La révolution hongroise d'octobre 1956

La révolution hongroise d'octobre 1956 : Une flamme dans la guerre froide

En 1956, les révolutionnaires de Hongrie remettent en scène un protagoniste oublié: le prolétariat et le socialisme par en bas…

«Les corps reposent alignés, les habits encore ensanglantés. Certains avaient des bouquets de fleurs sur leur poitrine. Des filles qui ne pouvaient pas avoir plus de 16 ans, ailleurs un garçon de six. A côté, dans un cercueil légèrement couvert, reposait le corps d’un bébé de 18 mois. Après 11 ans de ‹ démocratie populaire ›, voilà où nous en sommes: la police de sécurité, si éloignée du peuple, si féroce et brutale, a pu tourner ses armes contre une foule sans défense et tuer les gens qui étaient prétendument les maîtres du pays» (1). C’est ainsi que le correspondant du journal communiste britannique The Daily Worker en Hongrie, Peter Fryer, décrit la morgue de Magyarorvar au nord de la Hongrie. Le 23 octobre 1956, l’AVH (la police politique), créée en 1945 par László Rajk, y avait massacré 54 personnes. Tragiquement, la révolution hongroise commence le 6 octobre, lors des obsèques officielles de Rajk, auxquelles assistait une foule nombreuse.

Déstalinisation

L’effervescence qui fait suite à la mort de Staline en 1953, s’inscrit dans un moment contradictoire dans lequel la nomenklatura soviétique vise à conserver son pouvoir, en s’attaquant au «petit père des peuples», alors même que les rivalités s’exacerbent en son sein et que la nécessité est perçue de lâcher du lest au sein de la société civile. Le rapport secret présenté par Nikita Khrouchtchev au 20e Congrès du PCUS (février 1956) constitue le point d’orgue de cette période intense. Or, même si l’essentiel de la politique stalinienne n’y est pas remise en cause, la crise politique créée par ce rapport suscite notamment la révolte des ouvriers polonais à Poznań, le 28 juin 1956. Dès après la mort de Staline, en juin 1953, les ouvriers de Berlin et les prisonniers du camp de Vorkouta s’étaient par ailleurs déjà soulevés. En Hongrie, pour calmer les esprits, Ernö Gerö – le nouveau secrétaire du Parti des travailleurs hongrois (MDP) – prend une série de mesures symboliques, dont l’une consiste à enterrer officiellement les «camarades» exécutés lors des procès de 1949. L’un de ces «camarades» était László Rajk, l’ancien ministre de l’Intérieur.

La révolution commence

«L’enterrement de Rajk a infligé un coup dur à la direction du Parti, dont l’autorité était déjà assez entamée», dira Gerö (2). Quelques semaines plus tard, le 23 octobre 1956, la manifestation de soutien à la Pologne et à son gouvernement «réformiste» confirmera cette tendance. Bien qu’elle n’ait été appelée que par les intellectuels du Cercle Petöfi, issu des Jeunesses du MDP, et les étudiant·e·s, la réponse est massive: selon les témoignages, 200 000 personnes descendent dans les rues de Budapest. De retour d’un voyage officiel en Yougoslavie, Gerö prononce un discours provocateur à Radio-Budapest, qui «met le feu aux poudres». Cependant, les manifestations restent pacifiques jusqu’à ce que des policiers de l’AVH, surveillant la bâtiment de la radio, tirent sur les manifestant·e·s qui réclamaient que les revendications des étudiant·e·s, notamment l’évacuation de la Hongrie par l’armée russe et le retour de l’ancien premier ministre Imre Nagy à la tête du gouvernement, soient retransmises à la radio.

A l’annonce de ces événements, la population de Budapest se soulève. 1200 policiers passent du côté des manifestant·e·s, le préfet de police de Budapest, Sándor Kopácsi en tête. La panique est telle que certains membres de la direction politique de Budapest se cachent «dans des bunkers». Des soldats, et parfois des régiments entiers, changent de camp. Sur la place des Héros, une foule d’ouvriers renverse l’énorme statue de Staline: avec des bouteilles à oxygène et des chalumeaux, des cordes et des échelles ils parviennent à l’abattre, à la traîner en ville, puis à la couper en morceaux, au milieu des cris de joie: «Le peuple au nom duquel on avait érigé la statue, était allé la renverser. Tout le monde fraternisait. Après le renversement de Joseph, et quand il ne restait plus que ses bottes sur le socle, des gens venus en camion nous ont dit d’aller à la maison de la radio, qu’on y tirait sur les gens. […] Les rues étaient pleines de monde. Deux slogans retentissaient dans la ville: ‹ Les Russes dehors! › et ‹ Imre Nagy au gouvernement! ›» (3)

De l’autre côté, dans les heures qui suivirent, 31 500 soldats, 1130 tanks, 380 véhicules blindés, 185 batteries anti-aériennes et 122 avions de l’armée soviétique se déploient en Hongrie et plus particulièrement dans la capitale. En effet, selon le plan Volna (Vague) établi préventivement au mois de juillet 1956, des unités soviétiques s’étaient déjà préparées pour une intervention.

