«L'Abri» lève le voile sur la misère près de chez nous

Mille personnes ont rempli la salle du Capitole pour assister, mercredi 3 septembre, à l’avant-première du film L’Abri en présence du réalisateur Fernand Melgar, de plusieurs protagonistes du film et du municipal socialiste Oscar Tosato. Après la Forteresse (2008) sur les requérant·e·s d’asile et Vol Spécial (2011) qui traitait de l’emprisonnement administratif des sans-papiers, le réalisateur boucle la trilogie avec un troisième documentaire sur les sans-abris lausannois.

Le documentaire nous plonge sans introduction dans la douloureuse réalité des sans-abris de la capitale vaudoise. Le temps d’un hiver, L’Abri donne à voir frontalement la façon dont sont sélectionnés les sans-abris qui auront « la chance » de dormir dans un abri souterrain de la protection civile le temps d’une nuit avant de retenter leur chance les nuits suivantes. Cette violente sélection, souvent des plus arbitraires, et par moment racialisée, glace le sang.

Le documentaire se focalise à la fois sur le déroulement des nuits à l’intérieur du bunker et sur ce qu’il advient de celles et ceux qui sont con­traint·e·s de dormir à l’extérieur. Les images filmées à l’intérieur montrent ainsi comment, pour 5 francs par nuit, ces personnes ont le droit à un repas et une douche avant de devoir s’entasser dans des dortoirs. Le film s’attarde également sur les personnes qui travaillent dans cet abri. Leur travail est dur et éprouvant et les pressions hiérarchiques de cette machine institutionnelle sont constantes pour laisser le minimum de marge de manœuvre. Ces tra­vail­leurs·euses sociaux se retrouvent ainsi contraints d’appliquer le plus humainement possible des procédures sociales qui vont à l’encontre de la dignité humaine.

Le film de Fernand Melgar nous permet ainsi d’avoir un aperçu de la vie de ces individus en filmant leurs interactions ou leurs démarches quotidiennes. On découvre qu’ils sont pour la plupart des mi­grant·e·s économiques venant d’Europe, d’Afrique ou de la communauté Roms. Cer­tain·e·s cherchent désespérément un travail, d’autres mendient; tous tentent tant bien que mal de survivre. La violence psychologique subie par les protagonistes est progressivement palpable sur leurs visages qui se creusent et se décrépissent à mesure que le film avance. Une fois de plus, Melgar nous permet de mettre un visage sur la misère en nous confrontant aux réalités quotidiennes dramatiques des mi­grant·e·s plutôt qu’à travers les habituels chiffres et statistiques. Cette confrontation à la réalité est comme toujours révoltante et difficile à accepter surtout quand elle se déroule dans nos propres rues.

 

Les responsables laissés hors champ

C’est par contre dans l’analyse politique qu’on est une nouvelle fois frustré. Le documentaire contourne plusieurs questionnements en se focalisant uniquement sur les victimes. Les décideurs et les responsables politiques de ces mesures sociales sont ainsi occultés tout comme le rôle de la Suisse dans les déséquilibres mondiaux entre Nord et Sud qui sont les principales causes de flux migratoires. Le spectateur est ainsi livré à lui-même, souvent avec le sentiment d’être impuissant face à cette inhumanité. Le malaise était encore plus palpable quand Fernand Melgar remercia le municipal Oscar Tosato pour son soutien. Des remerciements plutôt contradictoires quand on sait que ce dernier représente un parti qui a participé entre autres à l’interdiction de la mendicité et à la mise en place d’amendes pour les personnes qui font du « camping sauvage ». Dans ce sens, le film mérite certes d’être vu mais il rappelle également qu’on ne peut plus se contenter d’exposer la misère humaine sans y apporter des réponses par des luttes politiques.

 

Jorge Lemos