Violence d'État à Sivens

Violence d'État à Sivens : Ils ont tué l'un des nôtres!

 

«On sentait que ça allait arriver» affirme une militante après la mort de Rémi Fraisse. Depuis des mois, les activistes réunis sur la zone humide du Testet (département du Tarn) contre la construction du barrage font en effet l’objet d’une violence policière permanente et totalement extraordinaire; un déploiement de moyens répressifs inacceptables dans un Etat de droit qui repose en principe sur l’usage « proportionné » de la violence : tirs de grenades assourdissantes, lacrymogènes, flashball, matraquage, humiliations, insultes, interpellations brutales, la liste est longue et les victimes aussi. 

De la « tolérance zéro » de Sarkozy, le gouvernement Hollande-­Valls est donc passé à l’état d’exception, à la violence « en dehors du droit », face aux oppositions populaires. L’attitude autoritaire et liberticide de la force publique est d’autant plus surprenante, que l’intérêt du barrage de Sivens semble bien limité, même pour ses partisan·ne·s. Le rapport d’experts commandité par la ministre de l’Écologie, Ségolène Royal, relève en effet une étude d’impact insuffisante, une évaluation «contestable des besoins réels», un plan de financement discutable. En somme, 8,5 millions d’euros pour irriguer quelque 20 exploitations parmi les mieux dotées de la région, au moyen d’un projet bâclé. L’entreprise va d’ailleurs sans doute être redimensionnée voire abandonnée, suite aux consultations conduites par Ségolène Royal.

 

Alors pourquoi cette guerre déclarée contre les militant·e·s du Testet ? Certes, il y a la crainte du président PS du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, de perdre les subventions européennes pour son projet de barrage. Il y a bien sûr, «un savant mélange de conflits d’intérêts, d’alliances politiciennes et d’agrobusiness» (Nicolas Bérard, Médiapart, 29.10.2014). Il y a aussi « la peur » des ZAD (Zones d’aménagement différés devenues zones à défendre), des expériences d’occupations, de luttes autogérées, de démocratie directe, de propagande par le fait pour un autre monde possible ici et maintenant; des mobilisations exemplaires recourant à l’action directe non violente, inspirée par une écologie radicale tournée vers l’émancipation. La peur du pouvoir est d’autant plus grande que ce type de confrontations a déjà joué un rôle cardinal dans la mise en cause d’autres projets, à commencer par celui de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, et qui sait demain celui du TAV (Treno alta velocità) dans la vallée de Suze, en Italie. 

Pour la défense d’objectifs rétrogrades, l’on retrouve aujourd’hui une « gauche » institutionnelle productiviste, gangrénée par une politique clientéliste, coupée du mouvement social, dont Thierry Carcenac est le prototype : élu depuis une quarantaine d’années, cumulant sans vergogne les mandats et partageant avec la classe politique européenne cette même vision technocratique de la création d’emplois par de « grands projets » d’aménagement. François Hollande et Manuel Valls se sont tus pendant deux jours suite au décès de Rémi Fraisse. Le lundi, ils assistaient avec le gratin du monde politique et plus de 1500 industriels aux obsèques du patron de Total, alors que la presse commençait à faire état du drame. Le mardi, après les condoléances d’usage à la famille, Manuel Valls réaffirmait son appui à l’action «difficile» des forces de l’ordre et stigmatisait la «violence extrême» des «casseurs» sous les salves d’applaudissement de l’Assemblée nationale. 

 

La mort de Rémi Fraisse, tué dans la nuit du 25 au 26 octobre par une grenade, 400 ont été tirées cette nuit-là, n’est donc pas seulement liée à la surdité du pouvoir face aux mouvements sociaux « minoritaires », à son incompréhension des actions qu’ils mènent, mais bien à une indifférence aveugle et meurtrière qui renvoie à une conception « élitiste » de la démocratie. Rémi Fraisse était emblématique de la réalité d’un mouvement et non de son fantasme policier, comme Carlo Giuliani, jeune altermondialiste, abattu par un carabinier, à Gênes, en 2001, ou Vital Michalon, physicien antinucléaire, tué déjà par une grenade offensive, à Creys-Malville, en 1977. En les mettant à mort, les forces de l’ordre ont désigné l’ennemi réel du pouvoir.

Comme l’a reconnu le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, la mort de Rémi Fraisse n’est pas une bavure ! Elle résulte de l’usage de plus en plus violent de la force publique contre les mouvements sociaux qui refusent de baisser la tête devant les intérêts privés, relayés par les politiques « de gauche » et de droite, en France comme dans le reste de l’Europe, en Suisse notamment. Partout, la surveillance se renforce, les restrictions au droit de manifester se généralisent, et le recours de la police à des armes offensives se banalise. Avec Rémi Fraisse, le gouvernement français de « gauche » a tué l’un des nôtres ! Nous lui avons rendu hommage en organisant deux rassemblements. Le premier devant le Consulat de France à Genève, vendredi 31 octobre, qui a débouché sur une manifestation spontanée; le second à Lausanne, le mercredi 5 novembre. Au-delà, nous ne voyons pas de meilleure façon de respecter sa mémoire que de poursuivre sa lutte contre tous les barrages de Sivens de l’ordre établi, au nom d’une démocratie réelle, participative, fondée sur la défense des intérêts du plus grand nombre.

 

Stéfanie Prezioso