Révolution française

Révolution française : Quand l'intérêt des députés s'oppose à l'intérêt national

Historien de la révolution française, Albert Mathiez (1874–1932) avait publié en 1929 un ouvrage consacré à la période située entre la chute de Robespierre (9 Thermidor an II/27 juillet 1794) et l’avènement du Directoire (4 Brumaire an IV/26 octobre 1795. Les Editions La Fabrique l’ont réédité en 2010, avec une présentation de Florence Gauthier et Yannick Bosc dont les citations ci-dessous, sauf indication contraire, sont issues.

 

 

 

Avec l’implosion du Comité de salut public de l’an II, « l’incandescence révolutionnaire s’éteint, la réaction triomphe partout. La grande période de la République est désormais finie. Les rivalités de personnes prennent le pas sur les idées : le salut public s’efface ou disparaît derrière les rancunes et les passions. Le politicien remplace le politique. L’intérêt privé et collectif des députés s’oppose scandaleusement à l’intérêt national. (…) De cette période violente et sombre, Mathiez dresse un tableau qui souvent résonne avec notre actualité, tant il est vrai que les gouvernements de fripons se ressemblent ou plutôt se répètent ».

            Après le 9 Thermidor, le gouvernement révolutionnaire fut démantelé?; ouvertes pour les royalistes, les fédéralistes et les accapareurs, les portes des prisons se refermèrent sur les militants révolutionnaires (« robespierristes » ou non). Des campagnes médiatiques présentèrent les partisans du régime de l’an II comme des « buveurs de sang » (or, les principaux « thermidoriens » étaient notoirement connus pour leurs excès terroristes en Vendée ou dans le Midi de la France…).

            Signe des temps, le maximum des prix fut supprimé en décembre 1794. La Bourse de Paris rouvrit en octobre 1795 : la spéculation fit chuter le cours des assignats (papier-monnaie), stabilisé en 1793. L’augmentation du prix du pain en hiver 1794-1795, entraîna deux soulèvements du peuple parisien en Germinal (1er avril 1795) et Prairial an III (20-21 mai 1795). Leur échec permit de désarmer les quartiers populaires et de purger la gauche de la Convention.

            La Constitution de 1795 marqua un net recul par rapport à 1793 : « Ce texte trace un cadre institutionnel élitiste, il réintroduit le suffrage censitaire [ndlr : conditionné par une certaine fortune] et rabaisse généralement le niveau des droits. Ce sera la carte d’identité du libéralisme doctrinaire post­napoléonien : restriction des droits politiques et sociaux, blindage du droit à la propriété privée et reconnaissance sélective de certaines libertés civiles » (Gerardo Pisarello, cahier Emancipation/solidaritéS nº 211). Lors du débat constitutionnel, le député crypto-royaliste Boissy d’Anglas annonça clairement la couleur : « Nous devons être gouverné par les meilleurs. Un pays gouverné par les propriétaires est dans l’ordre social, un pays gouverné par les non-propriétaires est dans l’état de nature ». Un point de vue qui n’a pas pris une ride en deux siècles, à entendre les apologistes du « capitalisme réellement existant ».

 

Hans-Peter Renk

 


Albert Mathiez,
« La réaction thermidorienne »
(Paris, La Fabrique Ed., 2010)