Une victoire de plus vers la justice pour les victimes de l'amiante

Cette lutte exemplaire, de longue haleine, pour faire reconnaître les droits des victimes de l’amiante vient de connaître un nouveau succès le 11 mars 2014 : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la prescription par le droit suisse, qui limite ainsi l’accès à un tribunal pour les victimes de l’amiante et leurs proches, et la violation de l’art. 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit le droit des lésés à un procès équitable.

Comme le souligne le communiqué du Comité d’aide et d’orientation des victimes de l’amiante (CAOVA), « cet important verdict, le premier favorable aux victimes professionnelles de l’amiante, remet en cause toute la question de la prescription du Code des obligations appliqué en Suisse ».

L’histoire de l’utilisation industrielle de l’amiante par Eternit remonte au début du XXe siècle. Cette société est devenue l’une des cinq multinationales dominant ce marché, avec une implantation dans plus d’une trentaine de pays sur quasi tous les continents bien que la toxicité meurtrière de l’amiante a été médicalement établie dès 1899 et le lien avec le cancer de la plèvre (mésothéliome) dès 1960. Mais l’interdiction de l’amiante, sous la pression de la médecine du travail et de campagnes de dénonciation dès les années septante, devra encore attendre la fin du XXe siècle ! Il aura fallu plus de quarante années de combat pour que la SUVA reconnaisse les lésions pleurales sous forme de plaques et d’épaississements de la plèvre dues à l’amiante, lésions qui entrainent une fibrose irréversible.

 

Un travail de solidarité internationale

Avec la ténacité et la pugnacité des militant·e·s engagé·e·s dans ce combat de longue durée, sur trois à quatre décennies, les premières victoires sont arrachées, notamment à Bruxelles en 2011. La principale est bien entendu celle du Tribunal de Turin qui condamnera le 3 juin 2013 les deux responsables d’Eternit, le suisse Stéphan Schmidheini et le belge Louis Quartier de Marchienne à 16 ans de prison et à de lourdes indemnités pour les familles de 3000 victimes des usines de Casale Monferrato, Cavagnolo, Bagnoli et Rubiera.

Un important travail de solidarité internationale et de mise en réseau mondial des associations sur ce terrain à travers Ban Abestos a permis des mobilisations coordonnées, avec des actions communes à l’occasion de la Convention de Rotterdam du PNUE sur les produits chimiques toxiques. Alors que le Tribunal fédéral vient de reconnaître le droit à l’indemnisation pour les proches d’une victime décédée des suites de l’asbestose, maladie due à une exposition dès 1972, et que la victime était encore mineure, Economiesuisse tire à boulet rouge sur le projet du Conseil fédéral d’allonger de 10 à 30 ans le délai de prescription pour obtenir réparation. 

Réunis le 22 mars dernier à Niederurnen/Näfels dans le canton de Glaris, lieu d’une des deux usines Eternit de la famille Schmidheiny en Suisse avec Payerne, les deux associations suisses de soutien aux personnes exposées à l’amiante, CAOVA et VAO, ainsi que les trois organisations du réseau européen AFEVA, AIEA et AEFSVA (associations d’exposés à l’amiante en Italie) ont pris connaissance du succès devant la Cour Européenne et débattu d’un texte pour la suite de ce combat.

Les personnes réunies deman­dent une table ronde instituée par le Conseil fédéral, avec tous les milieux concernés. Il faudra à cette occasion réviser le droit suisse pour que le délai de prescription commence dès le moment où la victime a pris connaissance du dommage à sa santé, avec imprescriptibilité pour le crime que constitue l’exposition professionnelle ou environnementale à des substances toxiques ou cancérigènes.

 

Protéger et indemniser les travailleurs·euses

Sur le plan médical, la surveillance doit être plus efficace et actualisée. La recherche dans le domaine des pathologies provoquées par de nouveaux produits toxiques ou cancérigènes et des soins spécifiques doit être renforcée et soutenue. Un fonds national d’indemnisation à la charge des industries pour les victimes de l’amiante doit être institué. Des campagnes d’information et de prévention dans les entreprises, sur les postes de travail et dans la population en général doivent être poursuivies. Une culture fondée sur le respect de la santé et de la protection de l’environnement doit avoir la priorité sur les seuls bénéfices d’une minorité. Un programme national d’assainissement des ouvrages et bâtiments contenant de l’amiante, ainsi que pour l’entreposage des déchets ou des lieux de production doit être mis en œuvre.

Cette réunion de Niederurnen doit être suivie d’effets. CAOVA avait lancé un appel le 16 mars pour que les victimes de l’amiante puissent faire valoir leurs droits. Les responsables de cette association avaient déjà lancé un appel à la SUVA en 2010, rappelant que des dizaines de milliers de travailleurs ont été engagés par Eternit de par le monde. Sur les 5300 sa­la­rié·e·s exposés à Niederurnen, on compte 1870 immigrés venus d’Italie, et la plupart sont décédés prématurément. Dans l’usine de Payerne ouverte en 1957, sur les 1200 sa­la­rié·e·s, il y avait 200 immigrés, dont une grande partie est morte avant l’âge de la retraite. Le registre régional des tumeurs du Veneto a permis de retrouver parmi les décès dû au cancer provoqué par l’amiante une dizaine de travailleurs immigrés qui avaient travaillé chez Eternit à Niederurnen. CAOVA demande donc à juste titre que la SUVA soit confrontée à sa responsabilité : une non-assistance à personne en danger, car elle connaissait l’identité des travailleurs mis en danger par l’exposition à l’amiante, mais n’a rien fait pour les informer ni les préserver.

Soutenons le combat de CAOVA et de tout le réseau BAN ABESTOS pour que justice soit faite !

 

Gilles Godinat