Dune

Dans le désert de la marchandise

Dune remplit les salles. Mais le space opera grandiose et gentiment écolo dissimule mal son sous-texte réactionnaire, comme son statut de marchandise.

Zendaya et Timothée Chalamet dans Dune
Zendaya (la Fremen Chani) et Timothée Chalamet (le héros Paul Atreides)

Ne vous amusez pas à dire publiquement du mal de Dune, dernier film du canadien Denis Villeneuve. Ou préparez-vous à ce que vous tombent dessus les puristes du cycle de six romans publiés par Franck Herbert entre 1965 et 1985. Le premier volume, ouvrage de science-fiction le plus vendu au monde, raconte les péripéties de la famille des Atréides, en particulier du jeune héritier Paul, sur la planète hostile d’Arrakis, monde de sable surnommé Dune.

Il n’y a pourtant pas à se forcer pour voir, dans l’œuvre de l’auteur nord-américain, des signes fiables de son conservatisme : affichant une vision cynique du jeu politique, le livre fait la part belle aux hommes courageux et bellicistes, réserve aux femmes un rôle de manipulatrices de l’ombre et fait l’étalage de sa condescendance paternaliste pour les peuples colonisés. Mais le très réactionnaire et homophobe Herbert reste, dans ses romans du moins, suffisamment flou politiquement pour que chacun·e y trouve son compte. Par exemple en soulignant le message vaguement écologiste de la saga.

Adaptation de la première moitié du roman de 1965, le (long) film de Villeneuve suit son modèle sur l’essentiel. Il dessine un monde gouverné par des hommes musclés et déterminés, pris dans des affrontements géopolitiques entre des peuples aux traits taillés à la serpe : les courageux gentils – certes imparfaits – ont la classe, les méchants sont laids, violents et perfides, et aux milieux sont les colonisés, superstitieux, un peu retardés mais fiers et remarquablement adaptés à leur milieu naturel.

À celles et ceux qui plaident la bonne foi du réalisateur canadien – les errances politiques du film reflètent celles du livre, rien de plus – on répondra que personne ne l’a obligé à adapter, en 2021, un roman qui n’était déjà pas très avant-gardiste il y a un demi-siècle.

Paysages à consommer

Mais ce n’est pas tout. Avec 165 millions de dollars de budget et un réalisateur adoubé par la critique pour ses précédents films, Dune est l’archétype du « blockbuster d’auteur ». Réac peut-être mais, nous dit-on, d’une beauté envoûtante grâce à une photographie et une scénographie hors du commun.

On peut bien sûr s’extasier devant le soleil se couchant sur la géomorphologie spectaculaire de la vallée jordanienne du Wadi Rum où le film a été tourné. Mais on peut aussi ne pas laisser notre matérialisme à l’entrée du cinéma : porté de nombreuses fois à l’écran par Hollywood, ce bout de désert est emblématique de la marchandisation du monde par l’industrie du tourisme. Un site instagrammable de plus qui permet d’assouvir notre désir de consommer du beau. Et de masquer la laideur des rapports sociaux engendrés par le système de production capitaliste.

Guy Rouge