Les combats

Le 24 octobre, des milliers d’ouvriers, femmes et hommes, surtout des jeunes, se trouvaient dans les rues, armés et prêts à combattre l’armée russe et l’AVH. Mais comment ont-ils pu trouver des armes? La propagande du régime Kadar, après 1956, prétendait que ces armes avaient été fournies par les Occidentaux. En réalité, après la fin de la révolution, aucune arme d’origine étrangère n’a été trouvée et la déclassification des archives en 1996 a démontré que le Presidium (ex-Politburo) du Parti savait que ces armes avaient été abandonnées par les soldats hongrois souhaitant rester neutres dans ces affrontements, ainsi que par des centaines de soldats passés du côté des ouvriers (4).

Plus de 10 000 personnes, plus ou moins bien armées, se trouvent dans les rues de Budapest le 24 octobre. Les batailles se concentrent alors autour de quelques points clé. Le courage des combattants de la caserne Kiliàn et de son commandant Pal Maléter, marquera pour longtemps les mémoires. Les combats s’étendent à plusieurs villes: Magyarorvar, Györ, Tatabánya, Salgótarján, Sztálinváros, Miskolc et Kaposvár, faisant de nombreux morts. Les affrontements continuent jusqu’aux 28 et 29 octobre.

Les hésitations des dirigeants soviétiques, le danger de fraternisations entre combattants hongrois et soldats russes, la démoralisation de ces derniers et l’arrivée au pouvoir du communiste Imre Nagy, resté très populaire, obligent finalement Khrouchtchev à accepter les faits et les difficultés sur le terrain et à opter pour un cessez-le-feu, établi finalement le 29 octobre.

Les minutes des séances du Présidium soviétique, pendant les 6 jours de combats, sont révélatrices de l’hostilité qui couve dans ses rangs, des conflits de pouvoir, mais surtout de son indifférence face aux morts et aux aspirations des Hongrois·e·s. Néanmoins, les membres du Présidium choisissent temporairement la voie de Khrouchtchev, c’est-à-dire la «voie pacifique du retrait des troupes et des négociations» (5). Une décision annoncée par la Déclaration des principes de développement et du renforcement de l’amitié et de la collaboration entre l’URSS et les autres pays socialistes! Le 30 octobre, l’armée russe se retire…

Un parfum de 1917

Bien qu’au début les réactions des ouvriers étaient plutôt spontanées et peu coordonnées, en quelques heures des conseils ouvriers ont surgi dans les usines de la capitale et dans d’autres villes industrielles. Cela débute par des assemblées générales aux revendications simples: «Fin de l’occupation russe, abolition de l’AVH». Cependant, ces assemblées sont vite confrontées à toute une série de problèmes qui les obligent à évoluer et à étendre leur coordination et leur pouvoir. Qui patrouille dans l’usine? Qui garde les prisonniers? Qui assure l’approvisionnement? Qui décide de la poursuite de la production nécessaire à l’approvisionnement des villes et de la campagne?

Les premiers conseils se crééent d’abord à Miskolc et à Budapest. Le 24 octobre les 10 000 ouvriers·ères employés à l’usine de Egyesült Izzó (fabriquant des appareils électriques) élisent un conseil de 71 personnes et prennent les premières mesures: abolition du salaire aux pièces, mesures liant directement le salaire à la production individuelle ; licenciement de la direction et augmentation des salaires ; enfin, ou plutôt pour commencer, destruction des dossiers personnels patiemment rassemblés sur chaque travailleur·euse aux mains de la direction. Le Conseil ouvrier de l’usine des bus de Budapest organise l’approvisionnement des hôpitaux et des cliniques. Dans la capitale, toujours en feu, les Conseils doivent affronter les problèmes immédiats découlant du conflit armé. Dans les autres villes et à la campagne, un monde nouveau bourgeonne.

