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EPFL : Nouvelles complicités entre les Hautes Écoles et le secteur privé

Le 2 décembre dernier, nous apprenions via le site internet du magazine Bilan que le président de l’EPFL a été nommé à la tête du plus grand fonds de capital-risque lié à une entreprise dans le secteur des sciences de la vie, le Novartis Venture Funds. Cette nouvelle position acceptée par Patrick Aebischer renforce encore davantage la symbiose entre les hautes écoles publiques, financées par les contribuables, et l’économie privée. 

Après Nestlé Health Science et Lonza, Novartis !

 

Dans l’édito d’un numéro précédent (solidaritéS nº 248 15.05.2014) nous avons mis en lumière la convergence inquiétante d’intérêts entre multinationales et hautes écoles en Suisse, en particulier à l’EPFL. Ainsi, le président de cette haute école romande, Patrick Aebischer, défend résolument le droit de veto de Nestlé sur la nomination des pro-fes-seur·e·s à l’une des deux chaires que l’entreprise suisse finance à l’EPFL. De plus, un institut de recherche en santé a été implanté sur le campus de l’EPFL, le Nestlé Institute of Health Sciences, avec un corrélaire dans le monde économique, le Nestlé Health Science S.A. Et qui retrouvons-nous à la tête de ce dernier ? Patrick Aebischer en personne ! M. Aebischer fait également partie du conseil d’administration de Lonza, autre géant du secteur chimique et pharmaceutique.

Aujourd’hui, c’est le Novartis Venture Funds qui nomme le président de l’EPFL à la tête de son organe de consultation scientifique. Il s’agit du plus grand fonds de capital-risque suisse dans le secteur des sciences de la vie, créé en 1996 après la fusion de Ciba et Sandoz. Ce fonds poursuit exclusivement des objectifs financiers en cherchant à maximiser les retours sur investissements dans le domaine du développement de nouveaux médicaments. Selon Bilan «un tiers environ de sa presque centaine d’investissements depuis 18 ans s’est fait en Suisse. Un biais que l’arrivée de Patrick Aebischer devrait renforcer.» Et le biais du conflit d’intérêt ? Il n’y pas de soucis à se faire, nous dit-on.

 

 

Pas de soucis ?

 

Alors que Fathi Derder, conseiller national (PLR/VD) applaudit des deux mains cette nomination, le conseiller national Mathias Reynard (PS/VS) a interpellé le Conseil fédéral à propos de la transparence du processus de nomination, ainsi que sur le risque de perte d’indépendance et de conflit d’intérêt possible. Mais le Conseil fédéral, M. Aebischer lui-même, ainsi que l’ancien président du fonds, le médecin genevois Francis Waldvogel, répondent comme un seul homme : aucun risque de convergence d’intérêts entre ce fonds Novartis et la recherche menée à l’EPFL; lorsque le fonds devra se pencher sur un projet qui dépend de l’EPFL, M. Aebischer se retirera des délibérations. Ne soyons pas dupes. Cette nomination noue des liens étroits entre la multinationale bâloise et la haute école romande, entraînant le risque que les recherches menées à l’EPFL et financées majoritairement par l’argent public soient guidées par les intérêts de Novartis et non ceux du plus grand nombre. 

Conflit d’intérêts public-privé à l’université : une tendance générale

 

Cette nomination s’inscrit dans un contexte de développement de plus en plus fréquent de « partenariats public-privé » dans les universités en Suisse, c’est-à-dire, une privatisation progressive du champ universitaire qui profite directement aux grandes entreprises multinationales. Ainsi, à l’Université de Zurich, des chaires universitaires en économie sont financées par UBS. Syngenta, entreprise suisse spécialisée dans la chimie et l’agroalimentaire, producteur d’insecticides responsables d’un désastre écologique sur les abeilles, ainsi que SwissNuclear, la section nucléaire de SwissElectric, investissent à l’EPFZ.

Ces entreprises ne mettent évidemment pas de l’argent dans les hautes écoles pour des raisons altruistes, mais parce qu’elles espèrent pouvoir influencer la recherche scientifique. Sur ce sujet, le livre d’Annie Thébaud-Mony La Science Asservie (La Découverte, 2014), démontre, par de nombreux exemples, comment les grandes industries, de l’amiante, du plomb, du nucléaire et des pesticides, ont réussi à légitimer scientifiquement leurs pratiques industrielles, alors qu’elles représentent de très grands risques pour la santé publique.

 

 

Pour une université et des lieux de recherche critiques et autonomes 

 

Face à ces ambitions des multinationales, il est primordial de nous battre pour que les universités, les hautes écoles ainsi que tous les lieux de recherche soient autonomes et s’inscrivent dans une démarche critique envers le monde et la société dans laquelle nous vivons. Il faut lutter pour des universités accessibles à toutes et tous, financées publiquement et de manière transparente. Pour toutes ces raisons, nous devons refuser catégoriquement les ingérences et les investissements d’entreprises privées dans le monde académique.

 

Julien Nagel