Venezuela

Venezuela : L'indispensable coup de barre

Pour la première fois depuis 1998 (arrivée au pouvoir de Hugo Chávez), la droite vénézuélienne a remporté une victoire importante: les élections du 6 décembre 2015 lui permettent de contrôler les 2⁄3 du Parlement et d’avoir donc les moyens institutionnels pour remettre en cause les acquis positifs de la révolution bolivarienne.

Un constat s’impose au vu de ces résultats: la base d’appui du processus bolivarien a été sapée par la crise économique, les pénuries, la baisse du prix du pétrole (dont les revenus avaient permis de financer des programmes sociaux), mais aussi par la relève mal assurée de Hugo Chávez et les «dangers professionnels du pouvoir».

Ci-dessous, nous publions des extraits d’un article de Guillermo Almeyra, vétéran de la gauche révolutionnaire latino-américaine, paru dans le journal mexicain La Jornada [réd.]

Le gouvernement de Nicolás Maduro, élu avec un peu plus de la moitié des suffrages [en avril 2013, ndt] après la mort de Hugo Chávez [en mars 2013, ndt], a perdu 12 % d’électeurs·trices, soit plus de 2 millions de voix qui appuyaient le chavisme. Le processus bolivarien, si fondamental pour l’Amérique du Sud, court un grand danger.

Jusqu’ici, ni le gouvernement, ni les défenseurs·euses acritiques des gouvernements «progressistes» n’ont fait un bilan sérieux de cette défaite survenue alors que Maduro appelait à infliger une «défaite décisive» à ses adversaires. Selon Maduro et ses défenseurs·euses, l’impérialisme a financé une féroce campagne d’intoxication qui, grâce à ses agents locaux, a permis de renverser le gouvernement: la majorité des médias locaux et la presse capitaliste internationale ont réussi à tromper la majorité du peuple. Mais attendre de l’impérialisme et de l’extrême-droite une autre attitude équivaut à souhaiter faire voler un cochon. Par ailleurs, une rhétorique nationaliste bourgeoise ne permet pas de dissimuler les difficultés: de larges secteurs populaires ont voté pour l’opposition, afin de protester contre la gestion économique désastreuse, la pénurie, la corruption et le paternalisme.

 

 

Laisser germer un double pouvoir

Washington a joué son rôle habituel. Il fallait donc blinder le processus bolivarien grâce à la participation ouvrière et populaire et la construction d’une subjectivité anticapitaliste, au lieu de réprimer tout signe d’indépendance des travailleurs·euses et de maintenir à tout prix une société de consommation non-soutenable. Avec tous les médias contre lui, Chávez avait pourtant un appui populaire écrasant et gagnait ce soutien, malgré les difficultés économiques: il offrait l’utopie possible de construire les germes d’un double pouvoir des travailleurs·euses face au pouvoir d’Etat bourgeois, bureaucratique et nationaliste ; il appelait à donner un coup de barre pour remplacer le pouvoir centralisé et verticaliste de l’Etat capitaliste par celui de la base révolutionnaire.

L’arrogance sectaire des prétendu·e·s détenteurs·trices de la Vérité – traitant sans nuances leurs adversaires d’ennemi·e·s, d’allié·e·s, d’agents de l’impérialisme ou d’anti-patriotes – n’aboutit qu’à jeter dans les bras de l’ennemi ceux·celles qui présentent d’autres options différentes de la ligne «progressiste»: face aux insultes, ceux-ci (qui ne sont, ni ne furent jamais des agents de l’impérialisme ou des contre-révolutionnaires) perdent confiance dans les dires du gouvernement et dans la disposition à l’autocritique des «dirigeants infaillibles».

 

 

La nécessaire regénération du processus bolivarien

Au contraire, les défenseurs·euses aveugles des gouvernements progressistes sont des adeptes du culte bureaucratique à la supposée infaillibilité de la «direction»: ils croient à la consigne «ne pas déranger le dirigeant» et louent les «sages» décisions de ce dernier sans voir les possibles conséquences néfastes de celles-ci et sans suggérer aucun changement. Ils sont anti-socialistes et rendent difficile la prise de conscience anti-capitaliste des masses, seuls à pouvoir combattre l’impérialisme et construire collectivement les bases du socialisme, en éliminant les obstacles bureaucratiques existant dans tout processus révolutionnaire.

Au lieu de suivre l’enseignement de Chávez, Maduro s’appuie sur la bureaucratie de l’appareil d’Etat capitaliste, la «bourgeoisie bolivarienne» et le conservatisme nationaliste des forces armées (que l’impérialisme tente maintenant de diviser). Il a mis dans un même sac à étiquette étatsunienne les protestations populaires et l’opposition putschiste et fasciste.

Le processus bolivarien ne pourra se régénérer que si, comme le géant Atlas, en tombant il reprend contact avec la terre. Cette régénération est possible, il y a encore un moment pour le coup de barre chaviste ; mais il faut récupérer la crédibilité en démontrant une capacité de mobilisation et de mise en ordre émanant des masses elles-mêmes. Une lutte uniquement bureaucratique contre la bureaucratie et les ennemis qui la fomentent n’est pas une «solution» et ne mène qu’au suicide politique.

Guillermo Almeyra

Traduction de l’espagnol et coupures: Hans-Peter Renk Intertitres de notre rédaction La Jornada, Mexico, 10 janvier 2016: jornada.unam.mx

 

A lire

Dossier Venezuela (Inprecor, no 623, janvier 2016):

  • Patrick Guillaudat et Pierre Mouterde, «Comprendre la défaite du 6 décembre 2015»
  • Juan Agulló & Rafael Rico Ríos, «Chavisme: le chant du cygne?»
  • Modesto Emilio Guerrero, «Le problème c’est que le gouvernement bolivarien ne s’est jamais proposé de détruire l’Etat capitaliste»
  • Marea Socialista, «Le processus bolivarien en temps de crise»
  • (cf. Inprecor sur le web: inprecor.fr)