Les stations de radio passent sous le contrôle des comités révolutionnaires et leur programme s’adapte aux besoins de la révolution. Des ouvriers·ères des usines de Györ, Tatabánya, Szony, Komarom se rencontrent pour se coordonner et expriment leur solidarité avec les salarié·e·s de Budapest. Le 27 octobre, l’usine de chaussures Duna, l’industrie textile Goldberger, la tannerie Tancsiscs et des dizaines d’autres lieux de travail, y compris des fermes, créent leurs propres Conseils. A Miskolc, lors d’une grande manifestation, le 26 octobre, les forces de sécurité tuent 38 personnes. Les ouvriers·ères, les étudiant·e·s et certains membres de la police les ayant rejoints prennent le contrôle de la ville et de la radio locale. Le lendemain, la radio annonce: «Depuis deux jours, la ville de Miskolc est sous le contrôle des Conseils ouvriers et du Parlement des étudiants».

A Budapest, le 24 octobre, les délégué·e·s de 24 usines déclarent: «L’organe supérieur de l’usine est le Conseil, élu démocratiquement. Le directeur est l’employé de l’usine. Lui et les employé·e·s supérieurs sont élus par le Conseil ouvrier. Pour toute question, il doit rendre compte au Conseil» (6).

Mais personne ne peut mieux décrire ces moments que leurs protagonistes. Ainsi Sándor Rácz, le président du Conseil ouvrier central du Grand Budapest: «Nous avons décidé de reprendre le travail et d’organiser la surveillance de l’usine. Il nous paraissait évident que, par la révolution, nous avions obtenu que le directeur ne dirige plus, mais que ce soit nous qui prenions l’usine en mains. […] En me promenant dans l’usine, j’ai enlevé tous les portraits, toutes les étoiles, les statues et autres saletés. […] Je vivais dans l’usine. Nous avions de quoi manger parce que nous recevions de la campagne des pommes de terre, de la viande, des oies. Ça aussi, ça appartient à la révolution, des paysans baluchon sur le dos qui viennent ravitailler les révolutionnaires» (7).

En même temps, les ouvriers s’aperçoivent que même la coordination entre usines ne suffit pas. Ils sentent le besoin de créer des pouvoirs au niveau local. Les premiers à faire ce choix sont ceux du district de Kellenfold, mais les autres districts et les autres villes leur emboîtent le pas. Autour de Györ – ville de l’industrie ferroviaire – et Tatabánya – centre d’exploitation minière (bauxite et charbon) – les conseils locaux de toute une série de cités industrielles se sont réunis pour former le Conseil national transdanubien. A Debrecen, la réaction au meurtre de trois personnes, lors d’une manifestation le 23 octobre, débouche sur la création du Comité socialiste révolutionnaire de Debrecen. Dans la ville de Szeged (sud de la Hongrie), est créé le Conseil révolutionnaire du peuple.

Jusqu’au 30 octobre 1956, le pays est contrôlé, d’une part, par les Conseils et, d’autre part, par le gouvernement Nagy. Une situation de double pouvoir qui ne pouvait pas durer longtemps…

«Du fer et de l’acier»

La crise qui suit la mort de Staline en URSS a certainement créé les fissures nécessaires à ce que le mécontentement de ceux et celles d’en bas puisse s’exprimer. Mais pourquoi existait-il un tel mécontentement en Hongrie (qui ne constituait par ailleurs pas une exception)?

En 1944, suite à la libération du pays, la Hongrie commence à payer des réparations de guerre, dont 200 millions de dollars à l’URSS. Faute de liquidités financières, ces paiements étaient effectués grâce à la production industrielle et agricole, ainsi que par la saisie des usines hongroises ou allemandes. Etant donné que les réparations se faisaient en nature et que les listes de marchandises étaient spécifiées, l’URSS pouvait effectivement contrôler le déroulement du développement de ces pays en précisant les calendriers de réparation (8).

Jusqu’en 1952–1953, ces usines sont restées pratiquement sous contrôle soviétique. Ensuite, pour renforcer la stabilité locale et la crédibilité du Parti hongrois, cette domination s’est transformée en une relation basée sur des accords dits bilatéraux. En réalité, en 1951, la Hongrie était toujours obligée de fournir 67 % de ses exportations au bloc soviétique.

En même temps, la bureaucratie qui se développait en Hongrie avec la bienveillance de Staline défendait ses propres intérêts. Mátyás Rákosi, détenteur du pouvoir de 1948 à 1956 – connu comme «le meilleur disciple hongrois de Staline» – disait que «le but est d’augmenter la production de fer et d’acier à un tempo qui n’a pas de précédent dans l’histoire de l’industrie hongroise». Mais pour que l’industrie puisse maintenir les rythmes d’accumulation exigés par le premier «plan quinquennal», la bureaucratie devait parvenir à augmenter la productivité et, en même temps, à baisser les conditions de vie et les salaires des travailleurs·euses. Ainsi, de 1949 à 1953, le nombre des ouvriers·ères d’industrie passa de 412 590 à 616 544, 75 000 nouveaux ouvriers·ères sont formés à la hâte. Les artisan·e·s abandonnent massivement leurs ateliers, pour se diriger vers la grande industrie. Durant cette même période, les salaires réels restent les mêmes, les ouvriers·ères et les paysan·e·s étant soumis aux besoins d’accumulation de l’URSS.

