Accord de libre-échange Suisse-Chine

Accord de libre-échange Suisse-Chine : Les capitalistes sont seuls à y gagner

Depuis le début de l’année 2011, la Suisse négocie un accord bilatéral de libre-échange (ALE) de portée étendue avec la Chine, qui concerne aussi le commerce des services, la propriété intellectuelle, les investissements, etc. Cet ALE de 1152 pages a été signé par le Conseil fédéral, le 6 juillet dernier, et doit être ratifié par les Chambres dans ces prochains mois, le référendum populaire étant facultatif. C’est le premier accord de ce type signé par la Chine avec un Etat d’Europe continentale. De son côté, la Suisse n’y a pas associé ses partenaires de l’AELE, dans la mesure où la Norvège s’était attirée les foudres de Pékin en attribuant le Prix Nobel de la paix (2010) au dissident chinois Liu Xiaobo, condamné à 11 ans de prison.

Pour les entreprises suisses, l’enjeu est énorme, puisque l’économie chinoise est la deuxième au monde et qu’elle devrait, selon toute vraisemblance, dépasser celle des USA d’ici quelques années. Aujourd’hui, la Chine pèse déjà sensiblement plus lourd que le Japon et l’Allemagne réunis ! Pour 2010-2012, en moyenne annuelle, les importations de Chine en Suisse atteignaient 7,5 milliards de francs, contre 7,7 milliards pour ses exportations. En tenant compte aussi des services, le solde des échanges est donc largement favorable à la Suisse. Plus important peut-être, ce commerce a plus que doublé au cours des cinq dernières années. 

La Chine est le second pays d’exportation pour l’industrie des machines, derrière l’Allemagne. Elle intéresse aussi la chimie, la pharmacie, l’horlogerie et la transformation des produits laitiers. Elle représente enfin un formidable marché pour les banques, les assurances et l’ensemble du secteur des services, etc. Par exemple, avec déjà 600 000 millionnaires en dollars (un effectif qui ne cesse de croître), l’empire du milieu constitue un nouvel eldorado pour les gestionnaires de fortune. De son côté, la Suisse importe de Chine des équipements, des textiles, des chaussures, des terres rares et des produits agricoles.

En 2010, 300 sociétés helvétiques possédaient 700 entreprises en Chine et y employaient 120 000 personnes. De leur côté les Chinois avaient investi plus de 10 milliards de francs en Suisse, qu’ils perçoivent comme une porte d’entrée sur le marché européen, pour tenter notamment d’en déjouer les protections tarifaires (47 % sur les panneaux solaires, par ex.,). C’est pourquoi, à tout point de vue, la ratification de cet ALE bilatéral représenterait un avantage important pour le monde des affaires des deux pays face à l’UE.

En revanche, l’importation croissante de biens et services chinois en Suisse, sans aucune contrepartie en termes de conditions de travail et de droits sociaux, ne peut que favoriser un dumping insoutenable aux dépens de productions locales ou européennes, agricoles et industrielles (le textile représente encore 2,5 millions d’emplois au sein de l’UE). Par ailleurs, , pour ne prendre qu’un exemple, les dispositions de l’ALE sur la propriété intellectuelle prolongeront encore les délais d’attente pour la mise en vente de médicaments génériques bon marché sur le marché chinois.

L’Union syndicale suisse (USS) doit prendre position sur cet ALE le 9 novembre prochain. Mais d’ores et déjà, un document du 16 août trahit la position de l’appareil : «l’accord avec la Chine, note-t-il d’emblée, est susceptible de donner un sérieux coup de pouce à nos industries d’exportation». S’il reconnaît sa déception par rapport à l’absence de toute avancée sur les droits humains et des tra­vail­leurs·euses, c’est pour ajouter : sans cela, «l’accord bilatéral n’aurait jamais abouti et aucun dialogue sur les droits des tra­vail­leurs·euses n’aurait pu débuter». D’où cette conclusion de Tartuffe : «les portes s’entrouvrent pour faire pression sur les autorités des deux pays afin que la Chine s’engage davantage à respecter les droits des tra­vail­leurs·euses, et c’est bien là l’objectif central de l’USS ».

En effet, pour lever tout obstacle, les négociateurs suisses, en contradiction avec des pratiques antérieures, ont renoncé à exiger que l’ALE se fonde sur le respect des droits humains, se contentant d’annoncer dans des accords séparés une coopération accrue en matière de «droits fondamentaux du travail» et de «justice sociale». En réalité, chaque pays ne s’est engagé qu’à respecter les normes de l’OIT auxquelles il a déjà souscrit. Ainsi, la Chine refuse-t-elle toujours de supprimer le travail forcé, auquel 6 millions de personnes sont astreintes, et de respecter les droits syndicaux élémentaires. 

Pour cette raison, les ONG helvétiques réunies au sein de la « Plateforme Chine » critiquent vertement cet ALE, et parmi elles, Solidar.ch appelle même le PSS et l’USS à lancer, le cas échéant, un référendum  contre sa ratification. Nous ne pouvons que soutenir cette position et déplorer que le secrétariat de l’USS puisse ainsi tourner le dos aux luttes courageuses de la plus grande classe ouvrière du monde, pour défendre, comme les syndicats officiels chinois, qui ont au moins l’excuse d’y être contraints, le même point de vue que leurs employeurs.

 

Jean Batou