Pour le conseil d'État, la fonction publique devient la ponction publique

Le 13 mai 2014, le Conseil d’Etat du canton Fribourg faisait la Une en lançant un vaste projet de « mesures structurelles et d’économie » visant fortement le personnel de l’Etat alors que la situation financière de l’Etat de Fribourg est excellente. En effet, les comptes 2012 ont bouclé avec un excédent pour la 11e année consécutive?; la fortune nette s’élève à 885 millions, la capacité d’autofinancement de 100 % permet d’éviter le recours à l’emprunt.

 

Selon les prévisions du Conseil d’Etat, les finances cantonales vont se détériorer progressivement jusqu’a la fin de la législature en 2016 (–140 millions de francs an), soit exactement le montant des recettes manquantes en raison des baisses d’impôts octroyées ces dernières années. A cela s’ajoute la stricte application des mécanismes du frein à l’endettement prévu par la Constitution fribourgeoise visant de manière obsessionnelle l’équilibre budgétaire permanent. 

Les mesures d’austérité soumises dès le 8 octobre au Grand Conseil frappe durement le personnel et les prestations des services publics et parapublics. 80 % des mesures visent à réduire les dépenses et 20 % à générer des revenus supplémentaires. 

 

Ceux d’en bas doivent passer à la caisse

Le Conseil d’Etat veut comprimer les salaires, bloquer l’embauche et plafonner ou réduire les subventionnements. Du côté des recettes, plusieurs taxes et émoluments seront augmentés. Mais, il est hors de question de toucher aux contribuables à revenu et fortune élevés. Une amnistie fiscale est même envisagée dans la perspective d’une levée du secret bancaire pour les contribuables imposés en Suisse (rapport du Conseil d’Etat du 7 mai 2013, p. 37). Par contre, il est prévu de réintroduire l’impôt minimal – supprimé en 2006 – pour tout contribuable ne payant pas d’impôt, pour un montant de 50 francs !

 

La fonction publique descend massivement dans la rue le 14 juin

Sur le plan salarial, le paquet d’économie présenté en mai prévoyait une baisse de 0,9 % des salaires, un gel de l’indexation jusqu’à ce que l’indice des prix à la consommation atteigne 112 points (août 2013 : 108,5), le gel des augmentations annuelles (annuités) en 2014, leur réduction de moitié en 2015 et 2016 ainsi que leur étalement sur 30 ans au lieu de 20 actuellement. L’annonce de ces mesures prétendument urgentes, a surpris tout le monde en raison de leur brutalité. Le 5 juin, l’assemblée des dé­lé­gué·e·s de la Fédération des Association du Personnel du Service Public du Canton de Fribourg (FEDE), organisation faîtière qui regroupe toutes les organisations du personnel de l’Etat décidait d’appeler à manifester le 14 juin 2013. Ce jour-là, 5000 employé·e·s étaient dans la rue. Du jamais vu dans le canton de Fribourg ! Toutes les catégories d’em­ployé·e·s. étaient présentes, des gendarmes aux en­seignant·e·s, en passant par le service de la justice, l’état civil, le service des forêts et de la faune, etc.

 

Un résultat des négociations acceptable?

Au cours de l’été, des négociations entre le Conseil d’Etat et la FEDE ont permis de réduire de 18 millions de francs le montant de la ponction à effectuer sur les salaires. La baisse linéaire de 0,9 % des salaires a été remplacée par une «contribution de solidarité» de 1,3 % au-delà d’un salaire plancher de 39 000 francs annuels pour l’année 2014 et de 1 % pour les années 2015 et 2016. La ponction sur les bas salaires est ainsi atténuée et les hauts salaires sont mis davantage à contribution (dès 130 000 francs). Le gel de l’annuité en 2014 est maintenu et celles de 2015 et 2016 seront retardées au 1er juillet. La moitié des em­ployé·e·s de l’Etat qui se trouvent déjà au sommet de leur progression salariale n’est pas touchée par cette mesure. L’étalement de la progression salariale sur 30 ans est provisoirement abandonné.

En échange de l’approbation du résultat des négociations, la FEDE a exigé  de l’Etat «des engagements fermes sur quatre points: que les sacrifices consentis pour les années 2014 à 2016 soient compensés dès que les finances cantonales s’amélioreront?; que le financement des prestations actuelles et futures soient garanti?; que les employés de l’Etat puissent participer activement à la recherche de solutions d’économie et d’un meilleur fonctionnement de l’appareil de l’Etat?; enfin, que l’Etat s’engage à protéger la santé de son personnel, soumis à des charges de travail déjà à la limite pour beaucoup de collaborateurs.?» (La Liberté du 29 août 2013). Le Conseil d’Etat est entré en matière sur ces engagements, mais il ne s’agit que de promesses.

 

Division syndicale et nouvelle manifestation le 4 octobre

Une assemblée des délégué·e·s de la FEDE a été convoquée le 28 août. Après un débat nourri, les dé­lé­gué·e·s ont approuvé par 52 voix contre 32 le résultat des négociations et ont donc renoncé à de nouvelles mesures de lutte. Selon la position majoritaire de la FEDE, une nouvelles manifestation n’aurait pas permis d’ébranler davantage un Conseil d’Etat déterminé dans un contexte politique jugé défavorable (nette majorité de droite au Grand Conseil). Pour de nombreux dé­lé­gué·e·s, notamment ceux du Syndicat des services publics (ssp), il aurait été au contraire plus sensé de prendre de nouvelles mesures de lutte pour tenter d’arracher de nouvelles concessions en s’appuyant sur le grand mécontentent des em­ployé·e·s, encouragés à se mobiliser par le succès inattendu de la manifestation du 14 juin. Dans ce contexte, le ssp a organisé une nouvelle manifestation soutenue par plusieurs associations professionnelles.

La FEDE ne l’a pas soutenue, tout en laissant la liberté de décision à ses membres. La manifestation du 4 octobre a rassemblé plus de 1000 em­ployé·e·s, ce qui est un réel succès. Si l’unité avait pu être maintenue, cette manifestation aurait sans doute réuni beaucoup plus de monde car l’indignation de la fonction publique n’a pas faibli.

 

Célestin Villars