Interviewé après 1956, un ouvrier résumait ainsi la situation: «Les communistes […] nous ont tout promis. En même temps, ils nous opprimaient et nous mettaient dans une misère inconcevable» (9).

Le canal de Suez et la contagion hongroise

Moins beau que celui de Bruges, le canal de Suez était le bien le plus précieux de l’Empire britannique. Lorsque le président égyptien Gamal Abdel Nasser annonce sa nationalisation, cet acte est perçu comme un acte de guerre. Le 29 octobre 1956, sous les auspices d’une coalition franco-britannique, l’armée israélienne passe à l’offensive. Deux jours plus tard, les avions britanniques anéantissent l’aviation égyptienne.

En même temps, à Moscou, le Présidium analyse la situation. Khrouchtchev exprime ses craintes: «Les Anglais et les Français sont dans une véritable pagaille, il ne faut pas que nous nous trouvions dans une même situation» (10). Par-delà sa volonté de ne pas laisser traîner la crise hongroise et de se trouver dans les mêmes difficultés qu’en Egypte, le Présidium estime qu’un manque de détermination en Hongrie, au moment où Français et Britanniques bombardent l’allié égyptien, serait dommageable à la politique étrangère de l’URSS.

Mais, avant tout, ce qui fait pencher la balance en faveur d’une nouvelle intervention en Hongrie, c’est la potentielle contagion révolutionnaire. Les ouvriers·ères hongrois passaient en effet dans les régions limitrophes, en Roumanie et en Tchécoslovaquie, pour obtenir le soutien des populations locales. En Roumanie, la solidarité s’exprimait par des manifestations dans les rues de Bucarest, Cluj, Târgu Mures, Timisoara, Baia Mare et Oradea, entre autres. En Tchécoslovaquie, les étudiant·e·s manifestaient dans les rues de Bratislava et d’autres villes, les officiers et les soldats envoyés à la frontière avec la Hongrie parlaient d’effets psychologiques nocifs et d’ambiance politique «anti-socialiste». Dans la capitale russe elle-même, l’atmosphère était lourde ; des manifestations avaient eu lieu à Moscou, à Yaroslav et ailleurs. Finalement, après de longues discussions, des allers et retours à Budapest et des tensions très fortes, la décision des dirigeants soviétiques est unanime. L’armée russe devait passer à l’offensive. Nagy, le «lâche», est remplacé par János Kadar. Comme par hasard, le 1er novembre, Kadar – qui parlait jusque-là d’un «soulèvement populaire authentique» – est transporté à Moscou dans un avion soviétique et débarque, le 4 novembre, à Budapest en même temps que l’armée russe.

Vikhr (Opération «Tourbillon»)

Ce même jour débute la seconde offensive, nommée «Tourbillon». Des dizaines de milliers de soldats, prétendument en train de quitter la Hongrie, ont reçu l’ordre de revenir à Budapest pour y écraser la révolution. Des milliers d’autres qui se trouvaient en Roumanie et dans le district militaire de la Transcarpathie se sont joints à eux. Les «célèbres» commandants de l’armée russe Joukov et Koniev étaient à la tête de cette opération ; mieux préparés, munis des ordres clairs et sans ambiguïtés de Khrouchtchev, ils tenaient la victoire pour certaine. D’autre part, le gouvernement Nagy, à mi-chemin entre la bureaucratie hongroise et le mouvement révolutionnaire, facilitait les visées soviétiques.

Contre-révolution et double pouvoir

Si la victoire semblait certaine, Khrouchtchev et ses acolytes avaient tout de même sous-estimé la résistance des quartiers populaires et des grandes usines. Malgré la supériorité écrasante de l’armée soviétique, les bastions de la révolution ne tombent pas facilement. La caserne Kiliàn, le passage Corvin, la rue Tüzolto deviennent alors des lieux légendaires. Au cinéma Corvin, la peur de la fraternisation entre soldats et ouvriers contraindra les officiers russes à le démolir, grâce au déploiement des tanks, sans utiliser l’infanterie.

