Crise européenne

Crise européenne : Austérité et flingues sur la table

Depuis le début de la crise européenne, le personnel politique du capitalisme européen tente d’avancer sur deux fronts pour apporter une réponse et stabiliser la situation entre austérité et délais accordés, avec en toile de fond la question de l’intégration européenne.

 

Le premier front est celui de la gestion immédiate de la crise. Celle-ci se joue autour de deux axes : d’un côté les manœuvres tactiques et les compromis entre états européens nécessaires pour imposer des mesures (austérité et réformes structurelles) qui feront porter le coût de la crise aux travailleurs?; de l’autre, les dispositifs à mettre en place pour renforcer la solidité financière de la zone euro en empêchant des faillites d’Etats souverains.

 

            Le deuxième front est celui du moyen voire du long terme. Il s’agit ici de pallier au caractère inachevé de la construction européenne (une monnaie unique sans politiques fiscales communes) et à la fragmentation des structures étatiques européennes, responsables de l’acuité de la crise en Europe. Il suffit de comparer la zone euro aux Etats-Unis, où la dette publique est plus élevée, pour comprendre que la spéculation contre l’euro a en grande partie des racines politiques. Plus généralement, la question soulevée par le caractère inachevé de la construction européenne est celle de la finalité politique du processus : les capitalistes du continent se demandent à quoi leur sert finalement une Union Européenne.

 

Draghi garde le flingue sur la table et l’élan austéritaire s’affaiblit

Lorsque début août, Mario Draghi, le président de la Banque Centrale Européenne, a évoqué la possibilité d’une intervention illimitée de son institution sur les marchés de la dette publique, un banquier soutint au Financial Times que Draghi « avait mis le flingue sur la table » et qu’il ne pouvait donc plus faire marche arrière. Conformément à cette analyse, la BCE a confirmé, le 6 septembre, sa volonté d’intervenir en soutien d’un état européen si une telle demande était faite par le gouvernement éventuellement concerné. Ces déclarations ont suffit pour faire baisser significativement les taux d’intérêt sur les dettes publiques espagnole et italienne. Elles ont aussi augmenté la pression sur Mariano Rajoy, le premier ministre espagnol, pour qu’il accepte de faire une demande officielle pour un plan d’aide qui serait accompagné par une supervision très stricte de sa politique économique par la Commission Européenne.

            Si Draghi a mis le flingue sur la table, c’est parce que les mesures prises depuis deux ans n’ont pas été suffisantes pour dissiper la spéculation contre l’euro. Des mesures d’austérité et des réformes structurelles ont été imposées aux pays en difficulté et du soutien financier leur a été apporté ou promis, mais la spéculation continuait. De plus, l’économie européenne replonge dans la récession, sous le poids des mesures d’austérité, ce qui rend plus difficile la tentative de réduire la dette publique seulement par ces mesures. Dans le même temps, les réactions contre l’austérité se font sentir, dont la moindre n’est pas l’élection de François Hollande, qui a surfé sur cette vague tout en annonçant à demi mots une politique économique similaire. C’est pour cela que l’orientation de l’austérité à tout va est en train d’être réajustée. Déjà au printemps, la Commission a accepté de donner à l’Espagne plus de temps pour réduire ses déficits, et la Troïka en a fait de même avec le Portugal la semaine dernière. Enfin, les européens semblent prêts à accorder à la Grèce deux ans supplémentaires pour mener à bien le nouveau paquet de mesures qui va bientôt tomber.

 

Le débat sur l’approfondissement de l’intégration européenne s’accélère

Le front sur lequel les européens avancent le moins vite est celui de l’approfondissement de l’intégration européenne. Mais plus la crise dure, plus elle oblige le personnel politique à envisager des solutions structurelles. Ce débat a commencé il y a un an, lorsque le gouvernement allemand a commencé à parler d’un nouveau traité et du besoin de passer à l’étape de l’« union politique ». Angela Merkel a depuis plusieurs fois exprimé sa propre vision d’une Europe, où la Commission deviendrait un vrai gouvernement et le parlement verrait ses pouvoirs renforcés. Mais depuis le sommet des chefs d’état et de gouvernement de fin juin, où le président du Conseil Européen (l’instance qui réunit ces chefs) Herman van Rompuy a présenté un rapport sur l’union budgétaire et l’union politique, ce débat devient le débat officiel de l’Union Européenne.

            A partir de maintenant donc, les uns et les autres commencent à donner chair à ce débat. Le même van Rompuy a déclaré, il y a une semaine, qu’il travaillait sur un projet pour doter la zone euro d’un budget central et de la possibilité d’émettre de la dette (une version des fameux « eurobonds »). José-Manuel Baroso, le président de la Commission, dans son discours de rentrée, a affirmé que l’Union Européenne devait s’acheminer vers une « Fédération d’Etats Nations ». Le terme n’est pas anodin, puisqu’il est celui élaboré par Jacques Delors quand il occupait la même fonction que Baroso et qu’il cherchait à promouvoir son projet fédéraliste. Enfin, un groupe de onze ministres des affaires étrangères piloté par le ministre alle­mand – avec la participation de ses collègues italien, polonais, espagnol et français – a en même temps publié son rapport sur le « Futur de l’Europe », dans lequel il est question de créer un ministre unique des affaires étrangères pour l’UE, de renforcer les pouvoirs du parlement européen et même d’envisager la création d’une armée européenne.

            Mais il ne faut pas oublier que l’intégration européenne est un processus qui consiste en des marchandages entre les fractions nationales de la bourgeoisie européenne. C’est pour cela qu’il avance à travers des crises et lentement. La crise actuelle n’est pas une exception.

 

Christakis Georgiou