Assises des mouvements d'habitant-e-s

Assises des mouvements d'habitant-e-s : «Pensons la ville pour agir»

Des associations d’habitant·e·s, s’appuyant sur les réflexions et actions menées dans leurs quartiers, ont voulu construire une vision d’ensemble permettant aux habitant·e·s d’intervenir dans le débat sur l’avenir de la ville qui ne peut être laissé aux seuls promoteurs, financiers et aux politiciens qui les représentent.

 

Pour ce faire, elles ont organisé des Assises du logement les 19 et 20 avril 2013 à Genève, avec comme objectifs :

 

Revendiquer le droit à la ville et au logement.

Interpeller les autorités sur les préoccupations des habitants et les solutions à y apporter.

Déconstruire la pensée dominante et le dis­cours officiel, élaborer une pensée critique.

Relancer les luttes urbaines.

 

Les luttes urbaines, dans lesquelles les mouvements d’habitant·e·s sont engagés, sont alimentées par trois constats :

Un manque de logements de qualité à prix abordables, répondant aux besoins prépondérants de la population.

Une surdensification du centre-ville par des surélévations et remplissages de tout espace libre portant atteinte à la qualité de vie des habitant·e·s.

Une spéculation effrénée par découpage d’immeuble et revente d’appartements, démolition et reconstruction, résiliation de baux et relocation.

 

Pour les discussions, les mouvements d’ha­bi­tant·e·s sont partis des points suivants :

Le logement n’est pas une marchandise.

Le droit à la ville est basé sur une équité territoriale et sociale.

Le principe de répartition équilibrée des logements, des activités économiques, des espaces communs et des équipements publics, avec accès pour toutes et tous.

Ils ont donc invité les habitant·e·s à venir débattre et se donner les moyens de conduire et développer les luttes urbaines.

 

Vendredi soir

Un premier temps a permis de faire le point sur l’actualité des luttes urbaines à Genève à partir de quatre exemples en cours : l’opposition aux surélévations des immeubles Honegger à la Jonction, l’immeuble 40, rue de Lausanne, comme exemple de spéculation aux Pâquis, l’opposition des ha­bi­tant·e·s des Grottes à la construction d’une tour, à la surdensification du quartier et la lutte contre le projet d’extension de la gare Cornavin.

Dans un deuxième temps, quatre intervenants ont réagi à chaud :

André Loersch (journaliste) s’est attaché à démontrer que le terrain n’est pas un bien reproductible et qu’il ne saurait participer « innocemment » à l’économie néolibérale. Il a mis l’accent sur l’intérêt collectif – le bien commun – face à l’intérêt privé et a mis en évidence la « naturalisation » du débat.

Christian Dandres (avocat Asloca) est parti du droit au logement comme droit fondamental et du fait que le logement ne saurait être une «marchandise» comme les autres. Il a parcouru les principales lois genevoises en la matière – LDTR, LGZD, LUP, LCI – et a rappelé des moyens de résister par ex. les possibilités de recours ou le blocage des loyers.

Luca Pataroni (sociologue) a démontré l’intérêt de s’approprier son logement ou sa ville de manière différente – par ex. le phénomène du squat développant les « friches du possible » – en révélant le potentiel créatif et novateur de ces pratiques. Il a aussi mis en avant le bail associatif, la démocratie participative et l’autogestion.

Urs Zuppinger (urbaniste) a fait part de son expérience de luttes urbaines depuis des décennies (comme au Flon et dans le quartier des Bergières à Lausanne) ainsi que des réflexions sur le cadre de l’aménagement du territoire et de la construction de logements : absence de politique fédérale du logement depuis les années 70, sens réel du vote du 3 mars sur la LAT (densifier les villes plutôt que contrer le « mitage » du territoire), démission de forces de « gauche » considérant que bâtir des logements à louer est déjà une victoire, inadéquation entre revenus de la majorité des gens et loyers proposés (échec du marché pour répondre aux besoins de la population), non-reconnaissance de l’expertise citoyenne.

 

Samedi

A l’issue des ateliers qui ont approfondi les thèmes ci-dessus, le bilan a été jugé très positif. Une centaine de personnes ont fréquenté les assises en deux jours. La qualité des intervenants, les échanges des ateliers, ont permis de mieux comprendre les mécanismes à l’origine de la crise, de ce qui l’alimente, et d’envisager des actions communes.

Il est ressorti de la synthèse qu’il fallait de toute urgence :

Dénoncer la collusion entre Etat et milieux immobiliers, revendiquer la maîtrise du foncier tant pour l’Etat, que pour les communes afin de maîtriser la construction de logements à prix abordables pour la majorité de la population. Le marché ne reconnaît que le tiers supérieur de la population, et il y a assez de riches pour satisfaire ce marché.

La question de la qualité de vie est centrale et doit être débattue avec les habitant·e·s. Il s’agit d’utiliser les ressources des habitants et de penser ensemble la densification dès le début d’un projet afin de prévenir les conflits.

Il est essentiel de casser l’isolement des ha­bi­tant·e·s en développant les liens entre eux et avec les associations. Trop souvent, un sentiment de peur ou d’impuissance empêche de réagir. De plus, les populations en situation de précarité sont souvent peu représentées dans les luttes de quartier. 

Informer les habitant·e·s des outils à leur disposition pour lutter contre les hausses de loyer, individuellement et collectivement.

 

Les propositions d’un moratoire des hausses de loyer, en particulier à la relocation, ainsi qu’un moratoire des surélévations ont été discutées par l’assemblée.

Ces Assises auront permis un débat public d’une grande richesse, en liant l’échange sur les expériences concrètes et une réflexion théorique et politique. Ces deux jours donnent l’espoir aux ha­bi­tant·e·s de pouvoir développer leurs capacités de résistance et de proposition. A suivre donc…

 

Odile Fioux et Brigitte Studer