A Újpest et à Köbánya, deux arrondissements de Budapest, les combats sont tout aussi féroces. Dans l’île de Csepel – un grand quartier ouvrier de Budapest, surnommé Csepel la Rouge – la résistance durera jusqu’au 11 novembre. A ce moment, la révolution est vaincue militairement, même si des affrontements sporadiques continuent dans d’autres villes.

Dans l’ouvrage de Bill Lomax, Les conseils ouvriers du Grand Budapest, les différents communiqués et déclarations des Conseils de la ville et de sa périphérie occupent 234 pages. On y trouve des rapports et des déclarations très spécifiques et détaillés sur les différents secteurs de l’économie, de l’industrie et de l’agriculture ; certains traits sont communs à quasiment tous les textes et en constituent l’ossature. Dans chaque lieu de travail, le Conseil, démocratiquement élu était responsable de la production, des finances, de la circulation des biens, de la hiérarchie, mais aussi des questions de collaboration, de conditions de travail et de la vie quotidienne. Les ministères et le gouvernement devraient se soumettre au contrôle des Conseils. Des propositions comme celle du Conseil ouvrier central du Grand Budapest (CCGP) intitulée «Proposition pour la réorganisation de l’économie hongroise sur la base de l’autogestion» (Lomax, p. 229) démontent la propagande occidentale selon laquelle la «population» hongroise a combattu pour son American dream. Bruce Renton, correspondant du New Statesman, journal de la gauche britannique, en Hongrie durant ces jours-là, le confirme: «Personne ne pouvait échapper à l’impression écrasante que le peuple n’avait aucun désir, ni aucune intention, de retourner au système capitaliste» (11).

Le CCGP est créé, le 14 no­vem­bre, suite à une réunion tenue la veille et restée inachevée, car certains délégué·e·s s’étaient présentés sans avoir les procurations nécessaires! A leur surprise, ce jour-là, les délégués trouvèrent le bâtiment de la mairie de Újpest encerclé par des tanks russes. Sans trop s’en soucier, ils déplacèrent alors la réunion à l’usine Egyesült Izzó. Il s’ensuivit une vive discussion, où 5000 ouvriers avaient le droit de parole (!) et deux délégués révocables de chaque district avaient le droit de vote. Cela a constitué le zénith de l’organisation des Conseils.

La possibilité de créer un Conseil ouvrier national, un Parlement des conseils ouvriers, a été discutée et planifiée, mais les tanks russes, les arrestations, les déportations et les exécutions ont noyé ce rêve dans le sang. Jusqu’à la mi-décembre, les ouvriers·ères ont organisé des grèves, des occupations d’usines et se sont attelés à faire fonctionner les Conseils. Mais peu à peu leur pouvoir s’est affaibli, les militant·e·s ont «disparu» et Janos Kadar, appuyé par l’armée soviétique, a instauré définitivement son pouvoir.

Presque tous les protagonistes de la révolution seront exécutés pendant les trois années qui suivirent. 200 000 personnes quittent le pays.

Un legs révolutionnaire

Aujourd’hui, le «rideau de fer» n’est plus et l’idéologie néo-­libérale se présente comme l’option unique. 1956 sert toujours à cette fin. En même temps, pour les courants staliniens, parler de 1956 comme d’une révolution est un blasphème. Le seul réconfort de cette «gauche» est le conspirationnisme et la nostalgie.

Pour nous, contre le capitalisme libéral d’aujourd’hui et ce qui fut le capitalisme d’Etat de l’URSS, subsistent la voie et les voix des révolutionnaires hongrois de 1956, celle(s) du socialisme par en bas et de la démocratie ouvrière, un legs pour nos luttes de l’avenir.

Dimitris Daskalakis

  1. Peter Fryer, Hungarian Tragedy, London, Index Books, 1997, p. 24
  2. Mark Kramer, « The USSR and the 1956 Crises », Journal of Contemporary History, vol. 33, no 2, 1998, p. 181
  3. Bill Lomax, The Hungarian Workers’s Councils in 1956. Boulder, Social Science Monographs, 1990, p. 409
  4. wilsoncenter.org/sites/default/files/CWIHPBulletin8-9-p6.pdf
  5. ibid., p. 368
  6. Bill Lomax, The Hungarian Revolution, London, Allison & Busby, 1976, p. 414
  7. Bill Lomax, The Hungarian Workers, op. cit., p. 411
  8. Edward Ames, « International trade without markets. The Soviet bloc case », Americain Economic Review, vol. XLIV, nº 5, 1954, p. 800
  9. Bill Lomax, The Hungarian Revolution, op. cit., p. 37
  10. digitalarchive.wilsoncenter.org/document/111882
  11. New Statesman and Nation (17 November 1956), cité par Peter Fryer, Hungarian Tragedy, op. cit., p. 6.