas les bienvenus à la table du peuple hellène. La jolie fable que l’on se racontait entre Berlin, Bruxelles et Francfort, à savoir que les Français, les Grecs et, finalement tous les autres peuples européens, n’étaient pas mûrs pour les « réformes » et qu’ils préféraient se prélasser dans leur hamac social sur les dos des générations futures, cette fable-là n’endort plus grand monde.
D’autres clignotants se sont allumés. A Prague, fin avril, où les Tchèques ont convoqué la plus grande manifestation de masse depuis la chute du Mur pour protester contre l’austérité et la corruption. En Espagne, bien sûr, où le mouvement des Indigné·e·s a repris du service, un an après le 15 mai et une semaine avant la grande manifestation prévue à Francfort, siège de la Banque centrale européenne (BCE). Même le gotha du syndicalisme allemand, accompagné d’une floppée d’universitaires de renom, pétitionne et appelle à « refonder l’Europe » et à « stopper la marche vers la catastrophe ».
La manifestation de Francfort du 16 au 19 mai fait sens, pas seulement sur le plan symbolique. Les milieux de la finance européenne, de la BCE et de la Commission européenne l’ont bien compris. Appuyé sur la majorité sociale-démocrate de la Ville, le chef de la police a voulu interdire toute manifestation, mesure exceptionnelle en Allemagne. Or que veulent les mouvements qui sous le nom de « Blockupy Francfort » se proposaient d’occuper pacifiquement le quartier des banques ? Manifester « contre l’appauvrissement et le déni des droits démocratiques qui ont cours dans la zone euro et qui font partie de la crise d’un système mondial », chercher à faire converger les luttes locales à un niveau international en bloquant « un centre crucial du capitalisme mondial, et en nous inspirant des expériences faites à Oakland et lors du mouvement ‘ Occupy ’ aux Etats-Unis, qui eux-mêmes avaient appris des révolutions en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, ainsi que des Indignés du sud de l’Europe ».
Enfin, pourrions-nous dire ? Enfin, quelque chose se dessine qui pourrait être porteur d’un large mouvement social et politique contre l’austérité en Europe. Philosophe passionné par les limites, penseur du presque rien qui, quelquefois, fait toute la différence, Vladimir Jankélévitch nous disait déjà : « Un mois de mai viendra peut-être où, dans un grand éclat de rire […] les hommes se demanderont : comment ai-je pu avoir si peur ? ».
Daniel Süri