Grands magasins et codes barres: exploitation accrue des vendeuses
Grands magasins et codes barres: exploitation accrue des vendeuses
Combien de «bonjours», de «avez-vous la carte machin-truc» de «merci, au revoir» dans une journée normale de caissière de grand magasin? Mais aussi combien de quintaux de marchandises poussés devant le scanner? Et ce nest pas tout. Les codes barres conduisent à une intensification et à une flexibilisation continues du travail
On le sait, la vie du dernier maillon de la chaîne producteur/trice-consommateur/trice nest pas rose. Durant ces vingt dernières années, lorganisation du travail dans le secteur de la vente et, en particulier, dans les grands magasins, na pas cessé de se transformer. Pour preuve les perpétuels réaménagements spatiaux que nous constatons régulièrement dans nos chaînes préférées
Remplissez votre caddy!
Investir les bénéfices accumulés, voilà une sage rationalité capitaliste. Cela permet de limiter la charge fiscale de lentreprise et daccroître ses profits. Dans les grandes surfaces, ces investissements sont guidés par des spécialistes en marketing (psychologues, ingénieurs, architectes, sociologues, informaticiens, etc.), qui dissèquent nos habitudes dachat pour les remodeler en fonction dune meilleure «rationalité» marchande.
Par exemple, depuis lintroduction des caisses doubles, qui voit deux caissières occuper lespace central entre deux tapis roulants, cet espace sest de plus en plus réduit, au point quun léger embonpoint, sans parler dobésité, peut interdire physiquement lexercice de la profession. Or cette promiscuité vise uniquement à densifier le réseau des caisses permettant, aux heures de pointe, dengranger un maximum de bénéfices dans les plus brefs délais.
Tendinites et atteintes nerveuses
Au temps du «typage» manuel, il nétait pas rare de rencontrer une caissière avec une attelle au poignet, résultant dune inflammation douloureuse des tendons et des nerfs, qui pouvait conduire à une intervention chirurgicale. Il faut savoir aussi que la concentration nécessaire pour repérer létiquette et «typer» le prix le plus rapidement possible laisse des traces sur le système nerveux, à tel point que des chercheurs/euses français ont pu observer un syndrome inquiétant, heureusement passager. Après une journée à la caisse, certaines caissières, particulièrement pressurées, et probablement plus fragiles que dautres, narrivaient plus à interpréter les nombres, sinon comme des prix. Ainsi, par exemple, en voyant arriver le bus 89 qui devait les conduire au domicile, elles pouvaient rester hébétées, «typant» mentalement le prix de 8 frs 90, ce qui représente tout de même un handicap social non négligeable.
Codes barres et intensification du travail
A lheure du scanner, le travail de la caissière reste caractérisé par des gestes ultra-répétitifs et la souffrance physique quils engendrent (douleurs cervicales, lombaires, aux épaules et aux poignets). De surcroît, être aimable en toutes circonstances, rapide et vigilante, réclame un effort intense, que la technologie ne vient pas toujours atténuer.
Mais nous allons envisager un aspect peu connu de lintroduction du scanner et des codes barres. Ceux-ci permettent une gestion des stocks en temps réel: Ikea en avait fait un élément publicitaire lors de leur introduction. Mais surtout, il donne les moyens dune comptabilité analytique et dune gestion informatisée des postes de travail, qui conduisent à lintroduction déléments dintensification du travail redoutables.
Désormais, il est fort simple de connaître les flux des clients selon le jour et lheure, daprès létude des relevés de caisses. De cette manière, la grande surface peut maximiser ses marges bénéficiaires en jouant sur le nombre de caissières présentes au même moment et sur la longueur de la file dattente. Equilibrer ces paramètres dans une optique capitaliste signifie imposer à la caissière de travailler toujours avec une intensité maximale. Corollaire de cette exploitation renforcée: des horaires de plus en plus hachés, avec lapparition de longues pauses entre le premier et le deuxième tour, qui allongent la «mise à disposition» du et surtout de la salarié-e.
Industrialisation du travail à la caisse
Le travail dans la vente se caractérise par des phases alternant temps forts, pendant lesquels toute lénergie est utilisée pour satisfaire les besoins du client, et temps faibles pendant lesquels il est possible deffectuer ou de terminer des tâches moins urgentes, mais tout aussi importantes (compter les billets, remettre au comptable les grosses sommes, etc.). Avec la gestion informatisée et la comptabilité analytique, prend forme une nouvelle organisation du travail qui introduit des paramètres de type industriel, comme les quotas de travail. En effet, la connaissance et le réglage des flux à la caisse permettent de fixer le quota des clients que la caissière devra satisfaire durant un temps déterminé, dintensifier ainsi son travail et, à terme, den accélérer lépuisement psycho-physique.
Du point de vue syndical, il faut aussi garder présent à lesprit que le secteur de la vente représente un véritable désert démocratique, où les meilleurs militant-e-s travaillent clandestinement de peur dune répression immédiate. Il ne fait pas bon être caissière de grand magasin, dautant que le client, au dire des intéressé-e-s, ne leur témoigne pas toujours le respect quils/elles méritent.
Massimo USEL